Un essai d'une
Arca-Swiss F-Classic 4x5"
par Yves Louagie
En un demi siècle de révolution numérique nous
avons vécu une avancée équivalente à celle de la découverte de
l’écriture et de l’imprimerie. Les négatifs argentiques que je
développais à l’âge de douze ans avec des produits chimiques parfois
toxiques sont devenus des mosaïques de millions de pixels
immédiatement disponibles et d'une incroyable qualité. Je me suis
pourtant laissé tenter par la chambre photographique. Non par
nostalgie d’un passé que je ne regrette absolument pas, mais par
réalisme, fasciné par la grande surface sensible des négatifs
analogiques. En effet, le recours à des techniques simples et
éprouvées associé à l'expérience acquise en numérisation permet
d'obtenir des images d'une rare perfection, d'intégrer les subtils
dégradés argentiques aux possibilités infinies du numérique.
L‘une des premières scènes du film « la grande bellezza » de Paolo
Sorrentino (2013) est tournée au mont Janicule, sur le belvédère de
la Fontana dell’Acqua Paola. Un touriste japonais descend
de son autocar, un appareil reflex à la main. Il s’avance vers le
parapet et prend quelques vues de Rome. Puis il s’effondre,
manifestement mort. Surplombant les lieux, dans l’imposant monument
baroque de la fontaine, le chant d’une chorale se mêle à
l’écoulement des eaux cristallines. Peu après, l’acteur Toni
Servillo incarnant le personnage de Jepp, un journaliste et dandy
romain, constatera : « La plus grande découverte que j'ai faite
après mon soixante-cinquième anniversaire, c'est que je ne peux plus
perdre de temps à faire ce que je n'ai pas envie de faire »[1].
Le matériel
N'ayant donc que peu de temps à perdre, je me suis
orienté d’emblée vers une chambre Arca-Swiss de construction récente
et solide, évolutive, d'une finition irréprochable et dont toutes
les pièces sont aisément remplaçables. La formule F Line classic 4 ×
5 “ dotée d'un objectif Rodenstock « normal » Sironar N permet
d'aborder la photographie de paysage avec les contraintes du milieu
naturel. En effet, cet appareil monorail relativement compact est le
plus léger de sa gamme (3,162 kg). Ses contours forment un
parallélipipède de 30 × 30 × 20 cm permettant le transport en sac à
dos de grande taille (Lowepro BP 550 AW II aux dimensions internes
de 46 x 31 x 17 cm) pour les longues randonnées à travers champs ou
dans un sac de voyage de moyen format pour les escapades en ville.
La rotule Z1+ s’articule avec un trépied en carbone Sirui AM 254
solide et léger.
Passé l’émoi de la découverte et de la communion
avec le paysage, la photographie à la chambre requiert une extrême
précision dans la mise au point et le cadrage[2],
l'application d’une froide et lente systématique. Elle nous fait
revivre la séquence des angoisses anciennes : il n'y a pas de
vérification possible et toute distraction se paie lourdement ;
chaque étape oubliée peut conduire à la ruine du film qui, le plus
souvent, ne sera constatée qu’au développement. Mais il est un piège
dans lequel on peut tomber même après avoir acquis un semblant de
routine : le châssis contenant le négatif s'introduit dans
l'adaptateur porte-film théoriquement par un seul de ses petits
côtés. Comme il est maintenu en place par des languettes à ressort
qui peuvent s'écarter de plus de 5 cm, il est encore possible de
l’introduire sans trop de difficultés par le côté opposé[3].
Cela conduit à une coaptation défectueuse du châssis sur le corps de
la chambre et à l'introduction de lumière. Il faut, pour les mêmes
raisons, éviter d'enlever la languette protectrice du film d'un
grand geste ample. La simple traction de la languette vers l'arrière
peut en effet écarter imperceptiblement le porte négatif du corps de
la chambre et ruiner la pellicule en une fraction de seconde. Il
convient donc de retirer attentivement cette lame métallique dans
l'axe du châssis en appliquant une contre-pression sur celui-ci.
