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Thierry Gieseler : paysages
Thierry, comment êtes-vous venu à la photographie ?
Ma vraie nécessité de faire de la photographie vient
de la peinture. La très belle peinture originale me procure une réelle
émotion esthétique. Une reproduction ne procure pas cette émotion. Vu
l’impossibilité d’aller au musée tous les jours, j’ai pensé que je
pourrais essayer de produire des tableaux moi-même. Plutôt que
d’apprendre la peinture, j’ai renoué avec la photographie vers 40 ans.
J’avais fait brièvement de la photographie vers l’âge de 10 ans, à
l’école et à la maison, y compris le tirage en chambre noire. Vers
20 ans, j’ai hésité à me saigner pour acheter un appareil, mais en
regardant les photographies des autres prises lors de vacances,
concerts… j’avais conclu à l’impossibilité de créer des images qui
communiquent l’impression du moment vécu. Je préférais mes souvenirs
(images mentales), quitte à les perdre définitivement, à des
photographies. Pour cette raison, je n’avais fait aucune photographie
pendant 20 ans.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de capturer l’instant ni de documenter
quoi que ce soit. Je cherche un équivalent photographique à ce qui me
parle en peinture (la transition du beau idéal vers le romantisme, puis
le luminisme à la Sorolla), mais aussi en musique (la symphonie
alpestre de Strauss) ou au cinéma (le caractère champêtre et
mystique de A Canterbury Tale de Michael Powell par
exemple). C’est l’enthousiasme de l’autodidacte qui parle !
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Pourquoi le paysage ?
De même qu’en voyage, « on ne saurait aller
chercher trop loin le désir d’être chez soi » ; on ne saurait mieux
contempler le mystère de la vie sur terre qu’en regardant un tableau de
paysage depuis son fauteuil !
Beaucoup d’entre nous vivons en ville par nécessité économique. Dans les
jours qui suivent une belle randonnée, j’ai des paysages plein la tête
et la nostalgie des heures lumineuses où les choses étaient redevenues
simples. En ville, ces souvenirs prennent des aspects irréels, comme
venus d’un autre monde. J’ai l’impression avec ce recul de revoir non
seulement des lieux avec des arbres, des ruisseaux, des graminées, du
vent… mais d’avoir traversé un monde riche, vivant et formant un tout.
C’est ce que je cherche à représenter.
(Je trouve difficile de parler de cela aujourd’hui où tout est lu sous
le prisme de l’écologie. Il n’y a aucun militantisme chez moi. Ces
sentiments existaient déjà en moi quand mon professeur de géographie
nous enseignait que nous allions vers une ère glaciaire et mourir de
froid !)
Qu'est-ce pour vous qu'un bon sujet photographique ?
Quelque chose qui aspire vers le ciel et vers la
lumière, dans lequel nous voyons des attitudes, des intentions, des
liens, qui crée une sorte d’empathie avec la nature et montre le cycle
de la vie.
Plus concrètement, pour moi, c’est un sujet de tableau qui correspond
aux spécificités de la photographie :
- Utiliser sa supériorité à produire des détails. J’aime des sujets
d’une grande finesse et très détaillés, comme les ronces, les fines
branches…
- Tirer parti de l’image fixe, pouvoir promener son regard et l’observer
à l’infini, à son aise, plutôt que d’être submergé par toutes les
sensations du plein air, la lumière changeante…
- L’impression de regarder la réalité et non pas une représentation de
la réalité : avec des sujets aussi ténus que quelques arbres, de l’eau
et de la végétation, la photo m’incite à travailler avec des lumières et
atmosphères particulières pour ne pas être littéral ou documentaire,
mais aussi éviter une esthétique tape-à-l’œil. J’essaie de pousser aussi
la pure photographie en me refusant à utiliser les moyens habituels de
la "photographie d’art" pour altérer l’impression de réalité et créer un
effet : pas de filtre, pas de sténopé, pas de flou qui saute aux yeux,
pas d’ "intervention" sur le médium, pas de prise de vue à travers un
pare-brise mouillé, pas d’éclairage cinématographique, pas de
colorisation… Cela correspond à l’impression de naturel et d’immédiateté
que je veux donner. J’essaie que la composition et les rapports de
lumières donnent d’emblée une simplification de couleurs et un aspect
tableau.
