[abonnement gratuit]
l'auteur
|
|
Contre les expositions
dans les beaux sites…
et pour un peu de pensée.
Introduction : Reza à Rochechouart
Grande fut ma stupéfaction de découvrir
l’installation d’une exposition Reza à Rochechouart en ce début
d’été 2021.
Comprenez-moi : vous n’avez probablement jamais entendu
parler de Rochechouart, bourg de 4000 habitants à 40km à l’ouest de
Limoges. Je compte depuis peu au nombre de ses habitants. Je suis
venu ici à la recherche de grand espace, d’air pur, et d’une vie
simple et paisible, d’une authenticité. Et je dois dire que je suis
très heureux d’y être.
Il y a entre chez moi et le château, qui barre un éperon au-dessus
de la vallée de la Graine, une chose magnifique : c’est une
promenade en promontoire qui domine la vallée et porte la vue à
plusieurs kilomètres. Le morceau de choix, au bout de la promenade,
est le château, très spectaculaire et récemment restauré ; les
avis google des visiteurs du château témoignent de l’admiration
que suscite ce site et de l’incompréhension qu’occasionne son occupation par un Musée d’Art
Contemporain.
Le château est aux mains du département depuis 1836 ; et le musée y
a été installé en 1985. La commune de Rochechouart n’a donc plus
aucun contrôle sur ce qui se fait à l’intérieur de ce monument
prestigieux. Dans sa recherche de visibilité patrimoniale, elle ne
peut donc que s’occuper de sa jolie église au clocher tors, de ses
quelques vieilles maisons de centre-ville délaissées par les
habitants et les commerces, réveillées par quelques sonorisations
destinées à faire croire que le vieux centre est encore vivant –
sonorisations tellement pénibles qu’elles réussissent à éloigner les
derniers quidams qui s’accrochaient encore. Et il y a aussi la
promenade, cette splendide promenade donc, avec le château au bout.
Cette promenade, pour ceux qui connaissent, c’est comme la digue à
Cabourg. C’est l’aboutissement de la ville. C’est là et au château
que tout converge.
Et c’est là qu’on a installé le plus grand nombre de panneaux de
l’exposition Reza.
Passe que vous ne connaissiez pas Rochechouart ; vous connaissez
probablement le photographe
Reza. Un
certain nombre d’entre-vous se souviendra en particulier de
l’exposition du photographe Reza à Paris sur les grilles du
Luxembourg du 1er juin au 30 septembre 2003.
http://www.senat.fr/evenement/reza/index.html
Dans la page consacrée à cette exposition sur le site du Sénat on
lit : Les grilles du jardin du Luxembourg sont une tribune
offerte par le Sénat sur laquelle les passants y découvriront
(sic) la démarche humaniste du photographe. Cette action
s'inscrit dans la poursuite d'engagements aussi discrets
qu'efficaces du Sénat et de Christian Poncelet, Président du Sénat
dans le soutien à l'Afghanistan.
Aussi, lorsque j’ai découvert les panneaux de l’exposition, j’ai
tout de suite pensé que la commune de Rochechouart s’était mise à soutenir
activement l’Afghanistan, emboîtant ainsi le pas, à quelques années
de distance, au Sénat. Quelque-chose d’encore plus grave, que je
n'avais pas suivi, avait dû se passer en Afghanistan, pays pas
vraiment abonné aux bonnes nouvelles : je connais un peu en effet
l’ancien maire de Rochechouart, un professeur de maths de centre-gauche plein de bon
sens, qui a plutôt laissé les
finances de la commune en bon état. Je ne le voyais pas
gaspiller ainsi de l’argent pour la cause afghane, à cause du souci
rare qu’il avait d’une proximité réelle avec ses concitoyens, et de
la priorité absolue à leur accorder. Mais la municipalité avait
changé ; en partant à la retraite, le vieux maire avait organisé sa
succession pour que lui succède sans fracas la nouvelle mairesse. Je
dois avouer avoir parlé une seule fois à cette dame, à un apéritif
au Musée d’Art Contemporain. J’avais évoqué devant elle la beauté
des paysages du Limousin qui en constituait, avec la nouvelle
sensibilité contemporaine à la nature, la modernité inattendue et
sur laquelle la ville pourrait asseoir dorénavant une image forte,
enfin c'était ce que je soutenais.
Mais autant en parlant qu’en écoutant ses réponses, je
voyais que ce que j’évoquais n’avait pas de sens pour elle.
Bref. Je ne voyais pas notre nouvelle élue se prendre non plus d’une passion pour l’Afghanistan.
