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l'auteur

  

Henri Peyre
Né en 1959
photographe
Beaux-Arts de Paris en peinture
webmaster de galerie-photo
ancien professeur de photographie
à l'Ecole des Beaux-Arts
de Nîmes

www.photographie-peinture.com
organise des stages photo
www.stage-photo.info


 

 

Prise de vue à la chambre avec un appareil Mirrorless

par Henri PEYRE

 

Introduction

Arca-Swiss m'a prêté ce mois-ci une chambre Monolith M 6x9(1) avec un  objectif d'agrandisseur Rogonar S de 90mm, monté sur une planchette Leica. Un Rogonar S est un objectif d'agrandisseur qui coûte environ 400€ en neuf. C'est donc un objectif abordable par rapport aux objectifs de chambre classiques qui peuvent coûter... 10 fois plus(2).
Le Rogonar S de 90mm peut couvrir le format 6x7(4), avec un cercle d'image autour de 70mm.

Je rappelle que le Sigma fpL de son côté est capable d'enregistrer des images de 70cm de large en 300ppp.

Le but de cet article est de donner une idée de la façon dont on peut travailler les images à la prise de vue avec une chambre photographique... et une idée aussi de l'état d'esprit dans lequel met un tel instrument.

Comme la chambre Monolith est une chambre d'atelier on présente surtout ici des prises de vues en intérieur. Au départ, on se dit que ce n'est pas commode de faire des prises de vues à l'intérieur au téléobjectif... mais finalement, grâce à la liberté de construction de la prise de vue que donne la chambre photographique, on finit par voir des sujets partout.

Présentation du matériel utilisé

On voit ici, de bas en haut :
- Juste au-dessus du pied un système d'attache rapide Quicklink de chez Arca (6). Ce système permet de substituer rapidement la rotule d'une marque à la rotule d'une autre marque sur un même pied. On m'a confié le pied Gitzo avec. Le système n'intervient toutefois en rien dans ce qui suit.
- Un cube C1 avec monture Classic(7). La mâchoire Classic mord le rail de la chambre de sorte qu'elle ne risque pas de tourner inopinément sur l'axe. Ceux qui se sont énervés après des chambres fixées au pied par un axe unique apprécieront ce petit plus, une avancée énorme pour le photographe à la chambre !
- Par dessus la plus grosse des chambres d'Arca-Swiss, la Monolith M(1). C'est une chambre de studio, un peu trop lourde pour être emportée sur le terrain. Elle offre par contre un confort royal, avec tous les mouvements sur tous les axes plus un Orbix, dans le cadre d'une utilisation en studio.
- Au-dessus un Sigma fpL tenu au support arrière par un Rotafoot(8) à monture L (monture Sigma/Leica) sur la chambre Monolith M.

prise de vue à la chambre arca-swiss Monolith
La Monolith M, chambre de studio, sur laquelle on a monté le Sigma fpL

- Dernier élément enfin, et on insiste un peu dessus, un objectif Rogonar S(4) de 90mm, aussi petit que la chambre est volumineuse, dont on a eu l'occasion de tester l'extraordinaire rapport qualité / prix dans un article récent ; l'objectif a été monté par l'atelier Arca-Swiss sur une planchette avant de chambre Arca. On se sert de cet objectif nativement d'agrandisseur pour prendre des photographies à la chambre. Notez-bien qu'en tant qu'objectif d'agrandisseur l'objectif Rogonar S est livré sans rampe de mise au point. La chambre assure cette dernière.


Objectif Rogonar S de 90mm

Quelques images commentées





On prépare les ostensions ces jours-ci à Rochechouart et les rues de la ville se sont couvertes de drapeaux. Curieux mélange : la région est traditionnellement communiste au point que les allemands l'avaient surnommée "la petite Russie" durant la seconde guerre mondiale. Oradour-sur-Glane est à quelques kilomètres et les maquis y ont été très nombreux dès la mise en place du STO(9). Toutefois une forte tradition catholique veut que tous les 7 ans on sorte les restes des saints conservés dans les églises locales en grandes pompes. Les Ostensions limousines sont devenues le douzième élément français inscrit sur les listes du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO (10). L'esprit camarade et le fort sentiment d'appartenance efface traditionnellement ici les occasions de se détester et de tels événements ne sont pas des occasions de combat mais des moments d'union où chacun contribue à aider à ce que l'événement soit réussi.

