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l'auteur

Stéphane Spach

Photographe professionnel, depuis 1984 il travaille pour de grandes entreprises
Il  mène depuis toujours en parallèle, un travail personnel autour de la nature tant en paysage qu’en  photographie d’atelier 
Site d'artiste :
www.spach-fine-art.com 

 

Stéphane Spach

 


© Stéphane Spach

 

Stéphane, pourrait-on dire que vous êtes un photographe hanté ?

Hanté ?  Non, mais certainement obsédé ! Obsédé par ce que je vois dans la nature, par ce que je collecte, le plus souvent par hasard, autour de moi, dans mon jardin, aux bords des routes, en levant les yeux vers le ciel  ! 

La nature est au cœur de mon travail depuis au moins 15 ou 20 ans ; je ne vais vraiment pas loin, cela ne me semble pas nécessaire ; les paysages que je photographie sont pour la plupart dans un rayon  de moins de 25 / 30 km autour de ma maison ; j’ai aussi initié beaucoup de séries à partir de mon jardin :
- “Babel“ : de simples intérieurs de pots de fleurs, des iris, des fougères, des feuilles, des nids, des écorces,  les colonnes (sans fin ?) d’os à moelle sont des restes de repas sur des années.
- "Les oubliées" (projet d’édition 2020 avec Gilles Clément) sont issues d’un arrêt forcé en automobile sur une autoroute : je me rends compte à ce moment de cette richesse, de cette résistance, sur le terre plein central, des “mauvaises“ herbes... quelle grâce !
Beaucoup de chose aussi, qui sont l’éloge du déchet, des bouquets qui n’en finissent pas de s’effondrer, voilà où je trouve mes sources… dans une forme d’ordinaire, juste à coté de moi.

Dans la série “ le jardin de minuit “, les branches d’arbres en fleurs proviennent de mon jardin et les objets de mon cabinet de curiosités : je collecte depuis 20 ou 25 ans des choses que je trouve par terre.
J'achète peu d’objets, quelques cloches de mariage en verre, j’aime cette théâtralité du verre et de l’espace réduit comme un mini musée de poche, musée de l’absurde, de la poésie et aussi d'une certaine fascination pour le Wabi sabi(1).

J’aime ramasser, j’ai souvent le comportement d’un enfant quand je suis dehors : je ramasse des cailloux, des lichens et, pour me justifier, presque comme pour m’excuser, je cite volontiers Yves le Fur  : “Une main se ferme sur un caillou et s’entrouvre sur une œuvre, admirable, énigmatique“. Un truc d’adulte, qui m’autorise à me remplir les poches de plein de choses inutiles et un peu sales  !
Et c’est là aussi que mon travail sur les séries peut enfin intervenir… j’ai besoin de faire des séries au moins une à deux  fois par an pour comprendre et vérifier le sens d’une image sur un objet et inversement.
La série m’interpelle, elle me permet de comprendre l’objet,  elle l’interroge et aussi elle interroge le lecteur. C’est un exercice absolument passionnant, il demande beaucoup d’humilité aussi, la simplicité du protocole demande presque à mon sens un effacement du photographe ; c’est presque l’absence de virtuosité dans l’image, fond blanc, lumière documentaire et angle, qui permet à l’objet de s’exprimer : où est donc passé le photographe, absorbé par la multiplication des images ? Dissout dans la série, certainement !

 

 


© Stéphane Spach - Les clairières

 



Quel rapport entretenez-vous avec la nature ?

Un rapport quotidien : j’habite une maison-atelier dont les baies vitrées me donnent à voir en permanence le jardin et la nature.


Je ne suis pas un photographe voyageur, ni marcheur ; pour certains points de vue de paysage je pars avec un escabeau ! Le point de vue est à mon sens fondamental en paysage ; faire 500 ou 800 mètres équipé de la sorte est très pénible. 

Je suis souvent dans des territoires qui sont des friches, avec des ronces ; c’est un peu le chaos ; alors avec un escabeau, ça devient un vrai parcours du combattant... et puis je pense que le paysage est une vue personnelle du monde, qui appartient seule à son auteur... comme en peinture, on l’invente ; il m’arrive parfois de “dessiner“ les images que je vais photographier... j’ai besoin de ce temps, de passer par cette phase de croquis... la composition est presque en place avant la confrontation in situ ; en somme je circule en voiture, j’observe, c’est une forme de repérage et ... j’interviens seulement après.

Avec précision, le paysage est presque déjà fait avant que l’appareil soit en place. 