Une conversation avec l’élu à la culture me fit prendre conscience
par la suite qu’en réalité la nouvelle équipe était persuadée avec
cette exposition d’apporter l’art au cœur du bourg et d’être
moderne. En présentant cette exposition on allait montrer qu’à
Rochechouart on pouvait faire aussi bien qu’à Paris ; en prenant
quelque-chose qui venait de la capitale, on était sûr d’écraser
toute critique en local ; on pouvait affronter en prestige le regard
plein de commisération venant du château (départemental) pour les
initiatives communales ; on serait moderne parce qu’on présenterait
des photos sur des bâches et en plein air ; en plus c’était simple,
il n’y avait qu’à payer pour avoir l’expo. Elle serait ensuite
offerte gratuitement à tous, permettant à chacun d'accéder au grand
Art.
Et c’est ainsi qu’on avait eu l’exposition Reza.
Le mépris parfait de l’environnement naturel ou culturel en
place
Une image vaut mieux qu’un long discours :
On voit sur cette photographie avec quel à-propos,
et avec quel souci du lieu, l’exposition a été plantée sur cette
merveilleuse promenade naturelle :
Je dois dire que je me suis approché du cartel pour essayer de
comprendre ce qui justifiait que cette photographie ait été mise là
plutôt qu’ailleurs, ne voyant pas la photographie en elle-même mais
seulement l’intrusion qu’elle symbolisait en ce lieu. Voici ce
cartel :
L’Afghanistan n’était pas en cause. Ça avait l’air d’être un truc
qui se passait sur le Nil, dans un patelin nommé Dumyât. Le cartel
avait l’air de vanter l’artisanat local. Le rapport avec le paysage
dans lequel le panneau faisait irruption était impossible à
comprendre.
Plus loin un autre panneau, avec un bonhomme en turban dans un
paysage enneigé essayait lui aussi de nous empêcher de regarder le
panorama, et de percevoir la simple beauté de la nature locale.
A la place du paysage dont il bouchait la vue, une
très moche reproduction dont je donne ici un aperçu de près, afin
qu’on ne dise pas que j’exagère :
Je donne maintenant une vue sur le cartel.
Il fallait maintenant s’intéresser, selon le
cartel, au fait que « tout est prétexte à asservir l’autre ».
Je ressentais justement à présent nettement cette volonté
d’asservissement à mon encontre, derrière cette préemption de
l’espace naturel par des reproductions si laides et vaines, sans aucun
rapport avec le lieu même qu’elles insultaient par leur médiocrité.
Horrible chose que ce texte avec lequel on ne peut être que d’accord
et qui pourtant met en œuvre dans sa présentation, et contre vous,
les procédés qu’il dénonce.
Une chose m’apparaissait désormais absolument claire : les personnes
qui avaient organisé cette exposition n’avaient aucune conscience de
la qualité du lieu préexistant. Elles ne le voyaient tout simplement
pas.
Est-ce parce que depuis leur enfance elles arpentaient cette
promenade et que cette beauté ancienne leur était devenue
invisible ? Les lassait même ?
Est-ce que le manque de culture induisait le manque de respect ?
Est-ce que d’un côté elles ne voyaient pas la beauté culturelle
autant que naturelle d’un paysage façonné par l’homme et de l’autre
l’horrible médiocrité de ces tirages ?
Est-ce qu’il y avait seulement la volonté de faire événement avec
quelque-chose de neuf, du jamais fait auparavant au même endroit ?
Pas mal de causes étaient possibles et la bêtise et l’ignorance n’en
étaient pas les moins probables.
Par-dessus tout, il n’y avait aucun rapport entre
ce qui était montré et le lieu où c’était montré. N’importe-quel
étudiant en art de première année est obsédé par la question
délicate du lieu où l’on montre une œuvre, et du rapport entre le
lieu et ce qui est montré.
On n’était donc pas dans une démarche artistique.
On cherchait semble-t-il plus le coup que le sens. Il y avait
simplement une volonté de frapper les esprits avec quelque-chose de
neuf, de « faire moderne ». Mais la vraie modernité ne serait-elle
pas plutôt que la commune offre le raccordement internet à la fibre,
actuellement non-proposé aux habitants ? Plutôt que de heurter le
bon sens à la façon d’une pub Benetton ?
La vraie modernité ne serait-elle pas qu’en attendant la fibre
Rochechouart communique sur l’excellence de son patrimoine naturel,
littéralement de toute beauté, et cesse en attendant de prendre des initiatives pour l’enlaidir ?
