Jean-François RAUZIER :
panoramas en hyper photo
Texte d'une conférence donnée à l'Ecole Nationale Supérieure des
Beaux-arts - mars 2005
"Bonjour à tous et tout d'abord, merci de m'avoir invité.
Je n'ai pas l'habitude de faire des conférences et j'ai plutôt
l'habitude de m'exprimer avec mes images.
Je compte sur votre indulgence…et j'espère que vous allez me
poser des questions. Ce sera plus facile pour moi et plus
interactif. Si vous ne voulez pas m'interrompre, je vous propose de
noter vos questions par écrit et de me les poser à la fin de chaque
chapitre.
Présentation
Avant de vous montrer mon travail et vous en parler, je me
présente rapidement et vais vous parler de mon métier : car le
travail de création personnelle que je vais vous montrer se fait
parallèlement a mon activité de photographe publicitaire et ces 2
activités s'influencent mutuellement.
Très attiré par les arts plastiques, notamment la sculpture,
passionné par l'image, j'ai finalement opté pour la photographie
pour son coté magique. J'aimais le côté alchimie de la chambre
noire, l'apparition de l'image dans la cuve de développement,
l'attente, le suspense, la part de hasard. J'ai donc intégré l'Ecole
Nationale Louis Lumière. Ces études assez techniques m'ont été
utiles longtemps après pour le passage au numérique.
A la sortie j'ai fait l'expérience qu'il était très difficile au
départ d'être photographe et de vivre de son art. J'ai gardé contact
avec d'anciens camarades de promotion : deux d'entre eux enseignent
aux Arts Déco ; un est reporter chez Gamma, tous les autres ont fait
autre chose… peu de collectionneurs et encore moins de musée
achetaient de la photo contemporaine. Elle n'était pas enseignée aux
Beaux Arts. Sauf à avoir une fortune personnelle, une autre activité
ou à exploiter les nombreux débouchés techniques et scientifiques,
deux voies s'ouvraient pour exprimer sa créativité en gagnant sa
vie, les deux totalement liées a la photo pour son caractère
reproductible en masse : le reportage et la publicité. Elles
illustrent les deux tendances principales de la photo : prendre une
image, la réalité, témoigner, ou bien fabriquer une image,
l'inventer. J'ai opté pour la seconde. J'aime la mise en scène,
j'aime travailler une image, m'y attarder. Je ne suis pas
"instantané".
Bien sur la publicité est un détournement de l'art à des fins
mercantiles, une prostitution. Au lieu d'élever l'homme et de
l'inciter à se questionner, elle le pousse à acheter. On peut en
discuter. Les plus grands chefs d'œuvres de la peinture, la
Sculpture et l'architecture étaient souvent des œuvres de commande.
J'ai de nombreux amis architectes et nous sommes mutuellement
attirés par nos métier respectif : la photographie publicitaire et
l'architecture sont deux professions qui exigent d'allier à une
créativité constamment sollicitée une bonne maîtrise technique et
les deux sont soumises à une forte contrainte commerciale. Par
ailleurs méfions nous des jugements moraux dans l'art. La notion
d'art pur est assez utopique : j'ai des amis peintres qui font quand
même ce que leur galeriste vend le mieux et ce dernier les sollicite
fortement dans ce sens au risque de les enfermer dans un système… en
tous cas j'admire le travail de tous ses artistes photographes qui
ont travaillé pour la publicité : Kertez, Guy Bourdin, Irvin Penn,
Helmut Newton, Sarah Moon…
Je vis donc depuis 30 ans de photographie publicitaire :
spécialement de nature morte cosmétique et culinaire.
Et j'exerce parallèlement mon activité créatrice personnelle.
L'intérêt c'est que je n'ai pour le coup aucune contrainte. Pas de
commanditaire, pas de délais, la liberté totale et tout mon temps ;
je ne l'exerce que par pure nécessité intérieure. Un besoin de
m'évader, de m'exprimer. Mon activité publicitaire me donne les
moyens, le matériel, le studio. Mes créations personnelles me
valorisent auprès des clients. C'est un tout.
