Leica Q3, premières impressions
Une interview de Jean Desmaison
Jean, vous êtes un des premiers utilisateurs du
nouveau Leica Q3. Pour que le lecteur comprenne bien d'où vient le
jugement que vous portez sur l'appareil, pouvez-vous nous décrire un
peu votre parcours ?
Formateur psychosocio en « relations humaines »
pour les dirigeants et cadres d’entreprise, je suis venu à
l’audiovisuel en 1975 un peu par nécessité.
En appui de ces formations, les films 16 mm et
supports pédagogiques à disposition qui traînaient dans les placards
étaient tellement vieillots ou ringards que je me suis lancé un jour
dans la fabrication d’un petit diaporama plus adapté à nos
dynamiques de groupe.
Expérience plaisante, retours positifs, si bien qu’en 3 ans, je suis
passé en fondu enchaîné du métier de formateur (épuisant) à celui de
réalisateur (amusant), d’abord en diaporama multivision sur système
Electrosonic jusqu’à 30 projecteurs Carrousel Kodak, puis Simda,
plus rapides en changement d’image, puis (un peu) en film 16 et 35
mm et enfin en vidéo à partir de 1982 avec les premiers
magnétoscopes monstrueux 1 et 2 pouces PAL et SECAM de Pipa à
Montrouge, puis l’U-Matic/ BVU, puis la Betacam SP.
Cette production de supports de communication
s’est rapidement ouverte à tous les secteurs d’activité, industrie,
commerce, services, monde rural. Plusieurs récompenses de festivals
sont venues opportunément m’encourager dans cette nouvelle vie,
aujourd’hui faite de plus de 500 films.
Parallèlement j’alimentais ma passion pour la
photographie qui me prenait aux tripes à l’âge de 8 ans depuis ce
vieux Zeiss Ikon 4,5X6 paternel avec lequel je mitraillais la
famille, chiens et chats compris. Mais les développements et tirages
coûtaient cher à mes parents. Je me suis donc
rapproché d’un labo associatif, et avec l’aide de plus grands que
moi, j’ai appris la tambouille N&B, plus tard la diapo avec le
process Agfachrome 50S, ensuite le C41 à la Jobo et pour finir, l’E6
pour les diaporamas avec une machine entièrement faite maison.
Comme beaucoup sans doute ici, pendant des années,
je lisais, caché dans les tabac/journaux, tout ce qui se publiait ;
je bavais devant les articles de Chenz et sur ces matériels
inaccessibles, Nikon F, Pentax Spotmatic, Canon FTQL, Minolta
SRT101, Rolleiflex, Linhof et surtout les Leica M.
Avec mes premiers sous, j’ai acheté un Leica IIIc
rincé, puis un IIIf, puis un M3ds, puis M2, M4, plus tard un M6,
j’ai aussi hérité d’un gentil monsieur de la presque totalité des R,
et enfin un MP.
Cet engouement inconditionnel pour la marque a été douché net avec
la sortie du M8, les premiers pas tardifs de Leica en numérique
étaient plutôt chaloupés et bien peu convaincants.
Aucun Leica M numérique ne m’aura convaincu, les millions de pixels
et le télémètre me paraissant incompatibles, anachroniques. Quant
aux séries S, les budgets à investir paraissaient dissuasifs et pas
vraiment justifiés.
Donc en pro+plaisir, j’ai continué en MF : Blad, Alpa12SWA, ARCA
Rm2d.
En GF : Sinar, Linhof, Wista Field (ma préférée), Arca Misura, Toyo,
Tachihara…
Mais avec le temps, le poids et l’encombrement de ces belles
machines devenaient
cruels et dissuasifs.
Côté vidéo, même abattement malgré quelques
progrès avec les premières caméras HD JVC.
Sont alors tombés du ciel les premiers boîtiers full frame Canon 5D
qui cumulaient au moins 2 avantages : la photo ET la vidéo pour un
poids plume et un budget dérisoire. Gros succès mondial avec le 5DII
puis le 5DIII, mais avec le IV, Canon s’endormait sur ses lauriers.
Sony jaillissait dans l’ouverture avec ses Alpha 7 sII et RII, puis
atteignait des sommets avec sa FX3 cineline et son boîtier amiral,
l’Alpha 1.