Ce comportement non-productif rappelle certaines
dérives en art : les mauvais artistes cherchent plus à reproduire
les coups qu’ils ont vu faire ailleurs et qui les ont épatés qu’à
explorer à fond leur idiosyncrasie ; celle-ci les amènerait pourtant
à exploiter leurs différences comme des avantages. Rochechouart
pourrait ainsi faire autre chose qu’imiter le modèle parisien avec
18 ans de retard. Rochechouart avait simplement la beauté de son
paysage à faire valoir.
Mais je ressentais aussi une deuxième oppression ; j’avais le
sentiment d’être méprisé parce que je percevais qu’une telle
exposition cherchait à m’instruire de force.
Je veux m’expliquer là-dessus.
Aller au public
Depuis un certain temps, on constate que de
nombreux lieux culturels sont vides, et cela a commencé bien avant
le Covid.
Si le public ne vient pas voir les expositions, c’est peut-être
qu’elles ne sont pas très intéressantes. Le manque d’obéissance du
public en particulier aux offres de l’art contemporain est perçu par
les organisateurs comme la preuve de la médiocrité du public ; ce
n’est pas si curieux, nombre de curateurs, fonctionnaires, sont
gênés de ne pas arriver à remplir les établissements dont ils
s’occupent. Dès lors grande est la tentation d'expliquer l'insuccès
par le niveau de la masse, trop bas pour s'intéresser et
comprendre.
A partir de là on peut convoquer les écoles pour
généraliser une instruction devenue nécessaire, opération qui a
l'avantage de générer aussi de la fréquentation brute. Il faut éduquer le
petit peuple et tous les moyens sont bons, y compris celui des
expositions de plein air, dans des endroits inhabituels.
Pourtant l’authentique intérêt à l’art ne
devrait-il pas être perçu par chacun comme une amélioration de
lui-même ? L'accès à l'art n'est-il pas autre chose qu’un reflet, un
jalon, une preuve personnelle de l’amélioration de soi ?
L’art n’est ainsi pas une richesse qu’on doit
partager par souci d’égalité, comme on tente souvent de nous le
faire croire ; il y a autant d’arts que de publics différents pour
s’y reconnaître et se sentir élevés par leurs différentes
consommations.
Dès lors asséner la consommation de l’art où nous
nous reconnaissons à n’importe-quel autre n’est ni plus ni moins
qu’une forme d’oppression. On aime l’art qu’on mérite. Pourquoi
vouloir asséner à l’autre un art qui ne correspond pas au niveau où
il en est ? Chacun ne sait-il pas mieux que personne ce dont il a
besoin ? Asséner son art n'est-il pas qu'une forme d'oppression
comme une autre ?
Frapper fort :
Le gigantisme pire ennemi de l’art
Il est difficile ainsi de convaincre tout le
monde ; c'est pourquoi il faut asséner l'art avec puissance et
autorité, selon la technique du haut-parleur dont la force en
décibel permet au slogan de réduire l'autre au silence, malgré sa
vacuité.
A défaut de recueillir un assentiment libre, il
faut arriver à exercer une domination implacable pour convaincre.
Les reproductions d’œuvres se doivent donc d’être gigantesques. Des
cartons portent des légendes qui les accompagnent, qui expliquent quoi
penser, pour imposer l’adhésion au bout.
Cette débauche de gigantisme n’est pas compatible avec le for
intérieur de chacun, rebelle à l’obéissance, et l’art se perd en
route. Les lieux d’exposition en plein air sont souvent de surcroît
passants et bruyants et ne permettent pas le minimum de silence et
la nécessaire concentration dont a besoin la conscience de chacun
pour tenter de se reconnaître dans l’image présentée.
Les photographies se voient tirées sur des bâches médiocres ; les
tirages sont souvent de très mauvaise qualité avec une dynamique
faible, des noirs bouchés et des blancs grillés. Exagérément
agrandies les photographies exhibent de près la nullité de leur
texture.
Le petit peuple sent la violence de la tentative et en est révulsé.
Ainsi les immenses bâches de Reza à l’entrée du bourg de
Rochechouart ne font-elles que m’irriter.
Une danseuse de Reza à Rochechouart : plus grande que les camions de
dépannage...
Et rebelote à la sortie du bourg :
Pour bien comprendre comment on en est arrivé par
glissement à admettre ce type d’expositions révoltantes, il est
utile de faire quelques réflexions complémentaires sur la condition
de photojournaliste et de procéder à un examen historique du modèle de
l’exposition sur les grilles du Luxembourg dont notre exposition à
Rochechouart découle directement. On comprendra probablement mieux
ainsi dans quel bain de pensée molle l’exposition de Rochechouart a
pu être envisagée.
