Un Appareil photographique
portable
pour le paysage
le Sigma fpL
par Henri PEYRE
Introduction
La pratique photographique artistique
professionnelle conduit assez sûrement vers l'utilisation des
chambres photographiques.
Toutefois, si ces dernières permettent
un contrôle parfait des images, soigneusement enregistrées en
prenant son temps, elles ne sont pas suffisamment transportables
pour être un compagnon de tout instant du photographe, et en
particulier du photographe de paysage, grand marcheur devant
l'éternel.
Par ailleurs tous les photographes savent qu'il est nécessaire
d'avoir toujours avec soi un appareil pour enregistrer au quotidien
des images qu'on ne trouve pas souvent quand on vient les convoquer
sur site : on sort sa chambre et le soleil se cache. On installe son
pied et déjà la pluie tombe. Une caravane est maintenant installée
devant un vieux pont qui était pourtant si offert la veille.
Bref c'est souvent qu'on regrette de n'avoir pas son meilleur
appareil avec soi, et, si on a un petit appareil portable, qu'on est
désolé d'avoir enregistré l'image du siècle en résolution médiocre.
Plutôt que de toujours subir, on a peut-être la
possibilité d'emporter avec soi des appareils suffisamment légers
pour être emmenés partout, et d'une bonne qualité suffisante
pour faire des tirages qui peuvent faire occasionnellement illusion
au mur entre des tirages de photographies faites à la chambre.
J'ai depuis des années un appareil qui
répond bien à ce cahier des charges. C'est un Sigma Dp2. J'ai déjà
parlé de cet appareil, découvert tardivement, sur galerie-photo,
grâce à Marc Genevrier (1).
Je rencontre pas mal de photographes différents et,
récemment, l'un d'entre eux m'a fait découvrir un appareil qui me semble assez
voisin dans l'esprit, et qui pourrait bien remplacer enfin ce vieux
compagnon qui m'accompagne depuis déjà tant d'années. C'est lui
aussi un appareil de Sigma, le Sigma fpL(2), qui offre un capteur de
haute résolution, dans un boîtier minuscule.
Cet appareil, souvent présenté avant tout comme un appareil de
cinéma semble bien plutôt un appareil très intéressant pour le
photographe passionné de haute résolution (10).
J'en fait ici une présentation à chaud, sans m'attarder par trop sur
ses caractéristiques techniques. J'essaie de donner surtout les
raisons principales pour lesquelles ce boîtier peut plaire à
quelqu'un comme moi, qui a tant aimé l'esprit du Sigma dp2.
Présentation du Sigma fpL
Le boîtier du Sigma fpL
Un appareil qui se présente comme un
dos 24x36. C'est une conception bien plaisante quand on vient de
l'univers de la chambre grand format.
Cela tombe bien, j'ai un objectif qui a
30 ans et ne demande qu'à servir...
On voit sur cette image, de part et
d'autre du boîtier du Sigma fpL :
- une bague d'adaptation de chez Leica convertissant la monture
Leica L en monture Leica M (2)
- mon vieil (mais toujours excellent) objectif Leica Summilux
1:1,4/50mm (9)
La dimension du Sigma fpL est comparable au Sigma dp2
une fois l'objectif monté, faisant de l'appareil un hyper portable
dans ses dimensions
Ici le dessus de l'appareil avec
- Les prises Micro et USB (on peut travailler batterie à plat mais
appareil branché... je concède, ce n'est guère utile en paysage)
- Le bouton de choix Cinema ou photographie (still). L'appareil
permet des prises de vue dans des formats cinéma professionnels. Il
faudra toutefois brancher un bon micro professionnel externe. Ce
genre de prise de vue fait chauffer l'appareil, raison de la
présence de cet espèce de radiateur sous l'écran en-dessous.
- Le bouton de départ cinéma.
A noter, on est ici quasiment à la
taille réelle...
Remarquez le "radiateur" sous l'écran, qui permet au capteur
d'éviter de trop chauffer dans les prises de vue en mode cinéma.
En-dessous, on trouve à gauche le
compartiment pour la batterie et la carte.
L'appareil, avec son pare-soleil Leica
plus tout à fait neuf, est prêt à photographier. On perd de la
discrétion en photographie urbaine, et je réserverai
personnellement l'accessoire à la photographie de paysage, en
campagne.
La conversion des raws des deux
appareils de chez Sigma se fait avec le derawtiseur maison qui offre
des images splendides : on voit ci-dessous en action le logiciel
Sigma Photo Pro 5 (ici sur une image du dp2). Sigma Photo Pro
6, tout à fait comparable dans la présentation, est utilisé pour le
Sigma fpL.
Le logiciel est gratuit dans les deux versions.