 

 © Stéphane Spach

 




La notion du sublime vous préoccupe-t-elle ?

Non, en aucun cas le sublime (dans son sens premier) ne m’intéresse. Au contraire il me terrorise un peu : je me suis retrouvé devant des architectures de Tadao Ando ou de le Corbusier avec une grande difficulté à réagir en tant que photographe d’architecture ;  le sublime, et donc presque le sacré ou une idée du sacré, dans ce cas, est pour moi un frein, un empêchement. J’aime  les choses qui ne sont en rien exceptionnelles...  je vais faire une deuxième citation qui me tient à cœur, une citation de Malinowski : “C’est dans des lieux pauvres où apparemment rien ne se passe, que risque de se produire de temps en temps l’essentiel.“  
Tout mon travail sur le paysage repose sur cette idée, elle m’obsède à chaque fois, je ne parcours pas le monde à la recherche de paysages sublimes, je suis persuadé que si j’allais par exemple en Islande, je serais un piètre photographe, parce que handicapé, terrorisé par la puissance des paysages, je serais obligé de me réfugier dans une autre approche du paysage, autre que celle que l’on nous montre habituellement sur ce type de territoire. 

Mon terrain de jeu ce sont les bords de route, les paysages de nos Nationales, j’aime jouer par là-bas, je pousse le bouchon jusqu’à ne travailler que quelques mois dans l’année à la sortie de l’hiver : pas de ciel bleu, les arbres sont nus, le sol ici est gorgé d’humidité et les lichens et autres mousses sont fluorescents, un vrai décor auquel il ne manque plus grand chose pour raconter une histoire ! Et puis, la mélancolie se mêle aussi parfois dans ces terres, jusqu’à marquer l’homme, qui s'y glisse quand le ciel est gris.

Grâce à ces territoires si particuliers, je peux mettre en place une narration, celle du “familier inquiétant“...  j’aime raconter des histoires à partir de ces paysages... enfin, je ne dis pas grand-chose justement, je donne juste un décor, je le plante, et je laisse le lecteur se débrouiller avec... 

Pour exemple, dans la série “les clairières“ (page 79 du pdf) j’interviens en forêt avec un éclairage artificiel sur 360° qu'ensuite je fais disparaitre de la scène, laissant le lecteur face à ce mensonge de clairière, cette chose qui émane, la lumière qui dans la forêt rassure, mais qui est ici pure invention !  

Des gens me disent que certaines images que je réalise les fascinent par leur beauté, mais, qu'en même temps, ils sont “terrorisés“ par leur contenu, (l’absence de contenu, le vide peut être ?)...  je les cite : “jamais, je ne pourrais vivre avec une telle image sur le mur“... je me dis alors que je suis sur la bonne piste, ou la bonne pente...

À l’inverse il y a des "amateurs“ qui peuvent se sentir en phase avec cet univers ; les rencontrer, pour moi est toujours un grand moment d’émotion. 

Pour répondre un peu à la question, je reconnais aussi que j'utilise quelques fois le mot sublime, par exemple si je coupe une grenade, le jus me coule sur les mains et tache la table : alors je me dis à l’instant où coule ce rouge rubis… que c’est juste sublime. 






 

 © Stéphane Spach

 




Quel est votre rapport à la technique : c'est un outil de puissance ou d'impuissance ?

La technique je m’en fiche ...
Sa maitrise doit être totale c’est tout. Elle n’est en rien au centre, en rien fondamentale par contre !  C’est le contenu de l’image qui est puissant... ou pas !

Après j’aime les détails, la définition, de la même façon que j’aime regarder avec une loupe mes collectes d’objets... la définition et le grossissement permettent de lire encore autrement un objet, une simple feuille devient  alors un paysage ! Toujours cette idée de la main qui se ferme sur un caillou, ce moment où les choses (grâce au regard) se modifient et deviennent toutes autres.
Après je me donne les  moyens matériels, mais mon équipement se réduit d’années en années : d'abord je ne collectionne pas !  Ensuite mes éclairages sont souvent réduits à une seule source.. j’ai mis des années à comprendre cela, à force d’observation surtout...  je me contente de peu, il a fallu l’accepter !
Dans ma série “les jardins de minuit“ je travaille autour de cette notion d'absence de lumière, ma narration se situe dans l’ombre, c’est un jeu extraordinaire, cette série à été fascinante à réaliser, le plus grand écho que j’ai eu à été chez les peintres, mais surtout les graveurs en référence à la Manière Noire. 





