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l'auteur
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Stéphane Spach
Stéphane, pourrait-on dire que vous êtes un photographe hanté ?
Hanté ? Non, mais certainement obsédé ! Obsédé par ce
que je vois dans la nature, par ce que je collecte, le
plus souvent par hasard, autour de moi, dans mon jardin,
aux bords des routes, en levant les yeux vers le ciel
!
La nature est au cœur de mon travail depuis au moins 15 ou 20 ans ; je ne vais vraiment pas loin, cela ne me semble pas nécessaire ; les paysages que je photographie sont pour la plupart dans un rayon de moins de 25 / 30 km autour de ma maison ; j’ai aussi initié beaucoup de séries à partir de mon jardin :
- “Babel“ : de simples intérieurs de pots de fleurs, des
iris, des fougères, des feuilles, des nids, des écorces,
les colonnes (sans fin ?) d’os à moelle sont des restes
de repas sur des années.
- "Les oubliées" (projet d’édition 2020 avec Gilles
Clément) sont issues d’un arrêt forcé en automobile sur
une autoroute : je me rends compte à ce moment de cette
richesse, de cette résistance, sur le terre plein
central, des “mauvaises“ herbes... quelle grâce !
Beaucoup de chose aussi, qui sont l’éloge du déchet, des
bouquets qui n’en finissent pas de s’effondrer, voilà où
je trouve mes sources… dans une forme d’ordinaire,
juste à coté de moi.
Dans la série “ le jardin de minuit “, les branches d’arbres en fleurs proviennent de mon jardin et les objets de mon cabinet de curiosités : je collecte depuis 20 ou 25 ans des choses que je trouve par terre.
J'achète peu d’objets, quelques cloches de mariage en
verre, j’aime cette théâtralité du verre et de l’espace
réduit comme un mini musée de poche, musée de
l’absurde, de la poésie et aussi d'une certaine
fascination pour le Wabi sabi(1).
J’aime ramasser, j’ai souvent le comportement d’un enfant quand je suis dehors : je ramasse des cailloux, des lichens et, pour me justifier, presque comme pour m’excuser, je cite volontiers Yves le Fur : “Une main se ferme sur un caillou et s’entrouvre sur une œuvre, admirable, énigmatique“. Un truc d’adulte, qui m’autorise à me remplir les poches de plein de choses inutiles et un peu sales !
Et c’est là aussi que mon travail sur les séries peut
enfin intervenir… j’ai besoin de faire des séries au
moins une à deux fois par an pour comprendre et
vérifier le sens d’une image sur un objet et
inversement.
La série m’interpelle, elle me permet de comprendre
l’objet, elle l’interroge et aussi elle interroge le
lecteur. C’est un exercice absolument passionnant, il
demande beaucoup d’humilité aussi, la simplicité du
protocole demande presque à mon sens un effacement du
photographe ; c’est presque l’absence de virtuosité dans
l’image, fond blanc, lumière documentaire et angle, qui
permet à l’objet de s’exprimer : où est donc passé le
photographe, absorbé par la multiplication des images ?
Dissout dans la série, certainement !
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Je suis souvent dans des territoires qui sont des friches, avec des ronces ; c’est un peu le chaos ; alors avec un escabeau, ça devient un vrai parcours du combattant... et puis je pense que le paysage est une vue personnelle du monde, qui appartient seule à son auteur... comme en peinture, on l’invente ; il m’arrive parfois de “dessiner“ les images que je vais photographier... j’ai besoin de ce temps, de passer par cette phase de croquis... la composition est presque en place avant la confrontation in situ ; en somme je circule en voiture, j’observe, c’est une forme de repérage et ... j’interviens seulement après. Avec précision, le paysage est presque déjà fait avant que l’appareil soit en place. |
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© Stéphane Spach |
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Non, en aucun cas le sublime (dans son sens premier)
ne m’intéresse. Au contraire il me terrorise un peu : je me suis
retrouvé devant des architectures de Tadao Ando ou de le Corbusier
avec une grande difficulté à réagir en tant que photographe
d’architecture ; le sublime, et donc presque le sacré ou une idée
du sacré, dans ce cas, est pour moi un frein, un empêchement. J’aime les choses qui ne sont en rien exceptionnelles... je vais faire
une deuxième citation qui me tient à cœur, une citation de Malinowski :
“C’est dans des lieux pauvres où apparemment rien ne se passe, que
risque de se produire de temps en temps l’essentiel.“ Mon terrain de jeu ce sont les bords de route, les paysages de nos Nationales, j’aime jouer par là-bas, je pousse le bouchon jusqu’à ne travailler que quelques mois dans l’année à la sortie de l’hiver : pas de ciel bleu, les arbres sont nus, le sol ici est gorgé d’humidité et les lichens et autres mousses sont fluorescents, un vrai décor auquel il ne manque plus grand chose pour raconter une histoire ! Et puis, la mélancolie se mêle aussi parfois dans ces terres, jusqu’à marquer l’homme, qui s'y glisse quand le ciel est gris. Grâce à ces territoires si particuliers, je peux mettre en place une narration, celle du “familier inquiétant“... j’aime raconter des histoires à partir de ces paysages... enfin, je ne dis pas grand-chose justement, je donne juste un décor, je le plante, et je laisse le lecteur se débrouiller avec... Pour exemple, dans la série “les clairières“ (page 79 du pdf) j’interviens en forêt avec un éclairage artificiel sur 360° qu'ensuite je fais disparaitre de la scène, laissant le lecteur face à ce mensonge de clairière, cette chose qui émane, la lumière qui dans la forêt rassure, mais qui est ici pure invention ! Des gens me disent que certaines images que je réalise les fascinent par leur beauté, mais, qu'en même temps, ils sont “terrorisés“ par leur contenu, (l’absence de contenu, le vide peut être ?)... je les cite : “jamais, je ne pourrais vivre avec une telle image sur le mur“... je me dis alors que je suis sur la bonne piste, ou la bonne pente... À l’inverse il y a des "amateurs“ qui peuvent se sentir en phase avec cet univers ; les rencontrer, pour moi est toujours un grand moment d’émotion. Pour répondre un peu à la question, je reconnais aussi que j'utilise quelques fois le mot sublime, par exemple si je coupe une grenade, le jus me coule sur les mains et tache la table : alors je me dis à l’instant où coule ce rouge rubis… que c’est juste sublime. |
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© Stéphane Spach |
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La technique je m’en fiche ...
