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L’histoire du Bessa Voigtländerpar Emmanuel Bigler RésuméAu moment où les premiers utilisateurs du Bessa-III 667 (développé par Fujifilm et Cosina) nous font part de leurs premières impressions, c’est le moment de relire quelques pages de l’histoire du Bessa original fabriqué chez Voigtländer [1] à Braunschweig de 1929 à 1956. 1 L’histoire du Bessa commence en 1929 [2]Dans les années 1920, la photo d’amateur se développe et Voigtländer lance le programme de fabrication d’un appareil 6x9 à rollfilm destiné au grand public. Auparavant la firme de Braunschweig est déjà fort célèbre par ses fabrications d’appareils à plaques, mais le passage au rollfilm est indispensable pour suivre le succès commercial qui fut celui de George Eastman. La firme Voigtländer est devancée en 1928 par Agfa avec le « Billy », nom à consonance américaine mais qui, en Allemagne, évoque le mot billig signifiant : bon marché. Il faut donc trouver un nom de modèle pour le futur appareil 6x9 bon marché de chez Voigtländer. Certes, l’entreprise a déjà vendu des appareils de prix abordable sans nom de modèle ; par exemple en 1927 sort un appareil pliant pour format 5x8 cm (pour bobines code 129), on l’appelle simplement... le petit Voigtländer cinq-huit (ou cinq-sept-et-demi), Pour le nouveau 6x9, le nom sera : Bessa [3], qui veut dire littéralement : besser = meilleur, en dialecte berlinois et bavarois. En choisissant un mot qui n’est pas stricto sensu du hochdeutsch mais que tout le monde comprend, Voigtländer fait un choix qui s’avérera excellent pour un appareil « populaire », Le nom est encore utilisé aujourd’hui (voir plus bas, la ré-utilisation du nom Bessa au paragraphe 4). Comme Kodak, Bessa se prononce facilement dans toutes les langues, bien plus facilement que la marque Voigtländer elle-même, et plus facilement que d’autres noms de modèles utilisés par l’entreprise, comme le Bergheil (trop allemand !), le Brunsviga (imprononçable !), le Prominent ou le Superb (franchement « ronflants », désignant au sens propre des modèles chers et compliqués dont les ingénieurs étaient fiers). Au contraire de Kodak, évoquant le déclic sec de l’obturateur mécanique, le mot Bessa est tout en rondeur, comme le sera l’appareil lui-même qui doit tenir facilement dans une poche. Au contraire de son prédécesseur l’Avus 9x12 à plaques, une boîte raide et carrée une fois repliée, il n’y point de coins aigus dans le Bessa, toutes les lignes droites se terminent par un arrondi sympathique. Au départ, le Bessa est un appareil simple dont les prix sont étudiés au plus juste. Un seul format, le 6x9 sur bobine 120 (code allemand : B2-8, il existe un film B2-6 plus court), un seul type d’objectif, un triplet Vaskar de 10,5 cm de focale [4], et un seul obturateur, un Vario de chez Gauthier : T, B, 25, 50, 100. En 1930, on lui adjoint un grand frère au format 6,5x11 pour bobines 116 (code allemand : D-8), mais c’est toujours un appareil simple, avec un Voigtar de 12 cm de focale et un obturateur analogues à celui du modèle 6x9. 2 Le Bessa se développe et traverse la guerre [5]Le Bessa est un succès ; en 1935 la gamme s’étoffe et comprendra avant guerre jusqu’à 10 modèles dont la gamme de prix s’échelonne entre 26,5 marks et 85 marks ! Le Bessa le moins cher est équipé d’un triplet Voigtar de 10,5 cm ouvrant à 7,7 et d’un obturateur Singlo, le moins cher de chez Gauthier qui ne monte qu’au 1/75s. Le Bessa le plus cher est alors équipé d’un Skopar (formule tessar) de 10,5 cm ouvrant à 4,5 monté sur un obturateur Compur-Rapid de chez Deckel, montant au 1/400s. Ces modèles 6x9 seront fabriqués jusqu’en 1950, les petits obturateurs simples de chez Gauthier disparaissent, Gauthier fournira alors un Prontor II (1/175s) et un Prontor S (1/200s) en parallèle avec le Compur-Rapid de chez Deckel qui reste toujours le plus cher. Le Prontor S et le Compur-Rapid d’après guerre ont la synchro flash X. Pour tous ces modèles, on utilise la particularité optique des triplets et des Tessars qui autorisent la mise au point par le seul dévissage de la lentille frontale sans que la qualité d’image n’en souffre trop. En 1937 un système de cache et de double fenêtre rouge est introduit, permettant de faire 16 vues de format 4,5x6 sur la même bobine 6x9. En 1936, Voigtländer améliore encore le Bessa dans une version coûteuse qui s’éloigne cette fois du projet initial bon marché : il s’agit du Bessa à télémètre couplé, nommé Bessa E par Claus Prochnow, « E » comme Entfernungsmesser = télémètre (on trouve le nom de Bessa RF pour range finder en terminologie anglo-saxonne). Dans ce modèle nettement plus complexe sur le plan mécanique, l’ensemble de l’objectif se déplace en