 

 © Stéphane Spach

 




D'où vous vient cette effarante attention à la matière, cette obsession à la décrire ?

L’image que vous présentez est une image réalisée dans une prison qui venait d’être fermée.
Dans les draps qui sont sur cette image un condamné a dormi, jusqu’à son transfert dans une autre prison plus “contemporaine“. 
La matière raconte tellement de chose, dans cette série sur les prisons !  Sur une autre image (page 217 du pdf) les bords du lit en fer sont rouillés ils racontent l’intimité des corps tièdes qui quittent le lit le matin, elle raconte l’hésitation, le corps qui n’arrive pas à se soulever, le matin en prison...
Autre image : (page 211 du pdf) sur le mur des traces : ces traces sont le soleil qui rentre dans la cellule... une fraction du dehors sur un mur de solitude.





 


© Stéphane Spach

 

 



Vous ne vouliez pas qu'on mette cette image dans l'interview, parce que cet image fait partie des travaux de commande que vous avez pu faire autrefois. C'est nous qui avons insisté pour la présenter. Une image de commande ne peut-elle donc jamais présenter pour vous d'intérêt artistique ? Comment vivez-vous le contact entre la photographie commerciale et la photographie artistique ?

Cette image a été réalisée lors d’une mission pour un client ; elle ne fait pas partie de la commande, nous étions dans un laboratoire en Turquie et mon client attendait que j’ai terminé mes prises de vues d’architecture intérieure. 
Je me suis tourné un moment vers lui et j’ai trouvé la scène intéressante : il y a presque une charge mélancolique,  je lui ai demandé de rester comme cela...
C’est assez rare effectivement de mélanger les deux activités, j’évite cela. Je ne voulais pas que cette image figure ici simplement parce qu’elle est orpheline dans mon travail d’auteur, même si elle me donne envie un jour de mener un travail sur le rapport de l’homme au travail, ainsi que son rapport avec l’extérieur et la nature. Je pense que l’on peut par hasard réaliser des images fortes ou esthétiques... mais le monde regorge de telles images ; toutes les minutes, il en arrive par flots sur les réseaux, je pense qu’un travail artistique doit être construit, et qu’il doit aussi rejoindre la cohérence du travail d’auteur, on pourra parler à ce moment d’univers... c’est ce qui à mes yeux est légitime... le travail d'auteur ne peut pas dès lors se composer d’instants comme celui-ci, en tous les cas pas pour moi et pas dans l’état actuel de mon travail d’auteur.
Pour terminer avec ces deux aspects, aspect de commande et aspect plus libre d’auteur, les deux se complètent : l’un nourrit l’autre et inversement dans tous les sens du terme, financièrement et intellectuellement... mais je ne mélange à aucun moment les deux, je suis payé pour une mission, mon client attend des résultats très précis et il n’a que faire de mon ego d’auteur ; ce sont deux choses bien à part...
Je suis en même temps convaincu que ma photographie de commande est sous l'influence de mon travail d’auteur, dans l’exigence du résultat, mais aussi en prise avec une certaine sensibilité, de même que mon travail d’auteur se nourrit de mon expérience professionnelle...  je suis très réactif sur mes projets personnels et je travaille avec une très grande rapidité, cela répond aussi à votre question sur la technique.
Je pense que l’on est créatif et libre quand la technique est maitrisée, dans ce sens mon expérience de commandes m’a énormément apporté depuis 35 ans. 





© Stéphane Spach

 

 



Vous rappelez souvent que vous êtes autodidacte. Est-ce que cela est important pour vous ? Et est-ce que cela peut aussi encore déterminer aujourd'hui votre façon de photographier ?

Je parle de cet aspect parce que les gens me demandent mon parcours... il est effectivement celui d’un autodidacte. Ma façon de photographier aujourd’hui se nourrit de peinture (du romantisme à Hartung en passant par la calligraphie pour sa rapidité d’exécution), de musique, de moments ou je ne fais rien, et puis d’observation de ce qui se passe autour de moi : en ce moment je travaille sur des ciels, pas les beaux cumulus avec “La Belle Lumière“, mais plutôt les ciels que je retrouve dans des toiles de peintres... du gris, mais avec un tout petit peu de rose et quelque chose qui se déchire aussi. 

 

 

Note galerie-photo :

(1) Le wabi-sabi  est une expression japonaise désignant un concept esthétique, ou une disposition spirituelle, dérivé de principes bouddhistes zen, ainsi que du taoïsme.
Voir Wikipedia

 

 

 

   
   dernière modification de cet article : 2019

 

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