Sa maitrise doit être totale c’est tout. Elle n’est en
rien au centre, en rien fondamentale par contre !
C’est le contenu de l’image qui est puissant... ou pas
!
Après j’aime les détails, la définition, de la même façon que j’aime regarder avec une loupe mes collectes d’objets... la définition et le grossissement permettent de lire encore autrement un objet, une simple feuille devient alors un paysage ! Toujours cette idée de la main qui se ferme sur un caillou, ce moment où les choses (grâce au regard) se modifient et deviennent toutes autres.
Après je me donne les moyens matériels, mais mon
équipement se réduit d’années en années : d'abord je ne
collectionne pas ! Ensuite mes éclairages sont souvent
réduits à une seule source.. j’ai mis des années à
comprendre cela, à force d’observation surtout... je me
contente de peu, il a fallu l’accepter !
Dans ma série “les jardins de minuit“ je travaille autour de cette notion d'absence de lumière, ma narration se situe dans l’ombre, c’est un jeu extraordinaire, cette série à été fascinante à réaliser, le plus grand écho que j’ai eu à été chez les peintres, mais surtout les graveurs en référence à la Manière Noire. |
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© Stéphane Spach |
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L’image que vous présentez est une image réalisée dans
une prison qui venait d’être fermée.
Dans les draps qui sont sur cette image un condamné a
dormi, jusqu’à son transfert dans une autre prison plus
“contemporaine“.
La matière raconte tellement de chose, dans cette série
sur les prisons ! Sur une autre image (page
217 du
pdf) les bords du lit en fer sont rouillés ils
racontent l’intimité des corps tièdes qui quittent le
lit le matin, elle raconte l’hésitation, le corps qui
n’arrive pas à se soulever, le matin en prison...
Autre image : (page 211 du
pdf) sur le mur des traces
: ces traces sont le
soleil qui rentre dans la cellule... une fraction du
dehors sur un mur de solitude.
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Cette image a été réalisée lors d’une mission pour un
client ; elle ne fait pas partie de la commande, nous
étions dans un laboratoire en Turquie et mon client
attendait que j’ai terminé mes prises de vues
d’architecture intérieure.
Je me suis tourné un moment vers lui et j’ai trouvé la
scène intéressante : il y a presque une charge
mélancolique, je lui ai demandé de rester comme cela...
C’est assez rare effectivement de mélanger les deux
activités, j’évite cela. Je ne voulais pas que cette
image figure ici simplement parce qu’elle est orpheline
dans mon travail d’auteur, même si elle me donne envie
un jour de mener un travail sur le rapport de l’homme au
travail, ainsi que son rapport avec l’extérieur et la
nature. Je pense que l’on peut par hasard réaliser des
images fortes ou esthétiques... mais le monde regorge de
telles images ; toutes les minutes, il en arrive par
flots sur les réseaux, je pense qu’un travail artistique
doit être construit, et qu’il doit aussi rejoindre la
cohérence du travail d’auteur, on pourra parler à ce
moment d’univers... c’est ce qui à mes yeux est
légitime... le travail d'auteur ne peut pas dès lors
se composer d’instants comme celui-ci, en tous les cas
pas pour moi et pas dans l’état actuel de mon travail d’auteur.
Pour terminer avec ces deux aspects, aspect de commande et
aspect plus libre d’auteur, les deux se complètent :
l’un nourrit l’autre et inversement dans tous les sens du
terme, financièrement et intellectuellement... mais je
ne mélange à aucun moment les deux, je suis payé pour
une mission, mon client attend des résultats très précis
et il n’a que faire de mon ego d’auteur ; ce sont deux
choses bien à part...
Je suis en même temps convaincu que ma photographie de commande est sous l'influence de mon travail d’auteur, dans l’exigence du résultat, mais aussi en prise avec une certaine sensibilité, de même que mon travail d’auteur se nourrit de mon expérience professionnelle... je suis très réactif sur mes projets personnels et je travaille avec une très grande rapidité, cela répond aussi à votre question sur la technique.
Je pense que l’on est créatif et libre quand la
technique est maitrisée, dans ce sens mon expérience de
commandes m’a énormément apporté depuis 35 ans.
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Je parle de cet aspect parce que les gens me demandent mon parcours... il est effectivement celui d’un autodidacte. Ma façon de photographier aujourd’hui se nourrit de peinture (du romantisme à Hartung en passant par la calligraphie pour sa rapidité d’exécution), de musique, de moments ou je ne fais rien, et puis d’observation de ce qui se passe autour de moi : en ce moment je travaille sur des ciels, pas les beaux cumulus avec “La Belle Lumière“, mais plutôt les ciels que je retrouve dans des toiles de peintres... du gris, mais avec un tout petit peu de rose et quelque chose qui se déchire aussi.
Note galerie-photo : (1) Le wabi-sabi
est une expression japonaise désignant un concept esthétique, ou une
disposition spirituelle, dérivé de principes bouddhistes zen, ainsi que
du taoïsme.
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dernière modification de cet article : 2019 |
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