Pavoiser tout une petite ville se prépare sur plusieurs mois ; les volontaires ont confectionné cette année plus de 45km de drapeaux. L'effet pour le visiteur est massif et splendide. La seule comparaison possible est celle d'une mer de drapeaux : une mer infinie, bruissante, agitée et scintillante dans la moindre de ses parties. Pour ma part, y assistant pour la première fois, le spectacle m'a rappelé la méditerranée, joyeuse et pleine, découverte depuis la vedette de visite, sous le soleil, aux calanques de Cassis... c'est dire !

La première photographie que je ferai sera donc naturellement une photographie de drapeaux. Mais sous l'influence de la chambre, outil de construction méthodique, influencé aussi par le scintillant écran du Sigma fpL et un goût personnel pour le schématisme des années trente, je me servirai de l'appareil de prise de vue pour tenter quelque chose qui parle de lumière mais plus encore qui soit une construction colorée abstraite. La chambre m'aidera à trouver une netteté maximale dès les premiers drapeaux au-dessus de ma tête, et jusqu'aux derniers : entièrement nette, la photographie sera moins photographique, moins réaliste.

   

 

Une légère bascule du plan avant vers l'arrière permettra de porter la netteté sur le plan des drapeaux :

Ce mouvement a été complété par un décentrement verticale de 1,5 cm, dont l'effet a été de monter très haut vers drapeaux, la chambre restant à l'horizontal tandis que le ciel bleu s'assombrissait en limite de cercle d'image, aidant à refermer l'image vers le haut.

Un petit aparté sur la liberté de décentrement que donne l'objectif : cette succession d'images montre ce qu'on obtient en glissant le décentrement de haut en bas :

1.5 cm vers le haut :

puis, en glissant le plan :

Dans ce dernier plan nous avons utilisé le décentrement de 1,5cm vers le bas.
A cause du Scheimpflug(11) réalisé on voit que la chaussée est bien floue en bas là alors que les drapeaux de premier plan étaient parfaitement nets au-dessus de nos têtes.

Une idée de la netteté - détail en 72ppp - que permet l'objectif (l'image obtenue est en téléchargement ici) :

Un commentaire : l'objectif sert bien l'exigeant capteur du Sigma fpL. Sa légère déviation au rouge a tendance à contredire assez heureusement la déviation au Cyan du Sigma fpL(voir 3 et 12).

Laissons-là les drapeaux et tournons nous à présent vers un grand classique de la photographie d'intérieur la photographie de meuble : la recherche de la netteté parfaite de la façade du meuble a été permise par une bascule verticale avant :

 

 
   

Une bascule avant tout à fait comparable a permis la netteté parfaite de la façade ce deuxième meuble, ci-dessous ; la chambre positionnée à la bulle donne à ce détail une allure de cathédrale ; la bouche arrondie du coquillage laissée plus floue oppose sa sensualité molle au reste de l'image. L'écran du fpL m'a semblé tout à fait aussi agréable pour le contrôle de cette image qu'un dépoli des familles sur une chambre 4x5". La bonne perception de l'ensemble et le fait que l'objectif Rogonar S ait une approche de téléobjectif permet à qui voudrait trouver de tels micro-sujets d'en fabriquer de partout dans n'importe quel intérieur :

   


Tout cet exercice est réalisé dans une pièce grise (gris "chic" exactement, je n'invente rien, c'était marqué sur le pot de Castorama). Cette peinture est très proche du blanc. Aussi une de mes natures mortes au mur est quasi inphotographiable tant les reflets sur le verre de l'encadrement sont nombreux.

Miracle de la chambre, je trouve en me mettant à quatre pattes une position très en-dessous du tableau et vers la gauche, depuis laquelle il n'y a aucun reflet sur le verre. J'y positionne alors la chambre...

... et peux ainsi obtenir une reproduction convenable du tableau, en tous cas convenable au sens où elle porte l'exploit d'avoir été débarrassée de ses reflets et d'être bien au carré. L'image ne porte ainsi quasi pas de stigmates de la gesticulation nécessaire à sa fabrication :

   

 

Evidemment, pour faire une vraie reproduction de qualité il faudrait aussi se préoccuper d'homogénéiser les lumières et les couleurs à gauche et à droite : mais convenons que ce résultat n'en est quand même pas moins déjà intéressant.