J'ai donc commencé à travailler dans un labo professionnel, puis
j'ai été assistant (passage obligé : la pratique et l'expérience
sont très importants et c'est la meilleure école). J'ai ensuite été
photographe salarié avant de pouvoir enfin me lancer à mon compte
muni de mon book.
Pour pouvoir travailler, il est essentiel d'avoir un book, un
dossier, d'être connu. Ce dossier doit comporter des réalisations
personnelles et des parutions. Les parutions pour rassurer et
montrer que l'on sait faire un travail de commande avec toutes ses
contraintes. Les réalisations personnelles pour montrer sa
créativité bien sûr mais aussi sa sensibilité, ce qu'on aime faire.
C'est ce que recherche le plus l'acheteur d'art (c'est la personne
qui avant chaque nouvelle campagne consulte les dossier pour
sélectionner un photographe). Au début, on n'a bien sûr que des
réalisations personnelles... il faut qu'une personne aime beaucoup
pour prendre le risque de nous faire travailler. C'est vraiment un
risque car un photographe qui fait de très belles choses, très
créatives, peut se révéler incapable de faire l'image demandée et de
tenir des contraintes. Ce n'est pas évident d'être toujours hyper
créatif devant 5 ou 6 personnes (DA, clients, commerciaux,
responsables marketing) plus l'équipe de collaborateurs, tous les
jours de la semaine, quand on à d'autres soucis et que le produit à
valoriser est laid. Ce dossier est constamment renouvelé. Il faut
toujours se remettre en question.
Photographie publicitaire
Les moyens de la photographie publicitaire
La photo publicitaire est un exercice de style assez intéressant
que presque tous les photographes qui aiment la mise en scène
pratiquent : la photo de commande est le contraire du reportage. On
y développe sa maîtrise à traduire un concept en images (la
fraîcheur d'une crème de soin par exemple) pleines d'interprétations
différentes.
Comme au cinéma, et à plus petite échelle, on retrouve le même
travail d'équipe au service d'un but planifié ; la création est très
cadrée : le photographe travaille avec un directeur artistique qui a
déjà conçu l'image.
Il faut une réelle affinité entre un DA et un photographe. Le DA
a choisi le photographe car il lui fait confiance pour obtenir un
certain éclairage, interpréter et concrétiser au mieux ce qui au
départ est une vue de l'esprit.
Si l'on demande la même prise de vue à 10 photographes d'après la
même maquette, on obtient 10 photos radicalement différentes.
Comme souvent au cinéma, la demande est très exigeante mais les
moyens mis en œuvre sont très importants : il s'agit de réaliser
(rendre réel) un projet totalement imaginé et souvent ambitieux.
De nombreux spécialistes travaillent avec le photographe :
décorateurs, architectes d'intérieur, sculpteurs (ou modelmakers),
illustrateurs, stylistes, accessoiristes, coiffeurs, maquilleurs. Si
par exemple il faut une branche de groseille et que ce n'est pas la
saison, on la fait fabriquer.
Le décor est presque toujours fait en studio pour maîtriser
l'éclairage mais aussi pour adapter précisément l'échelle. En photo
culinaire, ma spécialité, les plats si appétissants que l'on
photographie avec le maximum de naturel sont en fait totalement
artificiels (purée, colorants…).
La maquette : évolution de la demande
Nous travaillons donc d'après une maquette.
Avant la généralisation du numérique, c'était un dessin (ou
rough) au feutre, à la gouache ou à l'aquarelle, réalisé par un
illustrateur spécialisé, un rough man, capable d'exécuter très
rapidement une série de dessins assez aboutis (beaucoup faisaient
aussi de la BD).
Maintenant la maquette est un montage numérique réalisé avec des
photos puisées dans les photothèques en ligne ou réalisés par le DA
en agence avec un petit appareil numérique. Parfois on demande au
photographe de réaliser des éléments de la photo maquette.
L'influence sur la façon de travailler est considérable : Le
dessin forcement très approximatif et stylisé laissait au
photographe une plus grande liberté d'interprétation. Le client
n'imaginait pas forcement la même chose mais le DA et le photographe
faisaient autorité.
Maintenant, la maquette est déjà un photomontage que certains
clients croient parfois définitif ! Ils veulent exactement la même
chose.