Le derawtiseur offre une si belle
image, en particulier avec des verts de qualité bien différenciés,
que la déception est quasi inévitable quand on passe par la suite le
résultat dans Photoshop.
Revers de la médaille, la lenteur de
Sigma Photopro est légendaire. Personnellement cela ne m'irrite pas.
J'essaie de faire peu de photos mais des belles... mais le
photographe de terrain pourrait en devenir fou. J'avoue me servir de
Camera Raw sans plaisir quand il faut aller vite. Mais Photopro me
cause une véritable joie à l'utilisation.
Un appareil de très haute résolution :
A gauche une image du Sigma fpL avec le Summilux 50mm ; à droite une
image du Sigma dp2, les deux dans un format allongé (le Sigma dp2
est mono-format). La focale du dp2 donne un équivalent proche du
40mm en 24x36, peut-être un peu plus adapté à la prise de vue de
paysage que le 50mm qu'on trouvera plus tranchant et sévère au
cadrage sur le terrain dans une prise de vue de cette sorte. Mais
ce dernier appareil conviendra bien aux amoureux d'un format
moins allongé, comme le 4x3 employé ci-dessous, avec le fpL qui
offre un grand nombre de ratios d'images. On réglera simplement le
Sigma fpL dans ce format pour la prise de vue. S'il y a un
peu d'architecture dans le cadrage, l'appareil prend de toute façon par
derrière la vue en 6x9 ; on peut changer son choix de format lors du
traitement du raw ; on dispose ainsi, le cas échéant, d'un reliquat
de matière photographique pour redresser les verticales de l'image
en format paysage, opération qu'on fait avec une chambre ou avec un
objectif Canon TS-E dès la prise de vue. Bonus : le redressement
logiciel a posteriori exempte l'image des artefacts colorés
fréquents sur les bords d'une image faite au Canon TS-E de 45mm. On
ne pleurera pas non plus de ne pas partir sur le terrain avec un
lourd objectif à décentrement (même s'il est possible de porter un
objectif de monture Canon EF sur un objectif de monture L avec une
bague d'adaptation).
A gauche cette fois une vue faite au
Dp2 et apportée dans Photoshop ; à droite la vue au ratio 4x3 faite
au Sigma fpL.
Une quantité de pixels très proche de
celle que fournissent les chambres photographiques : de très grands
agrandissements sont possibles.
Ci-dessous la taille des tirages
possible au dp2, donnée ici par Photoshop :
Et, ci-après, la taille des
impressions possibles au Sigma fpL :
Avec les 61mp de l'appareil et une
image résultante de 71 x 53 cm en 300ppp (dans le format long), on peut
considérer qu'on peut récolter presque autant de matière
photographique qu'avec une chambre argentique 4x5". On jouit
naturellement aussi d'une dynamique plus importante que la dynamique
de 5 diafs d'une diapositive couleur... ici très au minimum 7 diafs
pour les réglages d'ISO les plus courants (à 100 ISO on est près
des 10 diafs).
Par contre on ne dispose pas des mouvements !
Revers de la médaille : comme pour les
chambres, avec l'augmentation en format, la netteté devient plus
problématique, la profondeur de champ diminuant.
On voit sur la vue ci-dessous comment
tout est parfaitement net et résolu avec le Sigma dp2 à gauche tandis qu'à
droite, avec le Sigma fpL, il y a une différence de netteté sensible
entre la branche de premier plan et l'arrière-plan. A diaphragme
comparable, la superficie du capteur étant plus grande, la
profondeur de champ est inférieur sur le Sigma fpL. On voit un
fragment d'image où le phénomène est manifeste.
Sur le tirage final, il faut bien
entendu rappeler que le fragment de droite, celui de l'image obtenue
au Sigma fpL, sera plus grand que le fragment du dp2 montré à gauche
(on notera par ailleurs les verts mieux discriminés du dp2 sur ce
détail).
Hélas, avec cet appareil à dos fixe et mon objectif de chez Leica,
je ne peux pas compter sur un Scheimpflug pour améliorer la
profondeur de champ(3). Le problème (par rapport au Dp2) est bien
entendu d'autant plus visible que l'agrandissement sera important.
En 40cm de large (potentiel du dp2), l'observateur ne ferait pas la
différence entre les deux fragments.
Mais nuançons : nous parlons ici de problème quand cette diminution
de profondeur de champ peut aussi devenir un plaisir et un moyen
artistique : on peut ainsi opposer plus fortement les nets et les
flous à un diaphragme donné.
Nous présentons ci-dessous un
agrandissement au pixel de l'image faite au Sigma fpL, ici
coupée au format 4x3, avec notre 50mm utilisé en
paysage :
La "matière" de l'image au pixel nous a semblé assez agréable. On
voit bien au pixel près le flou de l'herbe par rapport à la netteté
du premier plan.
