[abonnement gratuit]
l'auteur

Frédéric Elkaïm
Savez-vous parler
l’art
contemporain ?
Collection Je est ailleurs,
Magellan & Cie, 2018,
ISBN 978-2-35074-501-5,
199 pages, 15 €.
Qui est Frédéric Elkaïm ?
Frédéric Elkaïm, fondateur du site
www.art-nom.ch
est ancien directeur de
Drouot Formation,
l’école du marché de l’art à Paris, ancien
spécialiste du marché de l’art et conseiller en
art pour
le Cercle Menus Plaisirs
à Genève où il
a eu l’occasion d’enseigner, conseiller et
coacher les artistes, collectionneurs et
entreprises.
Auteur de livres, textes et
articles, sa dernière publication s’intitule
«
Parlez-vous l’art contemporain », aux éditions
Magellan. Il a par ailleurs fondé avec Rachel Dudouit le Cercle franco-suisse des
collectionneurs et amateurs d’art.
Source :
https://art-now.ch/a-propos/
|
|
Notes de lecture :
Savez-vous parler l'art contemporain ?
livre de Frédéric El Kaïm
par Henri Peyre
L’ambition du livre est d’entraîner le lecteur
vers l’art contemporain. Son auteur, qui forme
des amateurs d’art à mieux comprendre l’art
contemporain, nous livre un grand nombre
d’observations, de recettes et de conseils pour
approcher un domaine qu’il estime encore
méconnu. Mais atteint-il vraiment son but ?
Une entrée en matière catastrophique
Disons-le tout net, le
livre commence très mal. Frédéric Elkaïm
commence par réclamer « un lâcher-prise sinon
rien » (p20) ; il faut entendre par cette
demande que le lecteur doit faire un effort sur
lui-même pour « lâcher prise sur [sa] conception
arrêtée de ce qui est ou n’est pas de l’art ».
Or arrêtée ne veut pas forcément dire
irraisonnée, comme l’auteur feint de le croire.
Une telle mésestime indispose d’emblée le lecteur un peu cultivé et le rend peu propre à
se convertir, puisqu’il s’agit d’une conversion
à reproduire, celle que l’auteur a connue avant
lui.
Suivent « Douze conseils
pour les débutants » dont la simplicité
peut étonner :
« N°1 : Eviter le J’aime-J’aime pas ».
« Il s’agit d’être humble face à ces objets
non identifiés ». Mais semble-t-il rien de
propre à l’approche de l’art contemporain
puisque l’auteur souligne que « Nous avons
tous adoré des peintres que nous avons ensuite
délaissés, trouvant qu’ils manquaient finalement
de puissance, de contenu ou de complexité.
Renoir ou Chagall, si je me réfère à mon propre
exemple. (…) Notre goût évolue, ce qui prouve la
relativité d’un jugement trop hâtif. ».
Mais que veut dire cet argument ? Que si on aime
un art ancien, le fait de se dire j’ai aimé,
puis je n’ai plus aimé le même objet devait
empêcher pour toujours d’aimer ? Bien curieuse
conclusion qui aurait des effets stérilisants
sur la vie sentimentale n’est-ce pas ? Fausseté
aussi : ne nous est-il jamais arrivé d’aimer de
nouveau ce que nous n’aimions plus ? Mais
n’est-ce pas que l’auteur,
face à un art qui ne se veut pas aimable, mais
dominateur, invoquerait plutôt la nécessité
d’une soumission a priori ?
« N°2 : Ce n’est pas grave
si ce n’est pas beau ». « La question
du « beau » ou de l’esthétique » qui, longtemps,
a servi d’unité de valeur aux créations
artistiques, n’a plus véritablement cours
aujourd’hui. » L’auteur commence par
déqualifier cette valeur par le même
raisonnement spécieux que celui du n°1 :
« Il s’agit là aussi d’une notion toute relative
et l’on sait pertinemment combien elle a
fortement évolué au fil de l’histoire des
images ». L’emploi de l’adverbe
« pertinemment » souligne, comme toujours en ces
temps de faiblesse du vocabulaire où on n'a
jamais autant employé d'adverbes, une faiblesse
de la démonstration (quel est ce « on » qui sait
si bien ?). Par ailleurs, non, la notion de beau
n’est pas si relative que cela justement, et
c’est pourquoi elle s’est si bien maintenue au
travers des siècles et manque tant au public
dans l’art contemporain. Affirmer son
instabilité au cours de l’histoire reste encore
à démontrer.
