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Matthieu GAFSOU : montagneMatthieu, pourquoi cette série sur la montagne ?Il y a plusieurs raisons. La plus évidente c’est que la montagne cristallise parfaitement les préoccupations esthétiques qui sont les miennes depuis la série Espaces nomades et qui s’articulent autour d’un paradoxe : l’engouement actuel pour « l’authenticité » de la nature est la cause du développement de pratiques touristiques qui mettent ce postulat de départ en danger. Je peux donc articuler un langage formel bicéphale qui met grosso modo une vision sublime de la montagne en conflit avec une approche totalement antiromantique de la nature. L’autre raison est très simple : j’aime passionnément la montagne. Les sports que l’on y pratique sont parmi les seuls qui ne me rendent pas l’humanité insupportable (ski de piste excepté) parce qu’ils allient le plaisir de l’expérience paysagère à l’effort. Bref, la montagne n’est pas le lieu du « Wellness » et autres idéologies de l’apparence qui me donnent de l’urticaire. Enfin, même si je n’abandonne pas les voyages et que je ne renie pas mon attrait pour l’altérité, la montagne c’est le proche (je vis en Suisse), et le travail en cours sur les Alpes me permet donc d’avoir une approche réflexive sur ma propre pratique de cet espace.
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l'auteur
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On présente ici de cette série plutôt des photographies témoignant d'une montagne habitée, dans laquelle les hommes semblent toujours de passage et enfermés dans de petites manies. Pourtant il y a aussi sur votre site des images de la même série qui sont de pur vertige, sans présence humaine. Pourquoi cet écart ?J’aime le choc qui se produit entre le sublime (ou le vertige), qui me semble relever du sacré, et le côté terriblement trivial, profane, de l’attitude des hommes dans ces lieux. J’ai été très profondément touché et influencé par les films de Terence Malik qui d’après moi traitent tous du hiatus (ou parfois du lien) entre nature et culture. Il y a chez lui une belle tristesse qui a séduit ma fibre romantique. Werner Herzog lui aussi, mais d’une façon plus tragique, thématise merveilleusement ces questionnements et m’a nourri. Je trouve dans ces films l’expression très puissante de l’absurde de la condition humaine, médiatisée par notre existence physique dans la nature. Au fond, le débat (simplifié) entre une approche culturaliste qui dit que notre rapport à la nature serait totalement construit et une approche phénoménologique qui donnerait sa chance à une expérience fondatrice ou originelle du monde me semble passionnant. Personnellement je pense que la vision phénoménologique procède d’une forme de mystique tandis que l’approche culturaliste consacre la raison occidentale. D’une certaine façon, je crois que la photographie, hors concepts, permet de réconcilier ces approches antagonistes.
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Quel est profondément pour vous le rapport de l'homme à la montagne ?La montagne peut nous tuer. Au même titre que le désert (l’autre sujet paysager qui m’intéresse, voir mes travaux en Tunisie ou en Israël). Je pense que c’est précisément parce qu’elle nous dépasse et nous confronte donc (même si l’on est très rationnel) au métaphysique qu’elle produit des émotions profondes, fortes. L’expérience du sublime est productrice de ce vertige qui me semble se manifester comme un effet paradoxal d’angoisse et de bien être conjugués, de liberté et de ratatinement. Mais la montagne est aussi arcadienne, c’est le village charmant, les alpages, le ruisseau, la fraîcheur en été, les edelweiss, etc. Autant de traits paysagers qui eux, au contraire, rassurent, confèrent au monde une dimension édénique, pure. C’est donc sur un plan esthétique plutôt le Beau qui est ici à l’œuvre. La montagne permet donc le passage métaphorique du paradis à l’enfer. Elle est un condensé émotionnel et esthétique du monde et de notre condition. C’est du moins ainsi que je la vis.
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La notion de vertige vous intéresse-t-elle ?Je n’y ai pas réfléchi en ces termes. Mais le vertige me semble être le produit de l’expérience du sublime. A ce titre il me passionne. Un vertige métaphysique donc, ressentir notre finitude face à ce qui semble infini. Saisir par l’intuition le gouffre de la mort.
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Avec quel matériel travaillez-vous aujourd'hui ?Pour la montagne, exceptées quelques images réalisées en 4x5, j’ai utilisé un boîtier moyen-format 6x7, principalement pour des raisons de commodité : en termes de sécurité et de poids, j’ai trouvé la chambre contraignante à la montagne. Comme je n’ai pas particulièrement envie de travailler sur les infrastructures touristiques et qu’il m’arrive même de faire de l’instantané, le Mamiya 7II est l’outil idéal. Je travaille en négatif parce que j’aime avoir autant de dynamique que possible et que cela me permet certaines largesses quant à la mesure de la lumière…
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dernière modification de cet article : 2011
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