Pour le travail photo et vidéo, c’était qualité, confort et sécurité
de production, optiques Zeiss, le bonheur. What else…
C’est alors qu’a surgi de nulle part ce Leica Q.
Le temps de glaner des retours significatifs et le QII sortait à son
tour, puis le surprenant QII Monochrom sur lequel je me jetais
enfin.
Je le revendais quelques mois plus tard : Rien que du N&B, c’était
un peu triste, et surtout, un lourd planning de production
documentaire (pour Canal+ entre autres) allait m’éloigner pour 3 ans
de la photo-plaisir, ce qui condamnait ce Q2 Monochrom à déprimer
sur l’étagère.
L’annonce récente du Q3 60 MP et 8K en vidéo ravivait des envies
latentes et c’est avec quelques complicités amicales, (merci
Baptiste de Panajou Bordeaux) que j’ai reçu le mien en juin (il est
toujours difficile à trouver en ce début septembre 2023 ! ).
Quelles étaient vos attentes à l'achat du Leica
Q3 ?
Séparer le plaisir du travail. Les Sony pour le
boulot, le Leica pour le perso. Un peu comme quand on se change en
jogging pour aller courir ou quand on pose sa voiture de travail
pour aller jouer avec sa Caterham Seven le WE dans les collines.
Surtout, la nostalgie des images « au rasoir mais
dans la soie » de ce fabuleux Summilux 1,7 de 28 mm que j’avais
connues avec le Q2 Monochrom et qui me manquait viscéralement.
Cette optique fixe, donc peu de chances de poussières sur le
capteur, s’utilise à différentes focales (28, 35, 50, 75, 90) à des
résolutions différentes bien entendu, grâce à des cadres lumineux
dans le viseur dans l’esprit des M et ça, c’est particulièrement
malin.
En quoi le Leica Q3 vous a-t-il particulièrement
comblé ?
D’abord la performance effarante de cette optique.
Associée à ce capteur de 60 MP, c’est la sensation enivrante d’avoir
dans les mains une 20X25 de poche. À chaque ouverture de fichier,
c’est « WOW! »…
Ensuite, cet encombrement dérisoire et ce déclenchement inaudible
qui assurent mobilité et discrétion.
Son écran orientable permet de viser comme avec un Flex ou un Blad.
Une tropicalisation bien réelle rassure et confirme le sentiment de
sécurité générale.
Enfin une ergonomie simplifiée à l’extrême, l’échelle des distances
macro qui se substitue par glissement, la qualité des JPEG, la «
correction de perspective » immédiate qui s’affiche dans le viseur
et agit comme un décentrement (très amusant ça), la finition Leica…
Sans faire de fétichisme outrancier, ce Q3 m’a réconcilié avec la
marque et je le considère comme le plus intelligent et le plus
abouti de la gamme actuelle.
En quoi le Leica Q3 a-t-il pu vous décevoir ?
L’absence (provisoire nous dit-on à Wetzlar) d’une
prise de microphone extérieur : elle serait prévue sur le port USB
type C. Patience.
Le demi-sac de protection mal foutu (et son prix très Leica !), mais
ces petites pinailleries ne sauraient ternir l’aura de ce somptueux
boîtier.
Quel usage allez-vous faire du Leica Q3 ?
Comme dit plus haut, il sera réservé à un
travail/plaisir personnel de production d’une série d’images
régionales en vue d’un livre et d’une expo sur « l’arbre, l’eau et
la biodiversité ».
Raison/motivation : Il y a quelques décennies, ma région(1)
avait pour slogan « Le pays de l’arbre et de l’eau ». Nos offices de
tourisme l’avaient modifié à l’époque, considérant qu’il
n’encourageait pas les vacanciers à venir séjourner ici par crainte
de s’y ennuyer. Avec le changement climatique, ce slogan a retrouvé
sa force et toute sa légitimité, il est de nouveau ô combien vendeur
et d’actualité (© protégés par Datasure).
Quels conseils auriez-vous à donner au futur
utilisateur du Leica Q3 ?
De l’acheter! Ouvrir la boîte à réception, c’est
déjà un grand moment!