Pour cette image à F11 nous avions calé l'infini de la mise au point
vers F9 sur l'échelle de profondeur de champ de la bague de
l'objectif, prévoyant une profondeur de champ assez diminuée par
rapport à celle donnée par Leica du
temps des pellicules 24x36. Nous étions encore trop optimiste.
Contrepartie bien agréable, on voit à quel point l'objectif nourrit
bien ce capteur moderne, en trahissant sa folle exigence en terme de
résolution : le grain d'une pellicule diapositive même à 25 ISO
aurait déjà bien empêché qu'on fasse la moindre différence entre la
netteté des feuilles et celle de la pelouse !
Enfin un mot sur le rendu des couleurs avec de Sigma fpL.
Relativement proche du rendu des couleurs du DP2 Merrill
admirablement servi par son capteur Phoveon, il reste malgré tout
moins agréable pour le paysagiste, le rendu des verts étant en
retrait et moins différencié. On aura une bonne idée de l'écart en
se servant de la mire de DP Review pour comparer le rendu des
couleurs des différents appareils.(11)
Pas de viseur, ni de griffe pour le
viseur : il faut éventuellement ajouter cet élément en option (6) en
le montant sur le côté de l'appareil.
Sigma dpL avec son viseur (qui ajoute une prise de casque pour le
contrôle du son en vidéo, raison pour laquelle probablement Sigma en
fait un kit avec l'appareil sur son site internet - 200 € d'économie
sur l'achat groupé) ; il reste que ce viseur gâche la pureté
d'apparence de ce joli boîtier.
L'appareil devient nettement moins
élégant et un peu plus lourd.
Une autre solution consiste à visser
un viseur maison (LVF11) sur l'arrière de l'appareil, pour capter mieux
la (belle) image qu'envoie l'écran.
Attention, je trouve que ce viseur
optique permet
de corriger en toute fin la qualité de l'image - le rendu est très
beau - ou les détails en bord du cadrage dans le paysage, mais cela
permet peut-être plus difficilement de composer la vue : J'ai eu l'impression d'un manque de recul pour apprécier
la composition dans son ensemble. Peut-être cela vient-il de ma
vue... mais je n'ai pas été à l'aise. (4)
Bilan
Est-il intéressant quand on est
paysagiste, qu'on possède
comme moi une excellente optique 24x36 légère et
quand on a déjà un très bon DP2 Merrill de s'intéresser au Sigma fpL ?
Pour :
- Indiscutablement la résolution est supérieure et atteint quasiment
celle d'une chambre argentique 4x5".
- L'écran arrière de contrôle est d'excellente qualité sur le fpL là
où il est extrêmement médiocre sur le Sigma dp2 Merrill (on ne s'en
sert sur ce dernier que pour vérifier le cadrage et le placement des
hautes lumières sur l'histogramme).
- Le Summilux de 50 est encore tout à fait dans le coup. Au-delà du
plaisir de faire remarcher un objectif de cette qualité de
fabrication, on obtient avec sa très belle luminosité des couleurs
très fines, qui sont bien servies par un capteur assez attentif aux
verts, même si en retrait par rapport aux capteurs Merrill, ce qui
ravira malgré tout le paysagiste.
- L'électronique de l'appareil est bien plus rapide que celle d'un
dp2 Merrill, de la mise en route au transfert de l'image sur la
carte, malgré le poids des images.
- Il n'y a aucun problème pour monter en sensibilité. Nous rappelons
que sur le dp2 cette dernière était limitée à 200 Iso. Sur ce point
comme sur celui de l'écran
on est dans un autre monde.
- On peut porter sur l'appareil une grande quantité d'objectifs
différents avec des bagues adaptées (7).
- A l'usage, pour une photographie lente et de très belle qualité,
la possibilité offerte par l'appareil de développer le DNG
directement sur le terrain et de s'assurer sur place, devant le lieu
de prise de vue, qu'on obtient bien l'interprétation la meilleure
possible au développement de ce qui a fait émotion, est quelque
chose d'intéressant.
Contre :
- le dp2 reste plus portable et
d'assez loin, grâce à un objectif tout petit, lui-même avantagé par
son capteur Foveon X3 de très petite taille (13).
On l'oublie complètement à l'épaule, et il reste pourtant un très
bel appareil en métal. Le Sigma fpL est presque un faux appareil
portable, tellement il est dense et lourd (870g dans la
configuration avec Leica Summilux et le parasoleil Leica). On ne
l'oublie pas vraiment à l'épaule quand on n'est pas un costaud,
comme moi.