Le double coup de force révèle
la puissance d’un premier dogme : celui du Beau
interdit.
« N°3 : Accepter que ce
soit mal fait ». Un artiste contemporain,
explique l’auteur, ne cherche pas à ce que ce
soit « bien fait ». En effet « rappelez-vous
que dans la grande majorité des cas, les
artistes maîtrisent parfaitement le dessin et
qu’ils ont simplement, à dessein, décidé
d’explorer d’autres territoires. »
Affirmation parfaitement fausse là encore. J’ai
personnellement éprouvé que mes collègues aux
Beaux-Arts de Paris étaient absolument nuls en
dessin dans les années quatre-vingt-dix, et peut
vous dire pour avoir enseigné dans les écoles
d’art depuis, que cela ne s’est pas arrangé. En
réalité les artistes contemporains sont dans
leur immense majorité vraiment très faibles dans
la discipline.
« N°4 : Il n’est pas
nécessaire d’être touché pour apprécier une
œuvre ». L’auteur nous explique que
« nombre d’artistes nous enjoignent à considérer
l’art comme un fait en soi, détaché des
sentiments, plutôt une réflexion. » et le
contraire pour faire bonne mesure :
« d’autres cherchent au contraire à susciter de
fortes impressions, voire à manipuler nos
sensations, afin de nous faire réfléchir sur
notre mécanisme émotionnel (…) après tout la
publicité ne fonctionne pas autrement et l’on a
tout à gagner à se libérer du pouvoir émotionnel
des images. » Ah. Il faut donc arriver à
vaincre ses émotions. Diable, verrait-on
apparaître une sorte d’apologie techniciste de
la maîtrise de soi ? A surveiller.
« N°5 : Faut-il rejeter
l’art triste ou angoissant ? ». Pour
l’auteur « Il est vrai que la production
actuelle en art manque de gaîté, de joie de
vivre, d’optimisme » mais c’est que
« la création dénonce les manipulations ».
Il s’agit donc d’assister à des dénonciations,
pas de se détendre. Comme le souligne l’auteur,
pour se détendre, « vous avez tant de
possibilités déjà, depuis les parcs Disney
jusqu’aux expositions d’art abstrait ».
Bigre, mon ami, comme vous y allez !
« N°6 : Accepter de ne pas
comprendre pour mieux comprendre ».
L’auteur souligne que les artistes veulent être
mystérieux. « Pour la plupart, le but, c’est
bien de vous faire réfléchir et ils ont vraiment
une idée derrière la tête (…) ces œuvres sont
des rébus que l’on peut résoudre avec un peu de
pratique et de documentation (…) il faut
accepter de ne pas comprendre, pour tenter de
remplir soi-même les vides et devenir acteur du
processus d’exposition. Une sorte de co-créateur…
Pas mal, non ? ». Ce « pas mal
non ? » a des allures de triomphe. L’auteur est
sûr de nous avoir apporté une révélation. C’est
quelque chose de vaguement désagréable, comme si
on se sentait un peu sous-estimé. Or le principe
que l’art doit fonctionner suivant le modèle des
mots-croisés de Télé 7 jours ne nous remplit pas
d’une joie bien grande.
« N°7 : Ne pas partir du
principe qu’on se fiche de moi ». Beau
principe, même si l’auteur concède que « oui,
parfois, on se moque vraiment de nous » ;
« parfois, aussi l’artiste [se coupe] du
public pour [autoalimenter] sa propre réflexion
hyper-référencée et de quatrième degré ».
