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l'auteur
Emmanuel Bigler
est professeur (aujourd'hui retraité) d'optique et des
microtechniques à l'école d'ingénieurs de mécanique et des
microtechniques (ENSMM) de Besançon.
Il a fait sa thèse à l'Institut d'optique à Orsay
E. Bigler utilise par ailleurs une chambre Arca-Swiss
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Passer du 24x36 au 6x9 tout de suite : pourquoi
pas ?
Si vous lisez ce document, c'est que vous êtes
intéressés à la prise de vue de haute qualité et que
l'utilisation d'appareils photo de moyen format ou d'une chambre
de grand format vous tente. Vous avez certainement déjà un
appareil 24x36 et vous vous posez des questions avant de « faire
le saut ». En particulier l'idée de manipuler des plan-films un
par un, la difficulté à s'en procurer sans parler des problèmes
techniques ou du prix du développement (si on ne le fait pas
soi-même) vous effraient un peu. Vous lirez donc avec intérêt
les nombreuses contributions présentées sous forme d'articles
sur
www.galerie-photo.com, ou bien vous lirez les
échanges sur le groupe de discussion
http://www.galerie-photo.info/forum
. Et si vous lisez l'anglais, je vous recommande le livre de
Roger HICKS et Frances SCHULTZ, un
couple de photographes Anglo-Américains de forte personnalité "Medium
and Large Format Photography, Moving Beyond 35mm for Better
Pictures'' [1], qui vous
convaincront d'ailleurs chemin faisant que le rollfilm c'est
vraiment très bien, mais que finalement un 5''x7''-13x18cm par
contact, il n'y a rien de mieux.
Mais il y a une solution intermédiaire entre le
24x36 et le plan film de grand format : c'est l'utilisation du
rollfilm moyen format permettant d'obtenir des images de 4,5x6,
6x6, 6x7, 6x8, 6x9 et même 6x12 ou 6x17 (sous forme de châssis
pour chambre 4''x5'' ou de chambres panoramiques
professionnelles).
Vous avez peut être vu des publicités pour le
4,5x6, qui annoncent « la facilité d'utilisation d'un 24x36...
pour un format presque 3 fois supérieur ». Alors puisqu'on est
parti pour faire quelque chose de vraiment
meilleur que le 24x36, pourquoi s'arrêter à ce format ? Certes
vous ferez 16 vues 4,5x6 sur film 120, mais est-ce bien le
problème ? Non, tant qu'à faire allons jusqu'au 6x9 sur le même
rollfilm, un format qui pour un utilisateur de 24x26 présente le
même rapport 1:1,5 des côtés de l'image ; le 6x9 est le plus
grand format avant les panoramiques sur rollfilm. Vous n'aurez
donc pas à repenser tous vos cadrages, le changement le plus
radical étant sur ce point le format carré 6x6 : passer
directement au 6x9 vous évitera d'avoir encore à lire tous les
témoignages passionnés pour ou contre le format carré, un débat
qui dure au moins depuis 1929, date de naissance du Rolleiflex !
Et puis on peut dire que le 6x9 c'est le plus
grand format qui « passe » encore dans le circuit des labos
photos pour les amateurs, ou qui « passe » à peu de frais dans
votre labo photo personnel noir et blanc d'amateur : un
"Krokus'' d'occasion, une cuve à spire classique 120/220, une
optique de 100mm, vous y êtes. N'oubliez pas qu'en ce moment le
numérique fait brader les vieux agrandisseurs grand format 6x9
ou 9x12 qu'utilisaient les professionnels des arts graphiques :
alors, en chasse !
Les formats panoramiques, déjà source de certains
soucis en tirages d'amateur 24x36, vous obligeraient en 6x12 ou
6x17 à passer en labo professionnel avec les conséquences qui en
découlent en termes de prix des travaux, donc peu de différence
par rapport au plan film grand format. Mais les résultats qu'on
obtient avec une chambre rollfilm panoramique ne cèdent bien
entendu en rien à ce qu'on obtiendrait en recadrant un plan film
: un très bel exemple d'utilisation d'une chambre rollfilm
panoramique 6x17 nous est donné par le photographe islandais
Páll Stefánsson dans son livre "Panorama Iceland'' [4].
Les fabricants de chambres panoramiques comme Linhof ne manquent
pas bien sûr dans leurs brochures de présenter à leurs futurs
clients toutes les belles images qu'on peut faire avec ce
matériel spécial du « rollfilm extrême » [5].
À l'usage de l'amateur qui développe lui-même, on
peut tempérer un peu en disant que le 6x12 passe encore sur un
agrandisseur 9x12-4''x5'', le problème étant plus le prix du
châssis rollfilm 6x12, un objet cher, à usage a priori
professionnel. À ce sujet on se référera utilement à l'article
d'André MOUTON
"Les Châssis Roll-Film Pour Chambres 4X5 Inches''.