Mise en place de la chambre
Première visée.
Le Sironar N de 150mm est en place. C'est un petit objectif,
extrêmement résolu, mais à faible cercle d'image. On préférera faire
les mouvements à l'arrière.
Une rotule Z1+ en Classic est un excellent choix pour la F-Classic
4x5". La mâchoire Classic mord directement la partie basse du rail ;
l'ensemble est très rigide et la chambre ne risque pas de tourner
sur sa fixation.
La chambre est livrée d'origine avec un dépoli et une Fresnel pour
gagner de la lumière à la visée. Toutefois il faut absolument
conseiller un viseur, ne serait-ce que pour avoir une vision
redressée haut-bas du sujet.
En bas un pied carbone assez léger mais déjà suffisant.
Au-dessus la rotule Z1+Classic avec son bouton de réglage. Puis,
plus haut, la fixation Classic qui mord la base du rail.
A droite : les deux réglages micrométriques pour avancer/reculer les
chariots avant/arrière ; les deux mollettes les plus proches du rail
sont les verrous.
A gauche, la bascule avant et son verrou (en gris)
On notera que le décentrement horizontal est obtenu par glissement
gauche/droite sous le dépoli. Ce mouvement est bloqué par la pince
sous le dépoli.
En dessous on voit la graduation d'angle de la bascule latérale.
Une vue du Sironar N, un objectif très efficace pour ramasser du
Pixel quand on en veut beaucoup et qu'il n'y a pas de mouvements à
faire, mais inadapté aux forts mouvements en architecture. On lui
préférera alors son grand frère en 150mm, l'Apo-Sironar W, qui ouvre
lui aussi à 5.6, mais couvre jusqu'au 5x7" et permet de réserver le
plan arrière pour redresser les verticales.
Plan avant et arrière présentent rigoureusement le même mécanisme.
Ci-dessus : le rail supérieur se sépare en deux
et coulisse de part et d'autre, permettant un allongement maximum de
45cm.
De part et d'autre les leviers de blocage des deux parties.
La chambre est livrée sans butées de rail. Je conseille à tous les
futurs acheteurs de prendre en plus de la chambre une paire de
rail-stops (ref 044111 sur
www.arca-swiss-magasin.com)
La mécanisme d'inclinaison de plan avant avec ses verrous.
Le bouton rond est le verrou de blocage de la bascule d'axe vertical
(pour le Scheimpflug de mur). Le levier gris à sa droite est le
verrou de blocage de la bascule d'axe horizontale (pour le
Scheimpflug de sol).
Une vue de la Z1+ avec son panoramique à la base. La Z1+ est une
rotule assez grosse, bien adaptée aux chambres monorail. Elle
garantit des prises de vue sans vibration.
Les images
Les prises de vues ont été réalisées sur le Site
Corot de Saint-Junien (87). Peu importe que le peintre n'y ait
jamais mis les pieds, le paysage est d'une grande beauté et idéal
pour la chambre.
La première vision des négatifs noir et blanc puis
leur acquisition au scanner[4] ont produit sur
moi un effet intense : je n'avais jamais vu ni espéré une telle
finesse, tant de netteté, de si riches dégradés. Ces images
dépassent toutes mes espérances.
Il faut cependant admettre objectivement quelques
faiblesses. Sur six plaques - le contenu maximal d'une cuve à
développement de type Jobo - réalisées à titre d’exercice, les
quatre premières semblent pleinement réussies, mais les deux
dernières sont problématiques.
Sur la première, l'une de mes préférées, la
rivière se déploie dans toute sa beauté, en un cours soyeux
contrastant avec le rendu détaillé des rochers. L’application de la
loi de Scheimpflug permet de centrer la précision sur
l’ensemble du plan aquatique tout en réservant un certain flou à la
végétation.
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