Le double décentrement fait dans l'exemple du tableau a été également réalisé dans le cas de ce hit de la photographie à la chambre : la photographie du fantôme dans le miroir : on fait croire que la photographie a été prise en face de la glace, mais on n'y voit pas le photographe. Ce genre de photographie attire toujours beaucoup de commentaires. Par exemple ma femme m'a dit que j'aurais pu nettoyer la glace :

 

   

 

 

Plus artistique, un bon exemple et assez subtil de ce qu'on peut faire avec une chambre et pas avec un appareil photographique ordinaire : le principal attrait de ce plâtre est pour moi les yeux blancs du modèle qui exprime un regard dont on ne sait pas s'il regarde vers l'intérieur ou l'extérieur du personnage. On trouve souvent ces yeux-là dans le statuaire grec classique, et la mode en était revenue en France dans les années trente.
La chambre a permis par un basculement vertical avant de ne conserver que le plan des yeux nets ; ce plan passe par la tranche du guide des ballades à Limoges à l'arrière-plan à gauche. Il permet non seulement d'obtenir les yeux parfaitement nets mais permet de hâter le passage au flou du reste de la tête et du fond particulièrement derrière le buste à droite :

   

Subtil et intéressant aussi ci-dessous cet effet de lame de netteté partant de l'iris blanc-bleu en avant à gauche et allant vers le fond à droite. A la fois on détache particulièrement le sujet principal, mais on conduit aussi le regard vers l'arrière-plan à droite, tout en permettant que l'arrière-plan à gauche ne soit plus qu'une suggestion derrière le premier iris. Cela donne à la fois une bonne lisibilité à l'image et permet de suggérer une opulence dans laquelle le regard finit par se perdre.

   
Je voudrais souligner une chose qu'on peut deviner avec cette photographie des iris : le discours à la mode en art contemporain aujourd'hui veut que l'œuvre ne soit qu'une proposition : il est bien vu que l'artiste annonce que c'est le "regardeur" qui fait l'œuvre, au moins autant que lui.
En réalité, pour ma part, je suis persuadé que l'œuvre doit porter au contraire une exigence tyrannique de se faire comprendre et d'amener le spectateur au but qu'elle s'est fixée. Il n'y a pas besoin d'annoncer que le spectateur est invité à s'investir dans l'image. La plupart du temps, c'est comme pour la lecture, les gens ne regardent pas, ou s'ils regardent ne comprennent pas. Ou s'ils comprennent, attachent à cette compréhension tellement de sottises et de pulsions  qu'ils ne voient plus ce qu'on leur propose. Si le fait artistique est, comme je le pense de plus en plus les années passant, de partager un ravissement, et la volonté de partager le plus possible l'extraordinaire privilège d'une contemplation, il faut être très rigoureux parce que le travail à faire est de détruire chez le spectateur la prison de morosité et de malheur dans lequel son regard est enfermé. Tous les moyens sont bons et les plus rigoureux possible.
Et la chambre est de ce côté un excellent instrument.


Un exemple à présent pour lequel notre téléobjectif est très approprié.
Il s'agit de nature morte, sujet généralement traité avec un court télé.

La plupart des natures mortes sont prises en vue plongeante. Dans ce type de vues, avec un appareil ordinaire, les verticales viennent vers vous en s'écartant.
Comme les bases sont rétrécies, la nature morte apparaît branlante. Il y a du bon et du mauvais : si on veut insister sur la précarité du Monde, des bases branlantes, c'est parfait, les objets branlants incarnant le Monde branlant. Mais si on veut dire autrement cette précarité du Monde, par exemple en faisant des objets dérisoires de véritables cathédrales qui, par comparaison, nous font douter de nos vies si courtes, autrement dit si on veut exprimer la condition humaine, branlante, dans un mode infiniment plus solide, ce qui semble bien plus fin et approprié... alors, on est bien mieux parti avec la chambre puisqu'on pourra faire, au lieu d'une plongée banale, un décentrement. Alors les bases des objets restent parallèles, et les objets se constituent en cathédrale. Et nous devenons vains.
On ressent tout de suite cet sacralité dans les images ci-dessous.
Mais on a multiplié ces images, parce qu'on a voulu montrer comment un deuxième décentrement de la gauche vers la droite pouvait changer légèrement la composition, en l'absence même de modification du modèle :







Je ne sais pas laquelle de ces prises de vue vous semble la plus solide et monumentale, mais la chambre, au moment où l'on tourne le bouton du décentrement latéral, vous aide à répondre à la question.