Personnellement j'utilise aussi un Rolleiflex 6x6
depuis plus de vingt ans, et je recommande de lire sur le site
de M. Le Mandat
"Choix d'un appareil moyen format pour ceux qui ne veulent
pas se ruiner''
tout le bien qu'on peut penser des bi-objectifs 6x6 d'occasion.
Mais utilisant à nouveau (j'ai eu un "Fex'' 6x9 comme premier
appareil, film 620) le format 6x9 à la chambre depuis peu il me
semble, au risque d'apparaître à la fois un brin provocateur et
en contradiction avec ma démarche passée, qu'on peut
parfaitement « sauter » directement le pas du 24x36 au 6x9. Je
vais essayer ici de présenter des arguments dans ce sens.
Il fut un temps ou le film en rouleaux avec son
papier noir de protection et ses chiffres imprimés à regarder à
travers une fenêtre rouge, en un mot le "rollfilm'', fut une
innovation fulgurante (merci, Kodak !) à côté des plaques de
verre des Frères Bisson. Le terme « Rollfilm » me semble être
d'origine allemande, on dit "Kleinbildkamera'' pour les
appareils 24x36 et "Rollfilmkamera'' pour les moyens formats
utilisant ce type de film.
Figure 1 : Le célèbre
papier jaune large d'un peu plus de 60 mm (2''1/2) existe depuis un siècle ;
et le très sérieux fabricant met toujours le consommateur en garde contre
les fausses manipulations qui pourraient voiler son rollfilm.
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Ensuite tous les amateurs ont utilisé le rollfilm
en 6x6 et 6x9 jusqu'aux années 1960. Le développement du 24x36
et son utilisation comme format standard par les journalistes
après le 9x12 puis le 6x9 et le 6x6 semblait devoir reléguer le
rollfilm comme curiosité historique pour la foire de Bièvres.
Bien sûr tout le monde a vu un professionnel avec un moyen
format un jour de mariage, mais il n'est pas certain que
l'association du dernier cri de la technologie (après le Contax
645, on parle d'un Rollei 6x6 série 600X autofocus pour très
bientôt) avec le rouleau de papier noir et la bande gommée
(parfumée à la menthe chez Agfa : zut, il va falloir que j'en
parle à mon homéopathe !) aille de soi dans le grand public.
Et pourtant le rollfilm se porte bien, merci. De
la famille nombreuse des rollfilms d'antan (qui a utilisé
récemment du rollfilm code 620, du 127 ou du 115 ? [2])
il ne reste que le 120 et le 220, ce dernier étant une variante
du précédent permettant d'enrouler deux fois plus de film sur
une même bobine en ne mettant que le strict minimum de papier
noir en amorce à chaque bout. Plus de fenêtre rouge autorisée
pour le 220 car le film en cours d'utilisation devient « nu ».
En revanche, pour les perfectionnistes, on peut en théorie
nettement améliorer la planéité du film avec du 220, en
particulier grâce à un dos spécial à placage sous vide. Une
étude récente de chez Carl Zeiss en fait foi
"Is rollfilm 220 better than 120 in terms of film flatness?'' [3].
Mais rassurez-vous avec le rollfilm 120, le plus courant, on
fait déjà pas mal de belles choses.
Il n'a y a pas de perforations sur ce film de 61
mm de large, protégé par un papier noir à peine plus large de
quelques millimètres ; c'est simplement un nombre de tours de
manivelle ou de bouton d'armement qui permet de n'avancer que de
la longueur nécessaire au format de l'appareil. Différents
systèmes de palpeur mécanique permettent de maintenir un
écartement constant entre les vues. Ceux qui ont déjà ouvert un
Rolleiflex bi-objectif connaissent bien la petite roulette
dentée qui appuie sur la bobine réceptrice et qui transmet
« l'information » à la manivelle d'avancement. Avec un rollfilm
120 on fait 8 vues 6x9 et 16 en 220. Signalons que dans le monde
anglo-saxon on appelle le format rollfilm 6x9 en pouces sous
l'appellation « 2''x3'' », c'est à dire plus précisément
2''1/4x3''1/4.
Figure 2 : Les chiffres
repérant les formats 4,5x6, 6x6 et 6x9 sont toujours imprimés sur les
papiers des rollfilms modernes même si la ����������������������������� fenêtre rouge » a disparu des
appareil récents.
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Ce format existe toujours en plan film bien que
l'assortiment soit, en 2001, vraiment très réduit : il ne reste
à ma connaissance principalement que du noir et blanc.