coulissant sur l’abattant frontal, comme sur l’Avus par exemple, la fourche porte-objectif étant couplée avec un télémètre à coïncidence incorporé au-dessus du boîtier. Tous ces Bessa E sont équipés du Compur-Rapid le plus cher, la gamme de prix s’échelonne entre 147 marks pour le premier modèle équipé d’un triplet Helomar 3,5 de 10,5 cm, jusqu’au plus cher à 187 marks équipé d’un Heliar 3,5 de 10,5 cm (5 lentilles en 3 groupes). Le modèle intermédiaire Skopar est proposé à 167 marks. Le Bessa E continuera à être fabriqué jusqu’en 1949, les Skopar et Heliar sont recalculés après la guerre et s’appellent Color-Skopar et Color-Heliar. L’après guerre voit également l’introduction du traitement anti-reflet, absent en règle générale sur les objectifs allemands d’avant la guerre [6]. En parallèle avec les modèles 6x9 dont les prix grimpent, Voigtländer maintient des modèles d’entrée de gamme sous la forme de modèles 6x6 et 4,5x6 introduits en 1938 [7], la gamme de prix s’échelonnant entre 88 et 133 marks. On retrouve les mêmes combinaisons optiques, triplet Voigtar, Skopar à 4 lentilles formule tessar et Heliar à 5 lentilles en focales de 75mm avec mise au point par dévissage de la lentille frontale. Ces modèles seront fabriqués jusqu’en 1951 sous différentes variantes, en particulier au niveau des viseurs. Les 6x9, le normal et le Bessa E ainsi que le petit Bessa 6x6 partagent donc avec le Rolleiflex et la Citroën « Traction Avant » le privilège d’avoir traversé la guerre sans interruption de fabrication [8]. 3 Derniers modèles, dernières années (1950-1956) [9]En 1950 est introduit un modèle que Claus Prochnow appelle Bessa-I, et comme son nom ne l’indique pas, ce n’est ni le premier Bessa de 1929 ni le premier Bessa de l’après guerre. Mais c’est le premier Bessa de la République Fédérale, fondée en mars 1949 [10]. Le Bessa-I utilise toujours le dévissage de la lentille frontale, il n’a pas de télémètre. On trouve toujours le triplet Vaskar en entrée de gamme, ainsi que le Skopar devenu Color-Skopar [11]. Là encore, les différents modèles d’obturateur contribuent à la différence de prix, le moins cher, toujours de chez Gauthier, est un Pronto qui monte au 1/200s et le plus cher, le synchro-compur N°0 MXV monte au 1/500s et équipe également le Rolleiflex 2,8. En parallèle est fabriqué le modèle Bessa-II ; peut-être le plus recherché des collectionneurs, c’est aussi le plus cher et le plus raffiné, il prend la suite directe du Bessa-E. D’abord équipé en 1950 du Compur-Rapid au 1/400s, les modèles suivants à partir de 1951 reçoivent le Synchro-Compur au 1/500s. Le prix du Bessa-II s’échelonne entre 260 marks pour le premier modèle de 1950 (Color-Skopar sur Compur-Rapid) et jusqu’à 395 marks pour le modèle le plus cher équipé de l’Apo Lanthar sur Synchro-Compur. L’ autre optique proposée étant le Color-Heliar, un peu moins cher que l’Apo-Lanthar. En 1956, indique une source Internet [12], l’entreprise est en déficit sévère. L’actionnaire principal de Voigtländer depuis 1925, Schering AG, vend ses parts à Zeiss Ikon, le grand concurrent. Certes, la fusion n’est pas effective, le deux gammes de produits continuent en parallèle, mais le Groupe Zeiss qui chapeaute désormais ces deux grands noms de la photo allemande met un coup d’arrêt aux appareils moyen format dans les deux usines. L’année 1956 voit donc la fin du Bessa, l’année même où Voigtländer fête le quatre-millionième objectif et célèbre la fondation de l’atelier de Christoph Voigtländer à Vienne 200 ans plus tôt. Seul le Perkeo 6x6 continue jusqu’en 1958, ce sera le dernier du genre pliant à bobines 120. En parallèle chez Zeiss Ikon on arrête l’Ikoflex, un 6x6 bi-objectif de prix abordable. Du coup chez Rollei sortent le Rolleiflex T, mais ceci est une autre histoire... Les deux marques Zeiss Ikon et Voigtländer se concentreront par la suite essentiellement sur les appareils 24x36 et les projecteurs de diapositives de même format ; néanmoins Voigtländer continuera la fabrication des objectifs de chambre jusqu��������������������à la fermeture définitive de l’usine en 1972. Après une tentative trop tardive de fusion des deux marques en 1970, le groupe Zeiss se retire du marché photo amateur et, en même temps que Voigtländer à Braunschweig, ferme l’usine Zeiss Ikon de Stuttgart sans autre forme de procès. L’usine Voigtländer de Braunschweig (à Gliesmarode, un faubourg) n’a pas été démolie, elle existe toujours (figures 1, 2, 3), elle héberge diverses entreprises qui, à l’exception d’un atelier de réparation de matériel photo donnant sur la Petzvalstraße longeant l’ancien site industriel, n’ont plus rien à voir avec ce qui fut depuis 1840 le métier d’optique et de mécanique de précision de chez Voigtländer.