Un peu décourageant le principe n°7 donc.
« N°8 : Ne pas se laisser
influencer par les prix, la notoriété, le
système électif, le snobisme, les magouilles ».
Là il faut que je vous mette juste le texte,
sans commentaire, du truc que nous donne
l’auteur. C’est précis comme une recette de
cuisine et sérieux comme un bedeau. « Pour
commencer, allez voir La Joconde au Louvre.
Evitez de regarder les marchands ambulants qui
vous proposent le célèbre sourire sous toutes
ses formes ; fendez la foule des touristes venue
uniquement pour filmer le moment historique o������������������������
ils se trouvent à proximité de ce mythe. Faites
le vide (je vous concède que c’est difficile) et
posez votre regard sur le tableau dix minutes
d’affilée sans bouger. Je vous assure que vous
dépasserez la représentation pour entrer de
plain-pied dans le mystère réel de ce portrait.
Je vous invite à procéder de la même manière
pour aborder toute œuvre d’art contemporain. »
« N°9 : Comment regarder
une œuvre ». Forcément, l’auteur, en
relisant le principe n°8 avait dû en flairer la
faiblesse. Oui. Comment regarder une œuvre ?
L’auteur nous donne sa recette : « je vous
livre la mienne en espérant qu’elle puisse vous
être utile. Ne téléphonez pas, ne prenez pas
d’emblée une photo ». On rêve. Ça
continue : « Fermez les yeux et faites-vous
une première impression (chaud, froid, dur,
drôle, dégoûtant, bizarre, énervant, excitant)
(…) ». C’est seulement à la fin qu’il faut
regarder le cartel. L’auteur complète, toujours
très sérieux : « souvent il ne vous dira que
peu de choses, mais le titre peut être une
précieuse source d’information. Le problème,
évidemment est que la mention « sans titre » est
de plus en plus fréquente ». Pas de
panique, ça peut arriver. « De toutes façons
il faudra aller prolonger l’étude de l’œuvre sur
internet en rentrant chez vous » ou
« demander à des médiateurs lorsqu’il y en a ».
Sapristi.
« N°10 : Comment compléter
une découverte ». C’est le premier principe
non-ridicule. L’auteur nous invite à rechercher
des informations sur l’artiste sur internet, sur Wikipedia, sur le site des galeries ou de
l’artiste (« N’hésitez-pas à lui écrire un
mail pour en savoir d’avantage »). Pas de
commentaire à faire pour le n°10.
« N°11 : Découvrez les
œuvres en-dehors de la frénésie, des événements
et du foisonnement ». L’auteur nous engage,
entre autres, à « [Préférer] les galeries,
souvent désertées »(sic - Honni soit qui
mal y pense).
Enfin
nous arrivons au douzième principe :
« N°12 : Gardez le plaisir et
l’enthousiasme ». Cela ne semble pas aller
de soi. Il faut le dire et le répéter, ce que
fait l’auteur dans cet acte de foi qui clôt cet
édifiant premier chapitre : « Ce qui est bon
dans la création contemporaine, c’est d’être
libre, de rester enthousiaste et naïf. »
Oui. Surtout naïf.
La lecture de ces douze premiers conseils
pourrait largement dissuader de poursuivre. En
réalité on aurait tort. Le point de vue de
l’auteur est celui d’un nouveau converti à l’art
contemporain. De l’effort qu’il a accompli sur
lui-même et ses préjugés, il tire une fierté
qu’il entend nous faire partager. Cette position
donne tout son intérêt au livre et en fonde le
point de vue.