- la préhension de l'appareil n'est pas très bonne : l'objectif
l'entraîne à basculer vers l'avant quand on est en position
classique de visée. Il vaut mieux alors placer la main sous le fût
de l'objectif. Même ainsi ce n'est pas très commode, puisqu'à un
moment, avec un objectif sur bague d'adaptation, on doit faire la
mise au point à la main(14). Il existe des
poignées de préhension pour cet appareil, cela peut améliorer la
situation. Mais il vaut mieux monter carrément un montant en L de
chez Arca-Swiss. Une poignée de préhension n'améliore que la
fonction "préhension", un montant en L fait à la fois poignée et
donne une attache automatique portrait/paysage pour le pied. C'est
une solution donc plus intelligente.
L'image ci-dessus
montre le Sigma fpL avec une
plaque Monoballfix universelle ref 802265 et la
plaque rapide universelle Monoballfix en L deux bases ref 802308.5.
Le montant en L peut être projeté légèrement en avant en reculant
l'appareil au maximum, à sa base, sur la plaque universelle. Le
déséquilibre vers l'avant dû au poids de l'objectif est ainsi
contrarié. A droite, la partie verticale du montant sert de poignée
qu'on attrape à pleine main. Enfin, le montant en L offre deux
possibilités de "morsure" directe pour une accroche du Sigma fpL en
portrait ou en paysage sur une rotule Arca-Swiss de type Monoballfix.
Sur l'image ci-dessous
on voit bien l'appareil en recul sur la plaque universelle. Avec ce
montage, l'appareil redevient léger au portage. On le tient si bien
qu'il n'est pas nécessaire d'y fixer les courroies fournies par
Sigma. A noter pour les puristes : mon montant en L est fort ancien
(c'est inusable...) La plaque universelle Monoballfix 2 bases est
désormais vendue noire... mais l'effet est le même.
- la résolution est l'ennemie de la netteté. La dimension et la
densité en pixels du capteur, qui dépassent de loin celles du
Merrill, induisent une profondeur de champ nettement inférieure, qui
oblige à beaucoup plus d'attention à la technique au moment de la
prise de vue. Il s'agit vraiment avec cet appareil de réaliser
aux petits oignons une
photo délicate et attentive plus qu'on ne prend une vue en
passant, comme c'était le cas avec le dp2.
L'emploi du trépied est vivement recommandé, ce qui est peu propice
à la promenade. Pour éviter le trépied on peut monter dans les ISO,
mais on perd alors en dynamique (n'exagérons pas le problème...ça
passe)(15).
Par ailleurs, en photographie de paysage les premiers plans proches
fortement structurés sont une nécessité absolue. Sur ce point la
netteté du dp2 et son petit capteur sont extrêmement avantageux. Le
fpL décourage d'employer des premiers plans trop proches.
Conclusion
Dans sa forme primitive, objectif + boîtier sans viseur, le Sigma
fpL n'en impose pas, même si le professionnel jugera instantanément,
à l'aspect, la très belle qualité des matériaux.
Son emploi permet d'obtenir des
résultats superbes mais exige une prise de vue attentive et
réfléchie pour atteindre le meilleur résultat. Il accompagnera les
promenades sur le paysage de professionnels de l'image toujours à
l'affût de la très belle image, et déterminés à l'obtenir en toutes
circonstances, en restant léger.
Il retardera toutefois suffisamment les promenades familiales pour
ne pas y être le bienvenu, à la différence du dp2 Merrill, plus
léger et tellement plus tolérant à la profondeur de champ qu'il ne
nécessite qu'un calage à l'histogramme sur les hautes lumières. Le
même calage est nécessaire sur le Sigma fpL mais la mise au point
demande aussi vraiment réflexion et même test sur le terrain
(heureusement une simple bascule sur un bouton permet d'agrandir au
pixel lors de la prise de vue). Qui dit mise au point attentive dit
aussi réelle interrogation sur le sens qu'on veut donner à
l'image... Sur ce point le Sigma fpL reste définitivement un
appareil pour professionnel.
Cet appareil de caractère a tout pour
devenir le compagnon le plus aimé du photographe solitaire. Sous son
apparence modeste il crée des images de très haut niveau et offre
ainsi une disponibilité en presque toutes circonstances. Son
excellent capteur nécessite toutefois une attention permanente au
flou qui n'en fait pas un appareil commode, surtout quand on
travaille au soleil avec un écran à la peine pour faire la visée.
Enfin la gestion des premiers plans en paysage peut souvent devenir
problématique... On ne peut pas tout avoir, mais on a déjà
énormément !
Résultat en images
Nous plaçons ci-dessous 2 images
obtenues avec le Sigma fpL lors de nos essais.
Un lien en-dessous de l'image permet
de la télécharger en taille réelle.
Observez bien sur chacune de ces images prises au pied la façon dont
la profondeur de champ s'éteint dans les zones éloignées.
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