Les tentatives désespérées des photojournalistes pour se faire
passer pour des artistes
Avec les problèmes des revenus des
photojournalistes et particulièrement des photojournalistes
d’agence, on a vu des organisations comme Magnum essayer d’établir
une confusion entre photographie journalistique et photographie
d’art. Il y a pourtant pas mal de différences de nature entre
photographie de reportage et photographie artistique (lire à ce
sujet cet ancien article de galerie-photo :
photographie-de-reportage-et-photographie-artistique)
Il est nécessaire de rappeler que les problèmes de revenu des
photojournalistes viennent avant tout de la diffusion des appareils
photographiques auprès d’un très large public au niveau mondial ;
tous ces nouveaux photographes amateurs semblent pouvoir faire
largement désormais d’aussi bonnes photographies que les
photojournalistes d’autrefois. Les medias ont désormais recours à
nombre d’entre-eux pour l’approvisionnement en illustrations dont on
doit reconnaître qu’elles n’ont pas baissé en niveau, bien au
contraire, à cause de la concurrence devenue sauvage. Les medias
économisent ainsi les frais de déplacement nécessaires à la
projection des photographes professionnels aux quatre coins du
monde.
La photographie sur bâche apparaît largement dans
ce contexte comme une des tentatives désespérée de l’agence Magnum
de continuer à imposer ses photographes, au besoin par la force ; en
imposant au public la vision des photographies sur de grands
supports, ne fait-on pas croire à l’œuvre immense du photographe ?
Quelques liens pour nourrir une ébauche de démonstration :
Selon le site de Picto, Edy Gassmann et François Hébel comptent
parmi les premiers, il y a 30 ans, à avoir exposé la photographie
dans la rue grâce aux supports bâches. (Source :
https://www.picto.fr/2020/picto-guests-entretien-avec-francois-hebel/
Nous rappelons quelques informations sur François Hébel, en suivant
une biographie réalisée par la Documentation de Radio France, 9
juillet 2014 :
François Hébel est né le 28 avril 1958. Après avoir terminé des
études de communication, il se tourne vers la photographie. En mai
1979, il est recruté par le journal Contact Fnac en tant
qu’assistant de Gil Mijanjus, le directeur photographique du
journal. A la retraite de ce dernier, François Hébel est nommé à sa
place. En 1985, Jean-Luc Montesoro avec lequel il a collaboré pour
Paris-Photo le recommande au Festival Photographique d’Arles,
François Hébel en devient le directeur de 1986 à 1987. Durant cette
courte période, il laisse une trace indélébile au festival,
dévoilant des talents aujourd’hui confirmés comme le photographe
américain Nan Goldin. En 1987, François Hébel devient directeur de
la célèbre agence Magnum qu’il oriente vers l’ère du numérique. En
2000, il est responsable éditorial du pôle Europe de l’agence Corbis.
En 2001, il retourne à la direction des rencontres d’Arles, il y
démarche de nombreux sponsors et présente une sélection exhaustive
devant répondre à tous les goûts. Sous son égide,
le festival
d’Arles fait peau neuve et connaît un véritable
engouement public et professionnel. En 2014, il dirige la dernière
édition de ces Rencontres.
(Source :
https://www.franceinter.fr/personnes/francois-hebel)
Sur Pierre Gassman, on lira sur le site Wikipedia :
Pierre Gassmann est un photographe,
photojournaliste, tireur et chef d’entreprise
français.né à
Breslau le
15
octobre
1913
et mort à Paris le
5
juillet
2004,
Ami de
Robert Capa,
Henri Cartier-Bresson,
Willy Ronis,
Robert Doisneau, il est le fondateur en 1950 de
Pictorial Service (devenu
Picto en 1963), un laboratoire photographique dédié
aux photographes professionnels de presse, de mode et de publicité.
(Source :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Gassmann)
Or Wikipedia précise sur Magnum :
Magnum Photos est une agence de presse photographique créée le
22 mai
1947 à New York sous forme de société anonyme par
Robert Capa,
Henri Cartier-Bresson,
George
Rodger,
William Vandivert,
David
Seymour, en association avec Rita Vandivert et
Maria
Eisner, responsables de ses bureaux de Paris et New
York. Magnum Photos fonctionne comme une coopérative sans en avoir
légalement le statut juridique.
Source :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnum_Photos )
C’est donc en toute innocence que la commune de Rochechouart croit
exposer de l’art en tendant quelques bâches devant ses paysages. Or
elle ne fait que suivre cette tentative désespérée de Magnum pour
faire croire que ses photojournalistes sont des artistes.