Pouvez-vous nous présenter quelques images faites
avec l'appareil et dire en quoi le Q3 a pu particulièrement les
servir
En voici quelques unes. Le Q3 m'a semblé servir
particulièrement correction de perspective, couleur, latitude de
pose, définition, poids plume en crapahut, discrétion en street…
Leica Q3 : un format de poche
Belle image de la ville de Châteauponsac en 80,6 sur 53,6 cm... La
première qualité du Leica Q3 est son capteur de haute résolution (2)
Ci-dessus un détail de l'image précédente (sans accentuation)
Une des entrées de Châteauponsac
Un détail de l'image précédente.
La très haute définition de l'image permet, en limitant bien
sûr le nombre de pixels en sortie, de ne pas avoir à emporter une
suite de focales fixes dans le sac. Ici les marques du viseur
donnent le cadrage de l'objectif Summilux 28mm f/1,7 ASPH employé
comme un 50mm.
Sur la même place voici l'image obtenue en simulation de 90mm...
...et un détail au pixel.
Le Leica Q3 permet aussi un redressement de la perspective
verticale.
Quand l'option est choisie, les futures verticales apparaissent dans
le viseur sous forme de lignes blanches :
Limitation importante toutefois, le redressement ne donne que des
jpg déjà développés et pas du DNG natif.
Un exemple de l'application du redressement des verticales...
Détail de l'image précédente.
L'objectif offre une position macro (avec une
délicieuse substitution mécanique des profondeurs de champ
normale/macro sur le barillet, on achèterait l'appareil rien que
pour ça) :
Toujours en position macro, un exemple du bokeh
obtenu :
La haute définition combiné à un excellent rendu
des couleurs permet de donner un bon relief à des scènes fouillées,
comme cette devanture de librairie ancienne :
... dont on présente ci-dessous un détail pris à la porte :
Cette image au format panoramique de la place de
la Motte à Limoges permet de juger de l'agréable rendu des couleurs
de l'appareil :
Nous ajoutons 3 détails au pixel, pris sur
l'image :
En conclusion, selon vous, quel va être le
profil-type de l'acheteur d'un Leica Q3 ?
C’est un photographe mordu de la marque et
nostalgique du rendu et des performances passées vécues en
argentique.
C’est un photographe peu convaincu par les M
numériques qui coûtent 2 fois plus cher pour des raisons assez
obscures, par exemple ce viseur optique récurrent dont la conception
première remonte au début des années 50. Je n’ai fait que des photos
floues avec un M10 qu’on m’avait prêté !
C’est un photographe remuant qui cherche un
appareil compact, léger, joueur, avec des performances de GF.
C’est un photographe qui en a plein le dos de
trimbaler des kg et des kg de matériel, d’optiques, d’accessoires
pas forcément indispensables à 100%. De temps en temps, ça fait du
bien. Pas pour remplacer, juste pour souffler avec une petite
machine de qualité hyperbolique de 700 g dans les mains.
C’est un photographe intransigeant sur la qualité
de ses fichiers, qui a gardé sa capacité d’étonnement et
d’émerveillement pour une machine minimaliste d’exception dans ce
fatras en renouvellement mondial continu.
C’est un photographe résolument tourné vers
l’avenir, qui remerciera ce boîtier à fort potentiel de
développement pour avoir réveillé en lui d’anciennes joies et envies
endormies.
en complément... jpg leica Q3 et jpg fpl avec Zeiss biogon de
35mm :
une comparaison de jpg
par Henri Peyre
Nous tentons ici une très rapide comparaison de
jpg sortis des leica Q3 et fpl avec Zeiss Biogon de 35mm .
Pourquoi cette comparaison ?
Les deux appareils sont petits et facilement transportables tout en
offrant le meilleur capteur 24x36 actuel, de 61mpx.
Une rapide comparaison permet de se faire une idée
du potentiel de l'un et de l'autre mais aussi et surtout d'entrevoir
des questions que l'utilisation de ces appareils sophistiqués peut
laisser appréhender.
Voici tout d'abord la photographie d'une place de
Limoges prise au Leica Q3 avec son optique fixe Summilux 28mm f/1,7
ASPH :
Et voilà la photographie recueillie au même
endroit par le fpl avec un objectif amovible Zeiss biogon de 35mm
(connu pour son absence quasi complète de défaut de distorsion) :
On joint ci-dessous les données IPTC pour les deux
appareils.