4 La ré-utilisation du nom BessaLa première entreprise a avoir réutilisé le nom de Bessa n’est autre... que Voigtländer ! Il s’agit du Bessamatic, introduit en 1958, un appareil reflex 24x36 mono-objectif à système. Le Bessamatic n’a franchement rien de commun avec le Bessa classique à rollfilm si ce n’est d’avoir été fabriqué dans la même usine et de porter sur son objectif standard 2,8 de 50 le même nom de Skopar qui avait équipé tant de Bessas à partir du milieu des années 1930. L’entreprise ferme ses portes définitivement en 1972 par décision irrévocable du Groupe Zeiss. Le savoir-faire optique et certaines machines sont rachetés par Rollei, le voisin et concurrent à Braunschweig. Une large page de publicité dans les magazines annonce alors : « De nouveau des Voigtländer ! » et montre une belle collection de produits anciens. Rollei ne réutilisera pas le nom de Bessa pour ses appareils vendus sous la griffe Voigtländer. Aujourd’hui les droits de la marque et les noms déposés de chez Voigtländer sont exploités depuis 1997 par l’entreprise RINGFOTO GmbH & Co. ALFO Marketing KG [13] qui ne fabrique pas elle-même de produits. Le nom de Bessa fut d’abord réutilisé pour désigner un petit appareil 24x36 à viseur et télémètre couplé fabriqué par Cosina. L’actuel Bessa-III de chez Fujicosigländer est donc, depuis 1957, le plus proche du Bessa classique dans son principe. 5 Un mot sur les objectifs du Bessa« ... Weil das Objektiv so gut ist... », ... Pour son objectif merveilleux,..., c’était la réclame de chez Voigtländer. Il faut dire que la fameuse maison de Braunschweig figure parmi les pionniers de l’optique photographique avec le célèbre Petzval f/3,7 de 1840. L’usine a toujours fabriqué ses propres objectifs, au contraire de Rollei qui avant guerre se fournissait chez Carl Zeiss exclusivement, puis chez Zeiss et chez Schneider-Kreuznach après la guerre jusqu’en 1972, pour des raisons expliquées plus bas. Le Bessa reçoit donc une gamme d’objectifs qui va du triplet en entrée de gamme jusqu’à l’Heliar à 5 lentilles en passant par le Skopar à 4 lentilles, analogue au Tessar.