Reza provient lui-même de la sphère
journalistique, ayant intégré les équipes du magazine National
Geographic. Ce magazine défend une approche très formatée et
exigeante de la nature et du fait humain. C’est bien fait et
professionnel mais il n’y a rien d’artistique là-dedans.
Les expositions sur les grilles du Luxembourg
Les conditions d’exposition sur les grilles du
Luxembourg sont visibles sur le site du Sénat en
https://www.senat.fr/visite/jardin/
expositions_au_jardin_du_luxembourg/les_
grilles_du_jardin_du_luxembourg.html :
Depuis 2001, le Sénat met gratuitement à la disposition des
exposants la portion des Grilles du Jardin du Luxembourg comprise
entre la porte Saint-Michel et la porte Odéon afin de permettre la
présentation au public chaque année de deux expositions de
photographies d’une durée de quatre mois.
83 panneaux destinés à des tirages photographiques au format 120 x
180 cm sont mis à disposition des exposants, sous réserve de la
prise en charge par l’exposant des frais afférents à
l’amortissement, l’entretien et le stockage de ces panneaux.
Les projets d’exposition doivent présenter un caractère d’ordre
artistique ou historique.
Ces expositions étant à destination du grand public, les sujets
controversés ou qui peuvent choquer sont donc à éviter.
La nouveauté du concept peut donner du grain à moudre aux
sociologues (on en jugera par cette
analyse
en terme purement communicationnel) mais la présentation met
bien en avant l’aspect parfaitement consensuel du projet ; nous
répétons : Ces expositions étant à destination du grand public,
les sujets controversés ou qui peuvent choquer sont donc à éviter.
Toutefois, ces expositions récentes sur les grilles négligent
superbement le jardin lui-même.
Un petit rappel. Ce jardin est un joyau :
Situé en bordure de Saint-Germain-des-Prés et du quartier Latin, le
jardin du Luxembourg s’inspire du jardin florentin Boboli. Il a été
créé à l’initiative de la reine Marie de Médicis en 1612. D’une
superficie de 25 hectares, le jardin se divise en une partie à la
française et l’autre à l'anglaise. Entre les deux s'étend une forêt
géométrique et un grand bassin. On y trouve aussi un verger
comprenant des variétés de pommes anciennes et oubliées, un rucher
pour s’initier à l’apiculture, des serres avec une collection
d’orchidées à couper le souffle et une roseraie. Le jardin compte
106 statues disséminées à travers le parc, la monumentale fontaine
Médicis, l’Orangerie et le pavillon Davioud. (https://www.parisinfo.com/musee-monument-paris/71393/Jardin-du-Luxembourg
). Pour terminer enfin rappelons que le jardin touche au Palais du
Luxembourg, palais construit au début du XVIIe siècle, par la reine
Marie de
Médicis pendant sa
régence. Un
ensemble historique absolument fabuleux donc, sur lequel se
développe depuis peu, là aussi par prédation, aspiration confuse
pour la nouveauté, lassitude et irrespect pour les chefs-d’œuvre du
passé employés comme faire-valoir, cette misérable activité aux
mains de la deuxième Assemblée des représentants du pays.
Les justifications du Sénat pour les expositions sur les
grilles du Jardin du Luxembourg
Un relevé des expositions proposées sur les
grilles au travers du site et des textes du Sénat permet de se faire
une idée dont le projet a évolué au fil des expositions.
On trouvera
ici en pdf un laborieux relevé des justifications données par le
Sénat pour les expositions sur les grilles du Jardin du Luxembourg.
Nous commentons ce relevé ci-dessous. Toutes les
citations en italiques viennent directement des pages du site du
Senat et le lecteur pourra les retrouver dans le pdf qui accompagne
cet article.
Au tout début, il s’agit de présenter des
photographies. La photographie est alors le medium qui monte. On ne
s’embarrasse pas d’une justification impliquant le lieu ou une
vocation spéciale du Sénat, propriétaire du lieu, pour justifier le
choix des photographies ou du photographe. Il y a un nouveau lieu
d’exposition de photographie et la nouveauté semble se suffire à
elle-même. On invoque vaguement l’actualité (intérêt pour la Chine,
l’Afghanistan…).