Clairement pour une utilisation à la chambre le rollfilm a pris
définitivement le pas sur le plan-film 6-1/2x9. Si vous achetez
un appareil avec des châssis 6-1/2x9, vous pourrez si vous y
tenez recouper du plan film 9x12 ou 4''x5'' mais là cela devient
un peu acrobatique. Néanmoins, une cuve comme la Combi-Plan vous
permettra, outre le 9x12 et le 4''x5'', de traiter le plan-film
6-1/2x9 sans problème, de la même façon que certaines spires
« universelles » 135/120/220 ont encore un encliquetage
intermédiaire pour le rollfilm 127 (4x4).
Délicate question. Si vous regardez ce que le
marché offre en appareils le choix en 6x9 semble être réduit à
peu de choses en neuf à l'exception notable des châssis 6x9
utilisables sur toutes les chambres. Il semblerait que ce format
soit tombé en désuétude au profit des 6x7 et 6x8. J'ai lu que le
6x7 (56x72) était le « format idéal » avec son rapport 1:1,28.
Pourquoi pas, mais alors pourquoi n'a-t-on jamais fabriqué
d'appareils utilisant le film perforé de 35mm pour un format
d'image de 24x30mm ??? On y gagnerait en nombre d'images, si cet
argument a un sens. Les utilisateurs de 24x36 ne se plaignent
pas que leur rectangle est « trop long » ; d'ailleurs
l'harmonieux « rectangle d'or » cher aux Grecs et plus récemment
prisé par Le Corbusier a un rapport de 1:1,6 encore plus long.
Peut-être le 6x8 avec un rapport proche de 1:1,4 convient-il
mieux pour l'impression sur les formats européens standard
type A : A5, A4, A3, ...
Et le 6x6 ? il y a une raison qui rend ce format
intéressant, c'est le fait que les prismes redresseurs ont
théoriquement un poids 8 fois plus élevé si vous doublez la
diagonale de l'image et donc les dimensions du bloc de verre.
Outch !!! Avec un 6x6 réflex (mono "SLR'' [6]
ou bi-objectif "TLR''), vous pouvez très bien vous passer du
prisme si vous acceptez l'inversion droite-gauche de l'image.
Pas de problème en effet, vous ne vous poserez jamais la
question de cadrer horizontal ou vertical, vous laisserez
l'image finale carrée ou vous la recadrerez a posteriori.
Les choses se corsent si vous voulez tourner de 90 degrés un
4,5x6 ou un 6x7 réflex sans prisme utilisé avec le seul viseur
capuchon : là c'est une inversion haut-bas qui apparaît mais
avec une quasi-impossibilité de trouver le cadrage précis à main
levée à moins d'un long entraînement. Sur les gros 6x7 ou 6x8 de
studio on tourne le châssis rollfilm comme sur une chambre et le
tour est joué : on n'a pas à basculer tout le poids de ces
énormes appareils.
Mais finalement, tenté par une grande image,
voulez-vous vraiment quelque chose qui soit comme un gros
24x36 ? Il en existe et de très bons en 6x7 avec un énorme
prisme en option, mais ne préféreriez-vous pas quelque chose de
plus rustique, avec moins de plastique que les 24x36
« modernes », sans cristaux liquides, et peut-être même sans
électricité à bord, en un mot l'appareil le plus simple (sans
jeu de mot), surtout sans compromis sur l'optique, et avec le
plus grand négatif possible sans aller jusqu'au plan film ? Je
veux dire : un 6x9 à viseur (avec télémètre ou non), ou une
petite chambre. Mais il y a aussi des 6x7 à viseur et des
châssis 6x7 pour les chambres.
J'entends les objections des professionnels qui
travaillent en moyen format. « 6x9 : type d'appareil dépassé »,
« aucun intérêt pour mon travail à part à la chambre comme
châssis rollfilm et encore », « regardez ce que les pros
utilisent vraiment au lieu de rêver...»... Difficile
d'argumenter là-contre.
Mais en amateur, vous n'avez peut-être pas besoin
d'une « machine à photographier » professionnelle. De même que
de bonnes machines-outils de production mécanique qui ne sont
plus « dans la course » dans l'entreprise peuvent faire le
bonheur du bricoleur lorsqu'elles sont de conception saine (et
qu'on peut les réparer sur de très longues périodes), de même il
y a en 6x9 de sympathiques « machines »
manuelles de ce genre (par exemple à télémètre), et il y a
aussi les petites chambres : nous en reparlerons plus bas.
Que vous soyez intéressés par le 6x7, le 6x8 ou le
6x9, ce qui suit reste pertinent. En 6x9, la focale standard,
égale à la diagonale du format, c'est 100mm. En 6x7 - 56x72, ce
sera plutôt 90mm.