Soumission au dogme
historique
Le chapitre II est consacré à ce que l’auteur
considère comme l’apport de Marcel Duchamp et de
son urinoir. Il feint, comme c’est de tradition,
de croire que Marcel Duchamp(1) a été le premier à
poser une série de questions – que toutes les
académies et leurs opposants se sont en fait
toujours posées :
« Qui confère à l’œuvre d’art son statut
d’œuvre d’art ? Pourquoi faudrait-il que
l’artiste fasse preuve d’un savoir-faire
technique si l’art est cosa mentale comme le
disait déjà Leonard de Vinci ? Comment un
contexte, un environnement, peuvent-il interagir
sur l’œuvre ? Pourquoi l’œuvre d’art serait-elle
unique (…) ? »
Et de conclure : « C’est le regardeur qui fait
l’œuvre d’art tout autant que l’artiste
lui-même ». Ainsi « Un caddie rempli de
cannettes rouillées dans un musée EST une œuvre
d’art parce qu’on vous l’a dit et qu’en allant
dans le musée vous décidez aussi de lui
accorder de la crédibilité. »
Mais, de nouveau, qui est ce « regardeur » ? L’auteur
cache, comme c’est la tradition, le tour de
passe-passe : la qualification du regardeur
n’est pas définie ; autrefois l’Académie, assez
démocratiquement, imposait des principes et des
goûts après discussion ouverte et bruyante entre
pairs. Aujourd’hui la qualification a lieu de
façon obscure suivant les possibilités de
spéculation que donne la qualification de
certaines valeurs… et les possibilités de
blanchiment d’argent sale qui suivront. Et sur
l’argent sale, il n’y aura absolument rien dans
le livre.
L’auteur poursuit, dithyrambique : « Ce qui
compte ce n’est plus la forme catégorisée,
habituelle imposée par le marché ou les
institutions. Non ce qui compte, c’est l’idée
qui produit cette forme et que l’objet
représente, et peu importe comment elle est
faite, quel « medium » elle utilise»… là où
chacun voit bien au contraire que jamais les
institutions ne se sont autant préoccupées d’art
d’un côté, et que le marché semble avant tout
sélectionner pour sa part des valeurs qui
peuvent ressembler à des billets de banque :
comme les billets, facilement reconnaissables et
peu variés, assez nombreux dans leur modèle pour
que la banque puisse en distribuer suffisamment.
L’idée semble bien peu compter.
Difficulté de définir
l'œuvre
L’auteur, très admiratif pour ce qui est des
œuvres contemporaines, peine pourtant à les
définir. Il essaie de nous faire comprendre ce
qu’elles peuvent être : ce sont des rébus à
déchiffrer (chapitre V) ; c’est pour cela
qu’elles nous demandent du travail : « on nous
demande de faire le boulot d’un archéologue
en tentant de relier la forme présentée à nos
propres références, pour reconstituer une sorte
de puzzle… (…) L’une des grandes qualités de
l’art contemporain est de nous inviter à nous
extraire du contexte superficiel et hyperactif
de notre temps » ; deuxième allusion au danger
du téléphone portable, probablement, et fierté
d’avoir pu être mis, par l’œuvre, sur le chemin
de la pensée. S’ensuivra (p78) la seule œuvre
contemporaine décrite en détail, pour notre
édification : « Au pavillon espagnol de la
biennale de Venise, vous découvrez l’immense
« tas » de cailloux, de plâtre de béton ou de
verre brisé, presque des collines de ces déchets
évoquant la destruction d’un immeuble, dont les
matériaux auraient été mystérieusement triés et
entassés. Typiquement l’installation qui énerve,
qui semble inutile et prétentieuse, sans parler
du coût de production pour apporter avec des
camions ces tas de détritus de chantiers.