Une ébauche de programme apparaît avec l’Exposition des photos de
l’Express (« Objectif Une ») en 2004 : « Cette
exposition est la huitième organisée sur les grilles à l'initiative
du Sénat, qui entend développer un nouveau mode de communication en
direction de l'ensemble des citoyens. Cet « art passant » s'efforce
de montrer des œuvres de grande qualité, mais aussi autant de
regards sur notre monde, qui rappellent les solidarités qui nous
unissent. »
L'expression « art passant »(sic) laisse penser à quelque-chose de très nouveau : on serait en présence d’un art qu’on ne
contemple pas, mais qu’on survole sans s’arrêter de marcher, en tant
que piéton.
On dit qu’on montre des œuvres de grande qualité, mais on a de
moches tirages sur de grandes bâches.
On invoque les « regards sur le monde » en bouchant la vue sur le
jardin (n’est-ce pas bien plus vaste ?),
enfin on invoque les inévitables « solidarités », tarte à la crème
du discours politique qui ne veut rien dire, le passant ne faisant
que passer et ne s’impliquant en rien.
En bref on a le pire gloubi-boulga mêlant politique et art
contemporain que ne supporte plus un citoyen las d’être pris pour un
crétin.
Cette première et malheureuse tentative de
définition est précisée en octobre 2005 par une autre, plus en
retrait, moins plasticienne et baratineuse, à l’occasion de
l’exposition les chefs-d'œuvre de la collection FNAC :
Ces expositions, inaugurées avec La terre vue du ciel, au cours de
l'année 2000, sont devenues aujourd'hui l'un des piliers
institutionnels de la politique d'ouverture vers l'extérieur et de «
culture offerte à tous » du Sénat.
Deux éléments factuels sont ici retenus : une politique
d’ouverture vers l’extérieur qui ne veut rien dire, s’agit-il
d’un intérêt au monde entier, d’une ouverture vers un partenaire
privé, la Fnac, de l’idée qu’on reproche au Sénat d’être une
institution de vieux messieurs et qu’on se trompe ? Mystère.
Et autre élément qui va monter par la suite : la culture offerte
à tous. Cet élément incontestablement démocratique, puisqu’il y
a exposition sans perception de droit d’entrée est éminemment
consensuel, ce qui favorisera sa consolidation.
Mais il ne doit pas cacher la grande nouveauté de la définition :
ces expositions sont le fruit d’une « politique (…) du Sénat ».
Autrement dit, ce n’est plus comme au tout début avec
Arthus-Bertrand, un photographe qui a des relations qui se fait
faire son exposition sur les grilles et dont la page sur le site du
Sénat ne revendiquait aucune paternité ; le Sénat lui-même a une
politique et est engagé.
Dès lors, puisqu’il se prétend acteur, le Sénat va
devoir affiner sa définition pour démontrer que ces expositions ne
sont décidemment pas des fantaisies destinées à aider les copains
mais qu’il y a un vrai projet.
En 2006, c’est encore mou et incertain :
« cette exposition continue de nous interroger sur la condition
humaine » (Exposition c’est ainsi que les Hommes vivent).
En 2006 avec Planète Mers : « Donner
à découvrir, à comprendre, à respecter, telle est l'ambition de
cette exposition destinée à tous publics ». On a enfin une
première interrogation sur le public, un très grand pas est fait :
on commence à se rendre compte que si on a un message, il faut
définir une cible. Même si cette cible prête à sourire,
soulignons-la encore : Cette exposition est destinée à tous
publics.
En 2007, l’Exposition Enfants du Monde
permet de mettre en valeur une société qui aspire à plus
d’harmonie et de paix puis une exposition sur le Sahel
milite pour que le mot humain garde un sens et que les Sahéliens
puissent demain vivre dignement sur leur terre.
La paix et l’Harmonie pour tous, le soin aux petits pauvres, la
cible « tous publics » ne va pas se fâcher, tout va bien.
Avec l’Exposition des cinquante ans
d’aventures spatiales du CNES l’objectif se teinte d’histoire
puisqu’il s’agit de permettre au grand public (toujours
lui) de prendre conscience de l’utilité actuelle de l’espace
pour la collectivité, de ses perspectives futures, mais aussi de sa
dimension historique et culturelle.
Il y a là donc une nouveauté importante : le grand public est appelé
à « prendre conscience ». Autrement dit les gens étaient
des idiots et l’objectif est désormais de les éduquer. Ils ne
savaient pas et ils vont apprendre.
Après le retrait incontestable vers l’émotion et
le populisme de l’exposition 30 ans d'émotions, les photos du
Figaro Magazine, l’exposition Terre des Pôles de 2009
relance fermement l’objectif éducatif : cette exposition a pour
objet d’informer un large public sur les conséquences induites par
notre mode de vie et de l’alerter sur l’impact du réchauffement
climatique et sur l’urgence de modifier nos habitudes.