Comme les deux formats 24x36 et 6x9 ont presque
(56 x 1,5 = 84) exactement le même rapport 1:1,5, les
comparaisons de focales sont simples et sans discussion ; il
suffit de multiplier ou de diviser par 2,3 (100:43, 43mm étant
la diagonale du 24x36).
Les objectifs que j'utilise personnellement sur ma
chambre 6x9 Arca-Swiss ne sont pas spécifiquement conçus pour le
format 6x9 mais pour les chambres 9x12-4''x5''. En dehors des
appareils moyens formats 6x9 dont certains ont (avaient ?) des
optiques interchangeables, les seuls objectifs de chambre en
production, spécialement conçus pour 6x9, sont les objectifs
« standard » de 100mm de focale, au catalogue de tous les
constructeurs, et certains grands angulaires de 65mm et de
focale encore plus courte qui ne couvrent pas le 9x12-4''x5''. À
ma connaissance il n'y a pas de longue focale qui ne couvrirait
"que'' le 6x7 ou le 6x9 chez les fabricants d'optiques de
chambre.
Il y avait, disponibles en 100mm, le Planar 2,8 de
100mm de chez Zeiss et son frère-ennemi le Xénotar Schneider
tous deux prévus pour les appareils-photo de « presse »
d'autrefois ou pour les chambres techniques comme la Linhof
Technika. Pour la prise de vue à main levée, l'ouverture de 2,8
devait être bien commode ; on trouve aussi en occasion le couple
Tessar-Xénar des mêmes fabricants avec une ouverture plus
modérée. Ce genre d'objectifs 6x9 à ouverture assez grande par
rapport aux objectifs de chambre actuels ne sont plus fabriqués,
sans doute parce que personne dans la presse n'a jamais plus
utilisé d'appareil 6x9 à main levée depuis la fin des années 50.
Toutefois des objectifs « digitaux » ont été
introduits ces dernières années, avec une ouverture maximale
supérieure à leurs homologues « pour film » et une gamme de
focales plus courte, en contrepartie d'un plus petit diamètre de
cercle d'image nette. Ils visent le marché de la prise de vue
avec bascule et décentrement avec dos numériques de petite
taille en moyen format et même en grand format. Fort chers, ils
sont néanmoins parfaitement appropriés à la prise de vue sur
rollfilm 6x9.
D'autres idées pour nourrir le débat : considérez
la petite taille, le poids et le prix réduits d'un objectif de
chambre de 100mm comme l'Apo-Symmar 100mm/5.6 Schneider ou son
concurrent direct chez Rodenstock, Nikon ou Fuji. Considérez
maintenant le prix d'un Planar 100mm Hasselblad (d'accord, un
exemple extrême !) ou de façon générale le prix d'un objectif
interchangeable pour un réflex moyen format chez n'importe quel
fabricant. Pour le prix d'un simple objectif interchangeable en
moyen format réflex, vous aurez de 2 à 5 objectifs de chambre de
100mm, obturateur et planchette comprise !!
À signaler la possibilité (entre autres chez
Rodenstock) d'avoir certains objectifs de chambre (ceux dont le
diamètre n'est n'est pas trop grand) en monture hélicoïdale
graduée en distances comme une optique pour 24x36 ou pour
moyen format réflex ou à viseur. En utilisant un châssis
rollfilm du commerce, cela permet même d'envisager sérieusement
de fabriquer soi-même une petite chambre 6x7 ou 6x9 en
simplifiant le délicat problème de la rampe de mise au point. Si
la distance objectif-film est bien réglée sur l'infini, rien
n'empêche, surtout avec un grand angle où la profondeur de champ
est raisonnablement grande, de régler la distance « au jugé »
comme sur un Minox 35 ou comme des générations de photographes
l'ont fait, en estimant la distance ou en la mesurant avec un
télémètre indépendant.
D'ailleurs un tel type de chambre, orientée vers
la prise de vue en grand format, au grand angle à main levée,
est ou a été au catalogue de plusieurs fabricants dont Sinar [7].
Personnellement j'ai finalement opté en 6x9 pour
des objectifs de chambre classiques, trouvant en amateur les
modèles « digitaux » trop chers par rapport aux objectifs
traditionnels conçus pour le 6x9-9x12-4''x5'' sur film. Ainsi
j'ai acheté, en neuf, les objectifs suivants :
-
Un grand-angle Rodenstock Grandagon 75mm f/6.8
- focale équivalente en 24x36 : 33mm si vous faites du 6x9,
mais équivalent à un 21mm en 24x36 si vous couvrez plein
cadre 4''x5''. Un commentaire : le 6,8/75mm Grandagon (6
éléments) est l'un des 75 les moins chers en neuf pour le
9x12-4''x5 ''. Et de plus l'un des plus petits et des plus
légers.
