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l'auteur
Vassili Godtchenko
De mère russe
mais né au Vietnam en 1958
émigré aux Etats-Unis
puis venu en Europe
dans les années 90
Vassili Godtchenko
est d'abord un errant
et un apatride
Il a toujours fait comme il dit
"de petits boulots pour les autres"
avant en commençant
la pratique de la chambre en 2006
de faire "un grand travail pour (lui) tout seul"
Solitaire et épris de liberté
Vassili Godtchenko
livre pour la première fois ici
au public son œuvre personnelle
vassili.gko@gmail.com
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Vassili Godtchenko :
Lettres de suicidés
© vassili godtchenko
Pourquoi photographier des lettres de
suicidés ?
On ne peut pas dire que ce sont
des lettres de suicidés. Ce sont des personnes vivantes qui écrivent ces
lettres. Au moment où elles sont écrites on peut dire qu'elles sont vraiment
des lettres qui parlent de la vie dans ce qu'elle a de plus fondamental ;
c'est la vie concentrée sur ce qui est vraiment le plus important, sur ce
qui tient vraiment le plus à la personne qui écrit la lettre. J'aime la vie
et c'est cela qui m'intéresse. A quoi tiennent encore dans la vie ces gens
qui donnent l'apparence de ne plus croire en rien ? C'est vraiment une
expérience incroyable d'arriver à entrer ainsi dans ce qui est le centre de
la tête des gens, dans ce qui est vraiment leur identité.
© vassili godtchenko
"Identité" : vous
prononcez souvent ce mot là ?
Si vous aviez été comme moi porté
toute votre vie d'un pays à l'autre par des événements qui dépassent vos
forces, vous comprendriez ce que c'est que le problème de l'identité. Mais
les gens qui n'ont jamais été obligés de changer de pays, de changer comme
moi plusieurs fois, et donc de connaître cette violence absolue, ne peuvent
pas comprendre, ne comprendront jamais.
© vassili godtchenko
Sur votre façon
de travailler : comment arrivez-vous à obtenir des lettres de suicidés ?
On pourrait croire que c'est
difficile d'obtenir ces lettres : il y a peu de gens qui se suicident et au
début je pensais que cette démarche ne pourrait jamais aboutir. J'ai eu ma
première lettre par hasard, quand j'étais aux Etats-Unis vers 1983. Au début
je n'ai rien fait avec. Elle me fascinait, je la regardais de temps en
temps. Je me rappelle, j'habitais un deux-pièces en sous-sol en plein
New-York. Il y avait d'un côté le soupirail où passaient les jambes des
gens, et de l'autre il y avait une étagère avec une boîte dessus où je
mettais des objets que j'avais peur de perdre, comme des boutons à recoudre
ou des choses comme cela, et j'y avais mis cette lettre. Quand j'y repense,
d'un côté il y avait la vie qui n'était qu'une vie coupée et amputée, et de
l'autre, sur l'étagère, il y avait ce qui pourrait être la mort, mais qui
était en fait la vie la plus pleine qui soit. C'était la lettre d'une femme,
une alcoolique, qui avait laissé des consignes très strictes sur ce qu'il
fallait faire après sa disparition. Il y avait une sorte de liste des
commerçants du quartier et elle réglait le compte de chacun. A celui-là il
ne fallait surtout pas acheter le drap noir, c'était un voleur. Si on
mangeait quelque chose il fallait acheter le pain en face, chez Harold qui
était un type bien etc. C'était assez long. Ce qui me fascinait aussi c'est
que je connaissais les types et je trouvais qu'elle les avait bien vus.
Cette lettre c'était vraiment la vie.
Notez bien que j'ai eu cette
première lettre par hasard, je l'ai trouvée traînant à côté des poubelles
après que la famille ait évacué les affaires. Je ne sais pas pourquoi je
l'ai ramassée. J'étais seul, je pense que c'était pour ça. Ce n'est que
lorsque quelques jours après en rentrant chez moi j'ai trouvé ma porte
défoncée en deux, comme une porte de cheval, mais c'était le bas qui était
ouvert, que je me suis rendu compte que cette lettre était la chose à
laquelle je tenais le plus. Elle était là, et je me foutais bien que tout le
reste soit cassé et éparpillé par terre. Elle était là !
© vassili godtchenko
Donc la première
lettre vient par hasard, mais les autres ?
Après il ne faut pas croire que
c'est impossible. J'ai commencé à devenir un peu collectionneur assez vite.
Evidemment il faut un peu de doigté. Quand j'apprends un suicide
suffisamment tôt, j'essaye d'aller voir les familles et de demander si la
personne a laissé une lettre. En général les gens me regardent de travers au
début, mais si je dis ce que je veux faire, même si cela peut paraître
surprenant, au total ils sont plutôt d'accord : s'il y a une lettre ils me
la donnent assez vite. Je pense que la lettre c'est comme les chaussures, ça
les encombre. C'est quelque chose de très personnel. Les chaussures ils
peuvent les mettre à la poubelle facilement, mais la lettre c'est plus dur.
Ils ont l'impression de tuer le mort une deuxième fois s'ils la jette. Alors
même si j'ai l'air d'un fou, ils voient que je veux valoriser la lettre, et
c'est cela qui compte. En quelque sorte ils se débarrassent de quelque chose
qui peut leur rappeler qu'ils ont des devoirs ; cette poubelle qu'ils ont
trouvée, moi en l'occurrence, va s'occuper du mort. C'est comme de mettre le
cercueil au cimetière avec une bonne messe, exactement pareil.
© vassili godtchenko
Vous avez
beaucoup de lettres comme cela ?
Rien que depuis 2006, date à
laquelle je suis passé à la chambre photographique, j'ai réussi à récupérer
5 lettres. De toutes façons je ne suis pas pressé. J'aime faire les choses
lentement. Cela n'aurait pas de sens de travailler trop rapidement, je veux
conserver cette envie, presque religieuse, qui a besoin de temps.
Il y a dans votre
travail une recherche de perfection technique. Quel matériel utilisez-vous ?
Le matériel évolue ces temps-ci.
jusque là j'ai travaillé à la chambre 4x5'' avec une vieille Norma que
j'aime toujours beaucoup. Mais je voudrais passer à la 20x25. J'essaie de
soigner énormément l'éclairage, rendre le mieux possible l'extraordinaire
présence de chacune de ces lettres de sorte que j'arrive à retrouver dans la
photographie l'émotion que me procure l'objet, alors même que la lettre
n'est plus là. Je voudrais que chacune des photos soit une apparition
violente, une sorte de symbole perdu dans le noir de l'identité lumineuse de
l'être qui l'a écrite. Oui, c'est ce que j'aimerais. Que chacune de ces
lettres soit comme un point de lumière dans le noir, comme j'ai été toute ma
vie une lumière dans cette espace noir dont les courants invisibles m'ont
porté jusqu'ici.
dernière modification de cet article : 1er avril 2008
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