En 2009 avec l’exposition Identités
Européennes, est évoquée la notion de patrimoine européen
tandis qu’avec Mekong Histoire d’hommes, le
photographe nous invite au voyage mais aussi à réfléchir aux enjeux
liés à l’eau autour des petits peuples du grand fleuve. La
veine misérabiliste autour des premières victimes des enjeux
climatiques est reprise avec Esprit Nomade (en 2010) ; et
le ton devient sentencieux : Cette exposition invite à la
réflexion et transmet un message : prendre conscience que les
nomades, détenteurs de connaissances traditionnelles qui leur
permettent de vivre depuis des millénaires dans des milieux
hostiles, pourraient se révéler de précieux alliés de l’homme
moderne dans la préservation et la conservation de l’environnement.
Mais il faudra attendre 2012 pour que le Sénat
atteigne enfin son cœur de cible, la France des Territoires
et le respect de l’environnement qui y est menacé, pour une assemblée
dont on a toujours soulignée que c’était une assemblée de notables
de province : La France, en métropole comme en outre-mer, compte
250 réserves naturelles, 9 parcs nationaux, 2 parcs naturels marins,
plusieurs centaines de sites protégés sur le littoral, des dizaines
de réserves biologiques forestières... Ces espaces de nature
remarquable bénéficient d’un statut de protection réglementaire mais
ne sont pas forcément bien connus du grand public. Or ces « cœurs de
nature » représentent, pour la France, un patrimoine de très grande
valeur, et pour les citoyens, des lieux inépuisables de beauté et de
ressourcement.
La conscience de la nécessité de préserver la biodiversité est
croissante parmi nos concitoyens. Mettre en valeur les merveilles de
la nature de proximité génère toujours un intérêt lié à la
découverte et par conséquent un souci de protection de ce
patrimoine, favorable à une mobilisation locale.
L’exaltation du patrimoine provincial continue par
la suite :
exposition Tour de France (2013) : le Sénat propose sur
les grilles du jardin du Luxembourg un voyage dans nos territoires
et dans le temps, exposition Patrimoines, l'histoire en
mouvement (2014) : le Sénat a la fierté de mettre à
l’honneur par cette exposition, nos villes, nos campagnes et leurs
trésors patrimoniaux singuliers et attractifs.
A ce moment, le fait de jeter de vilaines bâches
sur les splendides grilles du Luxembourg et de saloper ainsi un
patrimoine qu’on prétend par ailleurs tant mettre en valeur, crée un
paroxysme contradictoire.
L’Exposition Montagnes de France (2015),
après un intermède sur la paix en Europe (Fields of Battle -
Terres de Paix 14-18) et quelques macrophotographies d’une
nature forcément condamnée à disparaître (Hyper Nature –
2015), donne à Gérard Larcher, Président du Sénat, l’occasion
d’enfoncer le clou : Je forme le vœu que ces témoignages
photographiques exceptionnels vous incitent à partir à la découverte
de ces territoires de montagne et de leurs habitants qui, par leur
force de caractère et leur dynamisme, apportent une contribution
significative à la stratégie touristique de la France et à la
préservation de nos espaces naturels.
La veine est cette fois solide : Le patrimoine, une passion, des
hommes (fin 2016) permet de poursuivre : Ce patrimoine de
proximité émaille nos villes et nos campagnes, leur confère leur
authenticité et contribue à leur attractivité touristique.
Et culmine en 2017 avec l’exposition parfaitement
justifiée Jardins extraordinaires sur le Jardin du
Luxembourg vu par des photographes.
Parfaitement justifiée, oui, et la seule exposition parfaitement
justifiable en ce lieu parce qu’elle ne présente pas un antagonisme
prédateur entre elle et le lieu où elle se déroule. Elle est
justifiée d’être sur ces grilles parce qu’elle parle du lieu que le
visiteur découvrira derrière. Elle est justifiée parce qu’elle ne
prend pas prétexte de l’évocation du patrimoine pour absurdement
aussitôt le "sagouiner" avec des bâches en plastique ; elle est
justifiée parce qu’elle ne vient pas voler aux Parisiens la beauté
du parc pour encore leur donner des leçons sur la nature et la bonne
façon de s’y conduire, la fin ne justifiant jamais les moyens.
Après ce sommet indépassable, deux expositions (Outre-mer
grandeur nature en 2020 et Visages du Rhône en 2011)
continuent la veine assez juste d’un Sénat soucieux de la défense
d’un patrimoine des territoires menacé, même si, une fois encore,
les moyens sont condamnables, tandis que d’autres expositions à
caractère social ou historique montrent assez combien rien n’est
véritablement pensé ou organisé, et combien ce lieu est finalement
aux yeux de ceux qui y ont le pouvoir, un lieu comme un autre.
