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le photographe
Sur Liu Lihong,
l'auteur de l'article
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Liu Lihong - une analyse stylistiquepar Henri Peyre
Les 3 images présentées ici sont extraites du livre sur Liu
Lihong paru dans la série Chines Photographer Series (ISBN
7-5008-3594-9/J-325) Quelques observationsNous tentons dans cet article de donner quelques pistes pour l'analyse du travail de Liu Lihong. On lira sur cette autre page que le photographe utilise son appareil d'une façon très spontanée, et qu'il entend en faire un outil de découverte de lui-même, utilisé dans l'instant de l'émotion. Par ailleurs le photographe confond cette émotion avec la réalité elle-même, qu'il définit comme un pur état des sens, complètement lié à l'individu qui la vit. Partant de là, un doute profond s'installe sur l'existence du réel, doute qui malheureusement dévore en les raccourcissant les instants les plus beaux. La photographie est alors autant un outil traditionnel de mémoire, qui permet de témoigner de ce qui va disparaître, comme le veut la photographie documentaire, qu'une expression du doute radical que les choses sont vraiment là, doute personnel que finalement chaque tirage ne cesse de ranimer. D'où il suit une photographie plutôt pessimiste, prise sur le fond d'une Chine profondément remaniée par la vitesse des changements économiques en cours. Dès lors à la vision intérieure, cette poétisation du réel qui a tendance à exagérer la relativité des choses, mais qui s'appuie en fait sur l'immobilité d'un réel inconsistant, vient se surimposer une réalité en déplacement constant, qui à la fois semble donner entièrement raison à la vision relativiste initiale de l'auteur, mais à la fois va beaucoup plus loin : les changements de l'environnement sont tellement puissants que l'auteur ne peut plus évacuer le réel en le relativisant. On pourrait aussi dire : la neutralité du réel est en cause, son inconsistance polie qui permettait la liberté poétique s'est effacée. D'où cette idée, qui peut sembler a priori saugrenue dans l'entretien avec le photographe, que "le réel n'est pas si différent que cela du "surréalisme"". En fait le réel ne se comporte pas comme il devrait se comporter dans une vision poétique relativiste classique. Il n'observe pas la neutralité à laquelle il devrait se cantonner. On se demande comment Liu Lihong négociera le rattrapage de sa vision par un réel qui bascule désormais plus vite que lui. Ses dernières photographies laissent à penser que la tendance "style documentaire" de son travail, travaillée dans l'effroi, emportera la tendance originelle de son style, basée sur la création d'images présentant l'intériorisation du réel. C'est ce style originel, bien établi dans la première partie de sa production que nous analysons ici. La photographie de Liu Lihong en trois tempsNous illustrons cette analyse de 3 images à notre avis représentatives de la vision de Liu Lihong. 1/ Un quotidien ordinaire contesté
Toutefois le regard du photographe est complètement basculé. L'absence d'horizontale dans l'image signifie clairement que l'importance du réel dépend de ce que l'observateur voit. Il introduit le regard comme sujet principal de l'image. Dès lors ce qui est représenté perd de la force et s'éloigne. Le réel est neutralisé au profit de l'impression de réel. La présence d'un premier plan basculé à droite (le montant de la fenêtre) renforce la suggestion d'une compréhension intérieure du regard.
2/ Les fleurs d'un bonheur menacé
On retrouve souvent chez Liu Lihong ce thème classique de la fleur comme symbole du bonheur naturel et de l'équilibre. Mais ce thème, potentiellement riche des possibilités d'une construction calme et raffinée, est présenté ici comme résistant à la menace noire et étrange d'un environnement urbain qui emplit l'image. Le temps, avec le compteur popularisé dans la photographie contemporaine par Nobuyoshi Araki, semble menacer encore ce bonheur de toutes façons déjà limité au paradis lumineux d'un simple verre. Il n'y a aucune indication sur l'ancrage de ce "verre paradis" à l'intérieur du reste de ce qui est photographié. C'est une apparition. On ne voit pas sur quoi il repose, et de toutes façons il penche encore, ce n'est qu'une construction imaginaire, un réel correspondant à un état de l'âme. Les
éléments commencent à se mettre en place :
2/ Trop tard...
Cette troisième photographie donne des indications sur la position même de l'auteur par rapport aux possibilités de bonheur qu'il peut donner à entrevoir. Ici un milieu naturel végétal, le bonheur donc. Mais le bonheur est pauvrement éclairé par une lumière irréelle qui le dispute à une ombre menaçante. Et tout cela déjà fuit, ne fait que passer, le flou l'efface, tandis que la netteté clinique de la numérotation à droite indique froidement la fragilité de ce qui n'a peut être jamais existé qu'en tant que trace. Le dernier élément est en place : un pessimisme fondamental. L'impression qu'à peine ces choses qu'on aurait pu goûter se sont inscrites dans une conscience qui doute d'elle-même, déjà elles s'effacent et meurent. Le rêve est encore là, à l'état de trace... mais demain peut-être il ne restera plus que le constat. Et la jouissance artistique ne reposera plus désormais que sur la violence, cachée à d'autres, que ces lieux en apparence anodins peuvent encore représenter pour nous. Plus de connivence avec un spectateur censé autrefois rentrer dans notre intimité, hélas. On ne peut plus partager ce qu'on perd, quand ce qu'on perd est sa propre histoire, qu'on a seul vécue.
Sur
Liu Lihong,
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