Pourtant vous avez une vidéo à l’étage. Vous
êtes pressé, mais regardez quand même un
instant : vous voyez les images d’une île
vénitienne qui semble abandonnée, avec des
explications de l’artiste. Bon, vous pressentez
qu’il y a là une clef, mais vous passez votre
tour car il reste encore beaucoup de pavillons à
voir (on est toujours trop pressé dans les
expositions). Tout de même, vous prenez en
partant le livret assez épais qui accompagne
l’exposition parce que vous avez été piqué au
vif et que vous voudriez bien comprendre la
démarche de l’artiste. Ce livret vous
expliquera, quand vous pourrez le consulter au
calme, et ce de manière très détaillée (…)
l’intérêt que porte l’artiste, Lara Almarcegui,
aux territoires « laissés pour compte » au sein
des grands ensembles urbains (…) Justement dans
la lagune vénitienne, territoire de rêve, de
beauté, d’art et de tourisme s’il en est, il
existe une île-dépotoir inaccessible et même
dangereuse pour la santé (…) Ceux qui sont
sensibles – c’est mon cas – à ces questions de
société et d’urbanisme voient leur esprit
s’allumer d’une lumière sur l’évidence d’une
telle traduction plastique pour exprimer une
réalité cachée ».
Nous avons fait cette longue citation déjà parce
qu’elle concerne le seul exemple d’œuvre décrite
du livre, mais aussi parce qu’elle aide à
comprendre la jouissance de l’auteur. Elle le
sort de l’instantanéité et il a le sentiment
qu’elle l’aide à penser. Elle agite en lui l’émotion de la pensée. Nous touchons là à ce
qui nous a plu vraiment, au travers de ce livre, chez
Frédéric Elkaïm. Il y a une noblesse dans cette
émotion à penser, à se rendre compte qu’on jouit
de la pensée, cette chose qu’on croyait nous
avoir fui.
Evidemment on mesure la naïveté de
l’installation elle-même, et on est un peu
étonné que l’auteur ait pu apprécier ce
dispositif balourd et dénonciateur, ce rébus
simplet… mais l’homme n’est pas mauvais dans le
fond, et après cette page 79, j’ai changé ma
lecture de ce livre. Disons que j’étais dès lors
plus compassionnel.
L'art contemporain comme milieu
La suite du livre, faute d’avoir pu
convenablement décrire ce qu’était une œuvre,
examine la question par l’approche du milieu.
Avant que d’être des œuvres, il semble que l’art
contemporain, pour l’auteur, soit avant tout un
milieu. Et ce milieu le fascine. C’est à cet
endroit que le livre est réellement intéressant.
La description est vraiment juste et, dont acte,
sans concession.
L’anoblissement passe par « une capacité à être
de son temps » (p108). L’amateur d’art
contemporain veut se percevoir comme « quelqu’un
qui domine plutôt qu’il ne subit l’accélération
des mutations » (p109). En achetant de l’art
contemporain, le collectionneur montre « [qu’il
est] créatif, [qu’il a] les idées larges »
(p116). En même temps il mise sur une
« éventuelle plus-value ».
L’auteur va jusqu’à dresser (p127) une liste
exhaustive de toutes les motivations à acheter
de l’art contemporain, en concédant que la
plupart « relèvent de la représentation sociale
et de l’investissement ».
Il décrit plusieurs types de spéculation, y
compris malhonnêtes (p 130 et suivantes). Ce
chapitre sur la « déontologie pour les
professionnels » ne cache pas plusieurs affaires
bien noires. On sent que l’auteur connaît bien
le milieu de l’art contemporain et qu’il ne fait
pas bon s’en approcher.
Aussi finit-on par se demander si le chapitre
Etre Artiste et Survivre (p144) viendra apporter
un peu de douceur dans ce monde de brutes.
Les artistes sous haute
surveillance sociale et les autres...
Là encore, l’analyse de l’auteur est
parfaitement juste, si elle n’est, hélas, pas bien
gaie.
Pour les artistes, il s’agit avant tout de faire
carrière, en évitant les faux pas
dans un monde où tout doit être fait pour
montrer qu’on est capable de se soumettre aux
lois du milieu ; c’est qu’il faut créer des
valeurs suffisamment prévisibles pour porter les
intérêts spéculatifs des acheteurs. En verve,
l’auteur va jusqu’à donner le calendrier du
cheminement social idéal pour l’artiste à
succès : c’est en 24 points à la page 145 avec
un premier chiffre : 95% des artistes ont fait
une école des Beaux-Arts. Pour les autres, c’est
mort. Et c’est, là encore, tout à fait juste et
bien vu.