-
Un « standard » Schneider Apo-Symmar 135mm
f/5.6 - focale pour le 6x9 équivalente à un 58mm en 24x36,
mais équivalente à un 37 mm si on l'utilise plein cadre
4''x5''.
Je n'ai pas choisi de 100mm, c'est peut-être une
erreur, mais j'ai voulu un intervalle significatif en termes de
focales entre le 75 et « mon objectif standard ». Dans
l'assortiment des optiques pour les anciennes Linhof Technika
6x9, le standard était un 100mm, le grand-angulaire un 65 mm
équivalent à un 28mm en 24x36. Personnellement je préfère le 35
au 28 en photographie 24x36. Ainsi j'ai plutôt choisi le 75
plutôt que le 90 (pas assez d'angle de champ) et plutôt que le
65 (trop d'angle de champ à mon goût, nettement plus cher en
neuf ; à l'extrême les 65 conçus pour couvrir tout le 4''x5''
correspondent à un 18mm en 24x36, vraiment trop spécial, hors de
prix). Un 100mm en 6x9 est donc équivalent à un 43mm en 24x36,
un 120mm à un 51mm. J'aurais donc pu choisir aussi bien un
120mm. Rappelons pour les nostalgiques que l'assortiment
classique de l'époque « d'avant zooms » en réflex 24x36 était
35, 50 et télé de 135 ce qui donne en 6x9 : 80, 116, 310.
Pour terminer en ce qui concerne les choix de
focales en grand format, on peut aussi citer l'avis de C. KOCH
[8] dans son ouvrage de
référence sur le grand format. Il conseille en effet comme
assortiment de base trois focales,
-
un grand angle de focale égale au petit côté
du format,
-
un « normal » de focale égale à la diagonale
du format,
-
et une longue focale égale au double du grand
côté.
En 9x12 cela donne les focales classiques
présentes chez presque chez tous les fabricants : 90, 150, 240.
En 6x9 cela donnerait 55-60, 100-105, et 165-180. Suivant l'avis
de l'expert, le 75 en 6x9 est donc un peu « trop étroit » en
angle pour un professionnel qui fait souvent de la prise de vue
d'intérieur ou d'architecture.
Pour les deux objectifs (75, 135) utilisés avec un
châssis rollfilm 6x9, vous avez une capacité énorme de bascule
et de décentrement, beaucoup plus que ce que vous n'utiliserez
jamais en pratique. En ce qui concerne le piqué de ces deux
objectifs, je n'ai pas à me plaindre ;-), mais mon expérience
est encore tr��s limitée. Mon sentiment est qu'il ne faut pas
trop compter sur un recadrage 6x6 pris dans un négatif 6x9 pour
battre en piqué un objectif standard conventionnel fait pour le
6x6. Mais il faut tenir compte de ce que vous avez un plus grand
négatif et des capacités de bascule et de décentrement, avec
dans le cas d'une chambre le cadrage facile et la vérification
de netteté précise sur un grand verre dépoli. À ce sujet les
fervents de la chambre grand format, une fois habitués à cadrer
sur un verre de 4''x5'' minimum, trouvent le dépoli 6x9 trop
étriqué.
Mon sentiment est, en pur piqué (ou FTM) que seuls
les nouveaux objectifs de chambre "digitaux'' peuvent
éventuellement concurrencer une optique moyen format comme le
légendaire Zeiss-Hasselblad Planar 3.5/100mm, pour ne citer
qu'une seule figure emblématique de l'optique d'outre-Rhin,
sachant que la concurrence japonaise ne s'est pas croisé les
bras loin de là depuis que la NASA a demandé de bonnes optiques
Zeiss pour ses missions lunaires !!. Je n'ai de fait aucune
expérience des objectifs 90mm-100mm standard sur des
appareils-photo à télémètre comme celui de chez Fuji. Bien que
leur réputation soit enviable, je sais qu'il est assez difficile
de battre le Planar 100mm. En fait cet objectif peut
certainement couvrir une image 6x9 si vous considérez que vous
êtes « autorisés » par Hasselblad à décentrer de +-15mm quand
vous utilisez un planar 100 avec le Flexbody !