Porter l'appareil en position portrait plutôt que paysage peut aussi modifier le résultat. La bague du Rotafoot présente un verrou de rotation à clic qui permet de passer commodément à la position verticale :



Pour faire "tenir" le sujet on a du cette fois décentrer encore plus, en se plaçant plus au-dessus du sujet :




On peut aussi jouer classiquement du diaphragme, très ouvert ci-dessus, bien fermé ci-dessous, permettant de récupérer de la netteté sur la grande opaline à l'arrière :




Finalement nous revenons en portrait et conservons de nos manipulations et le point de vue surélevé que nous avions à la verticale et le diaphragme bien fermé pour une plus grande profondeur de champ :

   
La construction nous semble maintenant bien correspondre à nos intentions philosophiques. Ce travail très méthodique et constitué n'aurait pas pu être mené avec un appareil photographique ordinaire. La chambre, par tous les moyens qu'elle met à notre disposition, nous amène à réfléchir sur nos intentions. En cela elle permet non seulement de constituer des images plus originales, mais aussi plus rigoureuses, et nous oblige à progresser par rapport à la conscience de ce que nous avons à dire.


 
   

Conclusion

Nous avons mené ces prises de vues avec une Monolith M de chez Arca-Swiss. Une fois installée, cette chambre est d'un très grand confort et d'une très grande rigueur. Comme son nom le suggère, elle ne bouge vraiment pas et c'est très agréable de travailler avec elle.

Toutefois toutes les photographies que nous avons réalisées auraient aussi bien pu être menées avec une Universalis DSLR ou avec une F-Universalis 6x9 sur lesquelles on peut monter un Rotafoot pour monture L et le Sigma fpL.

Ces deux chambres sont beaucoup plus légères, et offrent suffisamment de mouvements en combinant arrière et avant, à condition que le cercle d'image de l'objectif le permette.

C'est heureusement le cas avec l'objectif Rogonar S de 90mm dont nous avons pu apprécier la qualité générale. Si vous possédez déjà un appareil mirrorless, une de ces deux petites chambres, munie de cet objectif et du Rotafoot correspondant à votre appareil constituera un matériel épatant pour entrer dans le monde merveilleux des chambres photographiques.

Non seulement alors vous découvrirez le monde des chambres mais l'ouverture du matériel, la liberté des choix possibles, vous obligeront à explorer la rigueur de vos intentions. Et là commence vraiment l'exploration artistique.

 

   


   

 Notes

(1) Chambre Monolith 6x9 à Orbix Micrométrique ref 014169 :
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d4_arca-swiss-m-line.html#p29. Voir aussi sur galerie-photo la page arca-swiss-monolith-moyen-format.

(2) Rodenstock HR Digaron W de 70mm 5.6 en monture R ref 50407032
sur la page https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d101_objectifs_rodenstock.html#p994

(3) Objectif et couleur avec le Sigma fpL :
Je rapportais dans cet article les problèmes de couleur rencontrés avec le Sigma fpL, qui tirait naturellement au Cyan, et j'y proposais en conclusion le meilleur réglage possible, à mon sens, pour corriger les images obtenues par défaut de l'appareil.

(4) Voir la brochure de Rodenstock, en page 47
https://www.rodenstock-photo.com/sites/default/files/2020-04/e_Rodenstock_Printing_CCD_43-62__8230%20%281%29.pdf

 Rogonar-S  Recommended
scale
 Maximum
 range film format
 25 mm f/4  10× - 30×  13×17 mm
 35 mm f/2.8  10× - 30×  18×24 mm
 50 mm f/2.8  2× - 10×  24×36 mm
 60 mm f/4.5  2× - 10×  40×40 mm
 75 mm f/4.5  2× - 10×  6×6 cm
 90 mm f/4.5  2× - 8×   6×7 cm
 105 mm f/4.5  2× - 8×  6×9 cm
 
                    
(5) F-Universalis 6x9 ref 019169 :
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d95_Chambres_F-Universalis.html#p654

(6) Système d'attache rapide Quicklink sur www.arca-swiss-magasin.com :
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d39_up-grade-rotule-monoball-arca-swiss.html#p722

(7) Cube C1 Classic ref 8501003,1 ici :
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d35_cube-arca-swiss.html#p556

(8) Rotafoot en monture L ref 069103.2 ici:
https://www.arca-swiss-magasin.com/contents/fr/d102_RotaFoot.html#p921

(9) sur le STO : https://fr.wikipedia.org/wiki/Service_du_travail_obligatoire_(France)

(10) Sur les ostensions limousines, lire sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ostensions_limousines

(11) Sur les mouvements, lire : https://galerie-photo.com/mouvement-chambre-photographique.html

(12) Comparaison objectifs-capteur sur galerie-photo

   

 

dernière mise à jour : 2023

 

 

     

 

tous les textes sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs
pour toute remarque concernant les articles, merci de contacter henri.peyre@(ntispam)phonem.fr

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