A partir de là toutefois, le sentiment
s’installe que l’auteur est allé trop loin dans
sa franchise ; même s’il tente de nous inciter à
nous lancer et à collectionner, l’envie de le
rejoindre nous abandonne. Si le livre a le
mérite de la franchise il décrit un monde
consternant qui ne brille dans le regard de
l’auteur que parce que l’argent semble y couler
à flot, quoiqu’il soutienne si souvent le
contraire. Le chapitre V (p161) et ses dix
étapes pour devenir amateur d’art « et
survivre » (encore !) comme l’avance
mystérieusement l’auteur qui veut héroïser cette
action, ne peut plus nous intéresser. On ne voit
décidément pas pourquoi il faudrait s’intéresser
à une société si médiocre.
La conclusion porte le titre : « sommes-nous
obligés d’aimer l’art contemporain ? ». L’auteur
y concède la mauvaise qualité de nombre de
propositions et les déceptions possibles mais ce
n’est que pour mieux nous rappeler que « c’est
vous-même qui, en rencontrant l’œuvre d’art, en
lui donnant ou pas ce statut, en la maudissant,
en la comprenant, en la rejetant, en s’en
amusant, en l’appréciant ou en l’adorant, c’est
vous qui apportez la touche finale à la
création ! Sans regardeur pas d’œuvre. »
Qui revient à dire que si nous trouvons que
l���������art contemporain est vide c���est que nous
n’avons nous-mêmes pas réussi à le remplir. On
est dans le religieux.
Conclusion...
sous forme de bonnes résolutions
Finalement je refermai ce petit livre en me
faisant les réflexions suivantes :
1/ Personnellement quand je suis spectateur de
l’art des autres, je suis heureux si on m’épate.
Je ne peux pas arriver à admirer quelqu’un qui
ne m’épate pas.
2/ La description très juste du milieu de l’art
contemporain, qui correspond parfaitement à ce
que j’en connais (et est une raison valable
d’acheter le livre) donne envie, autant en tant
qu’acheteur qu’en tant qu’artiste, dans le
commerce des œuvres, de supprimer les
intermédiaires et de privilégier absolument la
vente directe. Ça tombe très bien, c’est le sens
général de l’histoire avec la montée en
puissance de la vente en ligne. L’existence de
ce petit milieu de happy few me semble déjà
complètement ringarde. Je doute que ce milieu
largement subventionné, vestige d’une époque où
les états étaient riches, dure encore bien
longtemps.
3/ L’art, expression des élites, doit être
exemplaire. Il est une vitrine, très regardée
par le peuple, du comportement des privilégiés.
Il y a un danger politique clair à ce que l’art
ne soit pas admirable. Incompréhensible et sans
beauté, il ne peut guère être respecté. Et si au
début la crainte religieuse qu’il existe quelque-chose qu’on ne voit pas permet qu’il tienne, sa
médiocrité répétée finit par provoquer les
railleries et bientôt la haine, haine légitime
puisqu’exercée sur un pouvoir sans fondement.
Quand les élites ne donnent pas l’exemple, elles
ne sont pas respectées par le peuple.
4/ Enfin, concernant l’œuvre d’art j'avais
encore plus envie qu’elle soit :
- Belle,
- Comprise de suite, sans créer le recours aux
discours de parasites,
- Techniquement parfaite, avec de beaux
matériaux,
- Elevée dans le propos, sans dénonciation ni
médiocrité, que ce soit une œuvre « pour », pas
une œuvre « contre »,
- Capable de donner à l’acheteur le sentiment
qu’il possède un trésor,
- Non-subordonnée à une histoire dépassée qui
veut légitimer ses manques.
Et, je le répète, vendue en direct par
l’artiste. Notre époque le permet enfin.
Profitons-en. Exerçons simplement notre liberté.
Notes
(1)
sur Marcel Duchamp sur ce site : lire la page
en
lien.
dernière
modification de cet article : 2021
|