N'oubliez pas aussi que les objectifs de chambre
sont conçus dans l'idée d'être utilisés sur un pied, et qu'ils
offrent des possibilités en bascule et décentrement bien au delà
de ce que les objectifs d'appareil « fixes » peuvent vous
offrir. Ainsi avec une optique de chambre, on doit fermer à f/16
sinon f/22. À de telles petites ouvertures on est au meilleur
compromis entre la diffraction et les aberrations géométriques
résiduelles pour un format donné, ici de fait le 4''x5'' pour
les objectifs 6x9 que j'ai choisis. Dans ces conditions
particulières de prise de vue, et compte tenu de l'état de
concurrence entre des fabricants fournissant essentiellement une
clientèle professionnelle exigeante, les différences entre
marques sont, me semble-t-il, marginales et très difficiles à
démontrer en pratique sur le terrain.
Je recommanderais certainement à quelqu'un
intéressé par les bascules et les décentrements, ou par la photo
en format 6x9 (ou à tous les deux à la fois) une petit chambre
avec un châssis rollfilm. Mais ce choix sera en fait motivé par
le genre de photos que vous aimez prendre. J'aime bien
« l'approche lente » en paysage ou en architecture ; du coup,
une petite monorail est ce qui me convient.
Si vous venez du monde du 24x36, vous n'êtes
peut-être pas intéressés par les bascules et les décentrements,
dans ce cas un appareil à télémètre comme le Fuji 6x9 est
certainement un bon choix. Mais vous n'aurez qu'un seul objectif
non-interchangeable. Pour autant que je sache il n'y a aucun
système d'appareils-photo en fabrication actuellement en 6x9
avec des objectifs interchangeables, excepté le Mamiya-Press
qui n'est plus fabriqué mais qui se trouve facilement en
occasion (voir ci-dessous) et naturellement les chambres.
J'ai choisi la 6x9 Arca parce que je voulais à la
fois utiliser les bascules et les décentrements, et parce que
que je peux avoir l'assistance technique du fabricant sur place
à Besançon. Mais aussi la 6x9 Arca est un modèle assez léger
pour être porté dans un sac à dos (sur ce point une chambre en
bois semble être un très bon choix si j'en juge par le
passionnant témoignage de
Michele Vacchiano sur ce site).
Mais n'oubliez pas qu'au sommet de la qualité en
6x9, la Linhof Technika 6x9 avec son télémètre couplé est la
référence. Le Japon propose bien entendu de beaux produits
concurrents. Et il y a aussi le nouvel Alpa 12 et les Silvestris
si vous n'avez pas peur du prix. Et enfin la Technika 4''x5''
sur laquelle vous pouvez bien sûr mettre un châssis rollfilm. Là
encore
l'étude comparative des chambres sur ce site vous donnera
une bonne idée de l'état actuel de l'offre et de la dure
concurrence qui s'exerce entre les marques, même si ce sont des
produits que vous ne trouverez pas au rayon photo de votre
supermarché favori.
De mon point de vue un des avantages de l'Arca 6x9
est que sa conception en tant que monorail la rend facilement
extensible au 4''x5'' (la Linhof 6x9 est une chambre pliante et
n'est pas extensible au 4''x5''). C'est la raison pour laquelle
j'ai choisi des objectifs que je pourrai peut-être utiliser un
jour en 9x12-4''x5''. Traditionnellement en Europe le 135mm est
l'objectif standard pour 9x12.
Tenant compte de l'offre importante en chambres
4''x5'', en particulier Amérique du Nord, une 4''x5'' équipée
d'un châssis rollfilm est peut-être plus accessible en termes de
prix que tout autre appareil 6x9. Il y a en fait peu de chambres
6x9 sur le marché et elles ne sont pas moins chères -c'est un
euphémisme- en moyenne que les chambres 4''x5''. R. Hicks et F.
Schultz sont aussi de l'avis que les chambres 6x9 sont rares et
chères, et donc très pénalisées pour l'amateur par rapport à une
chambre 4''x5'' ; mais ils utilisent beaucoup le 6x7-6x9 avec de
petites chambres de toutes sortes, de la plus ancienne à la plus
moderne, l'un de leurs appareils préférés étant l'Alpa 12 qui a
servi à la réalisation de nombreuses images présentées dans leur
argumentaire passionné en faveur du moyen et du grand format [1].
Je n'ai aucune expérience des 6x7, 6x8 ou 6x9
réflex mono-objectifs ou les appareils-photo modernes à
télémètre comme les Fujis ou les Mamiyas. Le Fuji 6x9 à
télémètre ressemble à un gros 24x36, il est intéressant mais
paraît plutôt encombrant sans avoir de bascules ni
décentrements. Son optique, au dire des connaisseurs, est au
sommet.