Le destin de l’Heliar est un peu étrange. Breveté en 1900 par Hans Harting chez Voigtländer, il précède donc de deux ans le Tessar de Paul Rudolph chez Zeiss. Logiquement, avec ses 5 lentilles, l’Heliar aurait dû être meilleur, mais commercialement le Tessar l’emporte pourtant, avec une lentille en moins, mais aussi un collage en moins ; il est moins cher à fabriquer pour une performance tout aussi bonne. Apparemment le problème de l’Heliar est qu’il est difficile à cette combinaison de dépasser les 55° d’angle de la focale normale, alors que pour 5 lentilles et une même complexité, les formules d’après guerre comme le Planar Zeiss ou le Xenotar Schneider permettent d’aller plus loin en ouverture maximale et angle de couverture. Alors que le Tessar est probablement, juste après le triplet, l’objectif qui a inspiré le plus de concurrents en photographie, l’Heliar reste, à quelques exceptions près, une formule propre à chez Voigtländer malgré d’excellentes qualités optiques, sa seule vraie limitation étant l’angle de champ accessible. L’une des exceptions qui confirment cette règle de faible diffusion du type Heliar chez la concurrence c’est sans doute l’Apo Saphir de chez Boyer [14], une optique de banc de reproduction tellement bonne qu’elle passait pour une vraie bénédiction chez les faux monnayeurs : à l’époque où vrais (et faux) billets étaient fabriqués par photogravure à l’aide d’optiques photo sur banc, M. Riondet, sur le forum galerie-photo.info [15], dit que les propriétaires d’Apo Saphir de chez Boyer devaient se déclarer aux autorités françaises, inquiètes de l’éventualité de voir apparaître des faux indétectables fabriqués avec cet objectif « presque parfait » ! Vers la fin de la carrière du Bessa, le Bessa-II sera équipé de l’Apo-Lanthar, une formule (5/3) de type Heliar brevetée en 1950 mais utilisant de nouveaux verres développés chez Schott après la guerre. À l’époque, le chef du bureau de calcul optique est Albrecht Wilhelm Tronnier, un fameux créateur d’optiques qui avait travaillé chez Schneider-Kreuznach avant la guerre, mais dont le nom est alors associé à la plupart des brevets protégeant les optiques Voigtländer d’après guerre. Lorsque Fuji et Cosina décident d’appeler Heliar l’objectif qui équipe le Bessa-III 667, il ne faut pas aller chercher une quelconque filiation, puisque l’objectif du Bessa-III est de formule (6/4), probablement la formule la plus fructueuse dans l’après guerre pour toutes sortes d’optiques de focale fixe à usage photographique. À grand ouverture jusqu’à f/1,4 en petit format, ou bien ouvrant à 5,6 mais de haute performance jusqu’à 75° de couverture (la norme actuelle des optiques de chambre grand format), le « double gauss » (6/4) surclasse l’Heliar historique (5/3) sur tous les plans. L’Heliar et l’Apo Lanthar resteront au catalogue Voigtländer des optiques de chambre jusqu’à la fermeture de l’entreprise en 1972, en particulier les focales de 105 mm, celles du Bessa, destinées à la prise de vue en 6x9. À la fermeture de l’usine Voigtländer, Rollei rachètera le savoir-faire et les machines, mais n’utilisera plus ni les noms ni les combinaisons des optiques Heliar ou Apo Lanthar. C’est seulement à partir de ce transfert en 1972 entre les deux grands concurrents de Braunschweig que Rollei acquiert une capacité de production d’objectifs, la production optique chez Rollei s’arrêtait auparavant à la fabrication des lentilles Rolleinar pour le Rolleiflex. Ce savoir-faire optique était resté actif jusqu’à la récente faillite de l’entreprise Franke et Heidecke en mars 2009. Iconographie et sources bibliographiquesLe Bessa classique n’est pas un appareil rare, Claus Prochnow indique un nombre total de 575 000 appareils fabriqués entre 1929 et 1950, auxquels on peut ajouter environ 110 000 modèles des dernières séries Bessa I et II entre 1951 et 1956. Un très grand nombre de sites Internet présentent des photos des différents modèles de Bessa, par exemple, par ordre chronologique : Site de G. Langlois Bessa 6x9 (1931-1949) site de G.
Langlois site de Sylvain Halgand Bessa E à télémètre (1936 - 1950)
(Bessa RF sur le site de Sylvain Halgand) Bessa 6x6 (1938-1948) site de G.
Langlois Bessa I (1951-1956) site de Jeanne M.
sur flickr Bessa II (1950-1956) site de Sylvain
Halgand Une liste très complète avec images se
trouve également ici sur le site CollectiBlend :
Le scan par Pierre
Lavergne de la notice originale en Français du Bessa II de son père,
mis en ligne par Daniel Herlent (merci à tous les deux) : Pour la rédaction de cet article, nous nous sommes appuyés surtout sur la source à notre avis principale, le livre de Claus Prochnow (1930-2008) : Claus Prochnow : Voigtländer Report 3. Platten- und Rollfilmkameras ab 1840, appareils à plaque et à bobines (non reflex) depuis 1840, objectifs de chambre. 320 pages avec environ 700 illustrations, ISBN 978-3-89506-274-2, Lindemanns, Stuttgart, 2007. Une biographie de Claus Prochnow (en
anglais) sur le site de Carlos Manuel Freaza : Notes et Références
Sur les Bessa, voir sur ce site :
Dernière modification : septembre 2009
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