Enfin, le paysage dans l’art occidental a évolué d’une
fonction de décor (peinture mythologique, religieuse, d’histoire) vers
une fonction de pur décor, c’est-à-dire illustrant l’absence humaine ou
l’absence de sujet. Mon but est de prendre la nature comme sujet, mais
pas de la documenter ni d’en faire un décor, à l'exemple d'Ivan
Chichkine, ou des études des naturalistes comme Courbet. Ils sont de
bonnes sources d’inspiration pour mes compositions.
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Qu'est-ce que vous aimez dans la photographie à la
chambre ?
Ce qui me plait le plus à la chambre, c’est le
résultat ! Dans un premier temps, j’ai cherché des sources d’inspiration
parmi les photographes actuels et passés. Presque tout ce qui me
plaisait de près ou de loin avait été fait à la chambre. Il y a de
vraies verticales que rendent des perspectives plus justes et proches de
la peinture (chez moi, c’est essentiel pour les arbres), des détails
fins mais doux, des transitions douces du net au flou. Il y a un rendu
particulier, quelque chose que semble faciliter l’apparence d’un tableau
plutôt que d’un cliché, une composition plutôt qu’un découpage.
Avant la chambre, j’avais accumulé des milliers de photos (au compact et
reflex digital). A mes yeux, aucune ne valait la peine de décrocher du
mur la reproduction d’un Friedrich ou d’un Sorolla pour y prendre sa
place. C’est une banalité, mais la chambre m’a permis de produire moins
et plus consciemment. Elle force à prendre des décisions radicales en
amont, passer moins de temps en post-production.
J’ai l’impression qu’avec un appareil plus pratique et plus rapide, on
déclenche plus vite pour constater souvent ensuite que ça ne donne rien.
C’est une erreur de type faux positif (décider erronément qu’il faut
faire une photo). La seule chose qu’on a appris, c’est que telle chose
ne fonctionne pas. A l’inverse, la chambre, par sa lourdeur, m’incite à
faire un type d’erreur différent : décider erronément de ne pas prendre
telle photo (faux négatif). La conséquence c’est le doute et le regret
de ne pas avoir pris telle photo, et donc, se pose la question de savoir ce
qu’il y avait de si attirant et de comment le trouver ailleurs. Je
trouve que ce type d’erreur pousse à affiner la définition de son sujet
et du style.
Qu'est-ce pour vous qu'une belle photographie de
paysage ?
J’aime la photographie de quelque chose de beau,
naturel, proche (pour le point de vue), une clarté, des lointains, une
sorte de charpente solide dans la composition. Je trouve cela chez Jem
Southam et ses falaises, certains Ansel Adams, certains Joel Sternfeld
et d’autres mais leurs rendus photographiques, les lumières, les
couleurs créent un émerveillement que démentent les sujets
(généralement, la transformation du paysage par l’agriculture
industrielle…). J’ai aussi souvent l’impression de voir de la très belle
photographie de paysage au cinéma, même si c’est une illusion créée par
la juxtaposition des images et surtout le son.
La couleur est pour moi un élément crucial et compliqué. Je l’évacue en
travaillant uniquement en Portra 400 puis en cherchant le laboratoire
qui produit un scan qui me plaise sans que je doive expliquer grand-chose. J’en ai essayé quatre avant de trouver le bon.
Avec quel matériel travaillez-vous ?
Une bonne paire de chaussures de randonnée, une Super
Technika V et un Sironar 135 N, du Portra 400, un trépied qui monte à 2
m, un escabeau, un bon sac qui se plaise dans la rosée et la boue.
Ensuite, un premier labo développe la pellicule, un second scanne avec
un Imacon et imprime.
Je n'ai pas toujours ce lourd matériel avec moi : il m’arrive hélas de
trouver une image intéressante lorsque je n’ai pas ma chambre, comme
cette vue prise à Chypre...
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