Un de mes amis, un passionné de photo,
constructeur amateur et pilote d'U.L.M. a trouvé ici pour 450
euro environ une chambre Mamiya-Press 6x9 d'occasion. Il s'en
sert, entre autres, pour faire de la prise de vue aérienne en
U.L.M. Pas pour concurrencer Arthus-Bertrand qui utilise
beaucoup le 24x36 !!! Non, juste pour le plaisir. En fait il
s'est fabriqué lui-même par la suite, pour emmener en vol, une
autre chambre 6x9 simplifiée et plus légère à partir d'un
châssis 6x9 de son Mamiya Press et d'un très bon Schneider
d'occasion mis devant... mais ceci est une autre passionnante
histoire ...
Le Mamiya Press est un appareil séduisant avec un
télémètre couplé et de très bonnes optiques interchangeables.
Vous lirez sur ce site
l'avis d'un professionnel, Louis-Michel Bergereau, qui vous
dira (avec l'autorité que lui confère de nombreuses années de
pratique) tout le bien que l'on peut penser de cette gamme
d'appareils. L'offre en occasion est assez fournie. Et bien
entendu il y a aussi des châssis rollfilms 6x7 (non standard)
qu'on peut trouver en occasion. Le modèle de mon ami n'a pas de
pas bascule ni de décentrement, mais quelques modèles de
Mamiya-Press ont une capacité de bascule du dos, limitée. Je
concéderai volontiers qu'étant moi-même un passionné du
Rolleiflex 6x6 je n'ai pas vu pour l'instant, en tant
qu'amateur, l'intérêt d'un 6x9 ne pouvant pas offrir de réglage
de bascule ni de décentrement.
En résumé, pour s'équiper si vous êtes intéressés
à « sauter » au 6x9 directement depuis le 24x36 :
-
Évitez les appareils-photos 6x9 pliants de
grand-papa, excepté si vous êtes nostalgique (après tout,
pourquoi aime-t-on utiliser un Rolleiflex bi-objectif ?) ou
bien si c'est justement l'appareil de votre père ou de votre
grand père, celui qui a « pris » toutes les archives noir et
blanc de la famille. Mais si vous développez votre propre
noir et blanc à la maison, vous redécouvrirez avec un tel
appareil ou en triant vos archives le plaisir des
planches-contact directement lisibles.
Il faut tout de même faire une exception pour
certains modèles anciens 6x9 pliants d'occasion, ceux qui
étaient « haut de gamme » à l'époque comme le Voigtländer
Prominent ou le Bessa II surtout si vous voyez
« Apo-Lanthar » gravé dessus ; hélas ces appareils
prestigieux sont trop recherchés par les collectionneurs et
donc leur cote est dissuasive.
-
Si vous êtes intéressé par un 6x9 mais pas par
les bascules et décentrements, et si vous pouvez « vivre »
avec un simple objectif standard non-interchangeable,
essayez le Fuji à télémètre ou un modèle de même style comme
la Plaubel Makina. On trouve aussi un stock d'appareils 6x9
et 6x7 « de presse » qui peuvent être tentants, en
particulier en Linhof (voir la curieuse "Linhof 220''), en
Graflex ; de mon point de vue c'est la qualité de l'optique
et la présence d'un bon télémètre qui devrait vous décider
pour un tel appareil, car sans optique interchangeable il
vous faudra aussi réapprendre à travailler comme beaucoup de
reporters photographes d'autrefois qui n'avaient qu'une
seule focale à leur disposition.
En appareils neufs ou d'occasion récente,
dommage pour l'amateur de 6x9 que le Mamiya 7 ne soit "que''
6x7 ; avant c'était le Mamiya 6, il est devenu Mamiya 7 :
encore un peu et pourquoi pas un Mamiya 6x9 à objectifs
interchangeables ? Plus sérieusement, quel que soit votre
choix, vous noterez sans doute peu de différences dans
l'ergonomie avec un appareil 24x36 sur les 6x7 et 6x9
modernes, excepté naturellement le poids et l'encombrement ;
sur ce point il est clair que le 6x7 « gratte » le 6x9 en
largeur et cela se ressent sur le volume, et donc sur le
poids total de l'appareil.
-
Si vous voulez des objectifs interchangeables
et des capacités même limitées de bascule, recherchez une
Mamiya-Press. Parfois vendue sous la marque "Polaroïd''.
Plus lourde et plus encombrante que les précédents, mais
encore utilisable à main levée, offrant une bonne gamme
d'objectifs interchangeables. En Amérique du Nord vous
pouvez également trouver des stocks de vieilles chambres de
presse avec bascules et décentrement même limités comme la
''Graflex'' ou les variantes de "Graphic'' ; certaines
utilisaient le rollfilm 6x9 et avec celles prévues pour le
4''x5'' je suppose qu'on peut faire aussi du rollfilm avec
et pas seulement du plan-film.