Dans les justifications données sur le site du
Sénat, le côté artistique, vaguement évoqué en début de la série
d’expositions (« l’Art en passant ») n’est plus repris du
tout par la suite. Dont acte. On ne cherche pas à faire croire qu’il
s’agit d’art. Il s’agit d’éduquer les masses incultes à de bonnes
causes, même si c’est en abimant l’extérieur des grilles qui forment
avec le jardin un espace de toute beauté… une beauté qu’on ne voit
plus et qu’on méprise.
Tout le monde est bien d’accord que ces bâches sont moches et
purement informatives.
Le Sénat estime être dans son rôle quand il invoque la défense des
territoires, et il faut reconnaître qu’il l’est.
L’attitude générale montre la priorité que le politique estime
pouvoir exercer sur l’architecture du lieu et sa beauté.
Il est certainement loin du ressenti personnel du citoyen qui se
sent dépossédé et amoindri par l’irruption de ces exercices de
volonté sur un lieu collectif qu’il juge lui appartenir et qui était
beau en soi avant que le politique ne l’abime.
C’est ainsi que le politique se fait à chaque
exposition détester un peu plus, là où, méprisant et donneur de
leçon, il croît éduquer des masses incultes.
Tout ceci au nom d’idéologies floues, de prétextes consensuels, sans
véritable effort de pensée.
Conclusion : une oppression non désintéressée.
L’argent que coûtent ces expositions désastreuses
par la dégradation du lieu qu’elles engendrent n’est pas perdu pour
tout le monde.
Il y a un business de la bonne conscience, du caritatif et de la
dénonciation vertueuse qui se remplit les poches au prétexte de
l’art pour tous.
Aussi proposons-nous au minimum que chacune des
expositions à venir soit accompagnée d’un panneau d’information
donnant les indications suivantes :
Combien cela a coûté ?
Qui a gagné quoi exactement ?
Ces informations doivent être détaillées de sorte que le public
puisse se faire une idée claire de l’exposition et de l’emploi des
fonds publics. Là ce serait une vraie progression vers l’égalité, la
conscience du réel et la démocratie, valeurs irréfutables au nom
desquelles, justement, on organise ces expositions.
Il nous semble normal d’exiger un panneau sur ce sujet puisque le
financement est public et que l’espace où a lieu l’exposition
appartient au peuple.
Par ailleurs nous aimerions aussi sur le même
panneau quelques explications simples et précises justifiant
l’action faite :
Pourquoi a-t-on fait l’exposition dans ce lieu précis ?
Qu’est-ce qui justifie qu’on ait retiré à la jouissance collective
ce lieu précis pour obliger le regard de tous à ces choses en
particulier ?
Quelle est l’intention exacte ?
En quoi cette exposition justifie-t-elle sa présence dans cet
environnement et pas dans un autre ?
En obligeant les organismes publics et les
décideurs à plus de transparence et de rationalité, je ne doute pas
qu’on arrive à éviter nombre d’expositions non seulement inutiles
mais nuisibles, et aux politiques, et aux monuments historiques, et
à l’environnement, et au citoyen.
Progressivement devant cet effort de justification
à faire, qui est littéralement impossible à mener puisque ces
expositions sont injustifiables, je ne doute pas que le nombre de
ces expositions irait en décroissant. Je ne doute pas non plus que
nos politiques faisant preuve enfin d’un peu de jugeote
redeviendraient plus populaires en arrêtant une bonne fois ces
gaspillages pas perdus pour tout le monde et visibles de tous.
Un dernier mot enfin pour en revenir à Rochechouart.
Peut-être pourrait-on obtenir au moins que le fâcheux précédent ne
se reproduise pas à l'avenir au plus bel endroit de la ville. Après
tout à Paris, on ne juge tout de même pas utile de coller les photos
de Reza sur la Tour Eiffel. Quitte à s’inspirer des mauvaises idées
de la capitale, faisons-le au moins raisonnablement.
Enfin j'ai l'impression que le niveau de pensée
est devenu si faible dans la capitale que penser mieux dans les
petites villes que dans la grande est désormais tout à fait à
portée. En justifiant vraiment nos actions au fond, nous doublerions
facilement, en qualité, certaines actions parisiennes comme ces
fâcheuses expositions sur les grilles du Luxembourg. Ne serait-ce
pas là une vraie possibilité d'être moderne ?
Dernière
modification de cet article : juillet 2021 |