Leica Q3 d'abord, données complètes :
Sigma fpL ensuite, dont on observe les lacunes :
l'appareil est bien incapable d'échanger avec l'objectif :
Un détail ensuite, cette fois plus à l'avantage du
Sigma fpL :
Les passants au Leica Q3 :
Les mêmes, au Zeiss Biogon sur le fpL:
Les couleurs semblent
nettement plus agréables sur la deuxième image.
Le rendu JPG du Leica Q3 sur la première est ici par défaut, tandis
que le rendu JPG du Sigma fpL était celui obtenu pour améliorer les
couleurs prises avec un autre objectif, un Summilux 50mm comme
expliqué ici :
https://www.galerie-photo.com/sigma-fpl-test-objectif-couleur.html
: l'image est légèrement réchauffée.
On voit qu'on ne s'est pas posé de question sur les couleurs dans
cette comparaison, mais qu'il semble fort utile de s'en poser : le
passage automatique des Raw en jpg a été calibré sur le Sigma fpL et
cela peut avoir un résultat heureux.
Par ailleurs la netteté (à la différence de focale
près) est presque aussi bien traitée par les deux appareils. On en
observe la confirmation sur l'image suivante :
La netteté semble toutefois artificiellement renforcée sur le Q3
(voir les artefacts au-dessus du mot AGENCE ci-dessus... tandis que
sur ce point le biogon est un compétiteur talentueux dont le rendu
avec le fpL ne souffre aucun reproche.
Sur ce détail de toiture, l'exposition plus faible
choisie par le Q3 sauve bien les hautes lumières de la toiture lors
du passage en jpg :
... là où le tandem fpL - biogon passé en jpg, au
meilleur rendu dans les parties ombrées, brûle les reflets sur les
ardoises :
Deuxième exemple pris l'instant d'après de la même
place, mais en se tournant vers la cathédrale (en arrière-plan) en
semi-contre-jour.
Le Q3 d'abord :
Le Sigma fpL ensuite :
La comparaison n'est clairement pas à l'avantage
du tandem fpL-Biogon. L'image du Leica offre une neutralité qui
induit une mise à distance raffinée, propre à la photographie
architecturale et en accord avec le sujet.
Sur le même sujet, le Biogon présente un
vignettage natif que le fpL est incapable de corriger au vol dans la
production du JPG, faute de dialogue avec l'objectif. Dans un cas
d'image difficile de cette sorte, le Q3 et son objectif scellé s'en
tire bien mieux : toutes les faiblesses de l'objectif sont corrigées
au vol et le résultat est d'une neutralité impeccable.
Le sigma fpL accueille certes tous les objectifs du monde ou
presque, mais il est nécessaire de travailler ses DNG avec un
derawtiseur pour en tirer le meilleur. Si on n'a pas cette ambition,
le Leica Q3 offre une solution bien tentante.
Quelques détails quand même, ici le clocher de la
cathédrale au Q3, au pixel :
et, ci-dessous, toujours au pixel, le même clocher
au fpL-Biogon :
Un petit détail pour la netteté, ici sur le Q3 :
... et ci-dessous sur le fpL :
Enfin un dernier détail, arraché à la croix de la
pharmacie, ici sur le Q3 :
...et, ci-dessous, avec l'extraordinaire Biogon,
dont le travail est vraiment très propre :
Ce bref examen de 2 vues en jpg prise à la volée
donne une idée de la philosophie des deux appareils :
- le Leica 3 offre une solution de haute qualité bien intégré dans
un compromis poussé avec une focale fixe. Il vise au meilleur
résultat possible dans le cadre d'une utilisation reposante.
- le Sigma fpL est un appareil ouvert qui nécessite et provoque
l'obligation de posséder des connaissances pour obtenir les bons
mariages au service de la meilleure image possible... mais il peut y
avoir du sport, et le passage par la case derawtiseur est vraiment
nécessaire.
Notes
(1) Le Limousin
(2) capteur plein format (24×36 mm) de 60 Mpix
9520 x 6336 pixels en définition maximum, suivant format d'image
choisi
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