-
Maintenant si vous voulez la bascule et le
décentrement, l'Arca 6x9, vous l'aurez compris, est ma
préférée. Il y a aussi des
chambres 6x9 japonaises très intéressantes, et bien sûr
de la vieille Europe, la Linhof Technika 6x9, l'Alpa et les
Silvestris. Dans son ouvrage de référence sur les chambres,
L. STROEBEL [9]
dénombre en Amérique du Nord une dizaine de modèles de
chambres 6x9 proposées par cinq fabricants ; il faut à cette
liste en rajouter quelques autres en particulier les
chambres 6x9 spécialisées « sans soufflet » comme l'Alpa 12
ou des chambres très grand angulaires qui sont à la limite
de ce que STROEBEL traite dans son livre. De
fait, vous serez surpris de voir que l'offre d'appareils et
de chambres en 6x9 permet à l'amateur un choix de fabricants
aussi vaste qu'en reflex 24x36 !! Néanmoins, ne ne
l'oublions pas, c'est ce que disent les nord-américains, une
4''x5'' équipée d'un châssis rollfilm sera probablement
moins chère, ne serait-ce que parce que l'occasion est plus
fournie en 4''x5'' qu'en 6x9.
Notez cependant que dans cette liste les seuls
chambres utilisables à main levée sont, me semble-t-il outre
l'Alpa, les Silvestris et les chambres spéciales grand angle
ou panoramiques, les chambres techniques pliantes comme la
Linhof Technika ou ses homologues japonaises. Avec une
monorail vous aurez besoin d'un pied photo. Du coup
l'approche en prise de vue devient complètement différente
de la photographie conventionnelle en 24x36 et elle ne
convient peut-être pas dans tous les cas. Une bonne raison
pour laquelle je garde le matériel 24x36 et bien sûr un 6x6
Rolleiflex bi-objectif...
Maintenant prenez votre temps et regardez
l'offre en occasion. L'id������������al étant de prendre en mains un 6x9 ou
une petite chambre, ne serait-ce qu'à cause du poids !!
Et en conclusion, le rollfilm ne se porte donc
pas si mal, quarante ans après cette phrase définitive de W.D.
Emanuel, dans son étude comparative des appareils de « l'Âge
d'Or photographique 1950-1960 » : "Le 6x9, après avoir été le
format le plus utilisé, est en voie d'extinction.'' [10].
Si l'expert, auteur de cette phrase a sans doute raison en ce
qui concerne la production d'appareils 6x9 grand
public
(qui a effectivement cessé dans les années 60), le format
6x9, lui, ne me semble pas prêt à disparaître. Une bonne occasion,
si vous avez parcouru les articles sur ce site et si vous avez
eu la patience de lire ces lignes, d'essayer le 6x9. D'ailleurs,
cher amateur de belles photos non insensible à la modernité,
vous-êtes vous posé cette question : avec votre "scanner''
d'amateur, justement, un négatif ou une diapo 6x9 çà va donner
quoi au final, par rapport au 24x36 ??
1 |
"Medium and Large Format
Photography, Moving Beyond 35mm for Better Pictures'',
Hicks, Roger & Schultz, Frances,
éditions David et Charles, ISBN 0715311174 (Mars 2001). |
2 |
Informations sur les anciens
formats de rollfilms : voir le site de Robert MONAGHAN,
page "films''
http://medfmt.8k.com
|
3 |
"Is rollfilm 220 better than 120 in terms of film
flatness?'' (ZEISS Camera Lens News, numéro 10, été 2000)
|
4 |
Páll Stefánsson, "Panorama
Iceland'', texte en anglais, allemand et islandais, ISBN
9979-51-105-2, (éditions EDDA, Reykjavík) |
5 |
"Outdoor Photography'' livre
promotionnel publié par
Linhof http://www.linhof.de. Pour avoir plus de
renseignements sur ce livre : mailto:books@linhof.de
|
6 |
SLR = "single lens reflex''
désignation anglo-saxonne du réflex mono-objectif, par
opposition au réflex bi-objectif comme le Rolleiflex appelés
"TLR'' comme "twin-lens reflex'' signifiant « objectif
jumelés ». |
7 |
C. KOCH,
"Grand format, cours de photographie'', ISBN 2-7075-0057.7 (Paul
Montel, 1976) page 67
|
8 |
C. KOCH, ibid.,
page 84 |
9 |
Leslie D. Stroebel, "View Camera
Technique'', 7-th Ed., ISBN 0240803450, (Focal
Press, 1999) page 303 |
10 |
"Cameras, the facts, a
collector's guide (1957-1964)'', Emanuel, W.D and Matheson,
D., historic edition edited by L. Gaunt, ISBN 0-240-51062-3,
(Focal
Press, 1981) |
Emmanuel BIGLER 2002-02-18
|