Souvent le montage rapide induit des aberrations de perspective
ou de proportion : eh bien... il faut les reproduire, et pour cela
prendre les éléments de la photo séparément puis refaire un montage.
Souvent, pour coller au mieux à cette maquette, on la superpose à
l'écran à notre photo jusqu'à ce que les deux images soient bien
identiques. Il y a de plus en plus de retouches et de montages et la
photo est de moins en moins réaliste. Elle est plus proche d'une
illustration.
Découverte de la photo numérique
Avant ces 10 dernières années, le numérique était capable de
traiter le son mais en ce qui concerne l'image, cela semblait
impensable (lorsque j'ai commencé la photo, nous étions épatés de
découvrir les premières calculettes et montres à quartz). La photo
était donc argentique (ce terme vient du fait que la photo est un
procédé d'impression par la lumière de sels d'argent) :
Tout photographe prenait le plus de plaisir à faire de la photo
N&B. Indépendamment de ses qualités, c'était la seule technique dont
nous pouvions avoir la maîtrise totale : prendre la photo,
développer la pellicule puis tirer la photo sous l'agrandisseur en
maquillant la lumière, avec différentes sortes de papiers de
surface, couleurs et contrastes différents. On pouvait ensuite
retoucher l'image au pinceau, la virer dans des teintes sépia par
exemple. Tout cela était très manuel et magique. Pour beaucoup,
c'était cela la photo et rien d'autre.
Concernant la couleur qui constituait tout de même la majorité de
la demande dans le domaine professionnel, c'était beaucoup plus
compliqué : le développement qui nécessitait des machines trop
coûteuses pour le photographe était assuré par des laboratoires
professionnels. On ne faisait pas de tirages, uniquement des films
inversibles (Ektachrome). En effet le tirage sur papier entraînait
trop de pertes de qualité et ne permettait de toutes façons pas
l'interprétation du tirage N&B. C'est le photograveur qui
travaillait l'image pour l'optimiser pour l'impression. Pas toujours
en concertation avec le photographe… d'où de mauvaise surprises et
la sensation de trahison. Concernant le montage photo on faisait
appel à un photographe pour une nature morte, un autre pour un
personnage, une photothèque pour le ciel et le laboratoire montait
le tout. Frustrant. Ces montages qui faisaient appels à plusieurs
spécialistes dans le labo étaient complexes et coûteux à réaliser.
J'en ai fait car j'ai travaillé dans un de ces laboratoire a mes
débuts : c'était extrêmement fastidieux, méticuleux et long.
Les premières machines numériques
Dans les années 80, après les photocomposeuses (traitement de
texte) on a vu apparaître les premières machines numériques (paint
box). Les photograveurs venaient nous voir et nous montraient leurs
possibilités époustouflantes : ces machines qui valaient plusieurs
millions de francs pouvaient changer la couleur d'un objet, le
détourer, le déformer, enlever une tâche.
Maintenant tout le monde peut le faire chez soi.
Le stylet numérique se manie aussi facilement qu'un pinceau. Etre
photographe n'est pas pour autant plus facile. La technique a
simplement évoluée. Mais faire et retoucher une photo n'est pas plus
facile que dessiner. On apprend bien à dessiner quoique,
apparemment, tenir un crayon puisse sembler enfantin.
Les avantages que j'en retire
Il y a 10 ans quand la photo numérique a commencé à pénétrer le
marché professionnel, je m'y suis tout de suite vivement intéressé.
Le premier intérêt que j'y ai trouvé, c'est la possibilité de
retoucher l'image, d'intervenir a la main, retrouver les plaisirs du
tirage N&B et même beaucoup plus. En dehors de ma profession, je
peins et je sculpte. J'ai donc été particulièrement séduit par la
possibilité de peindre sur la photo et d'en faire un art plastique
plus complet et plus manuel (paradoxalement car tout est virtuel).
Les problèmes de dominante de couleur, de contraste sont maintenant
facilement résolus : auparavant, il fallait faire des quantités
d'essais avec divers filtres, à chaque fois développer la photo pour
juger du résultat, modifier le filtrage et recommencer. C'était très
long et pas très spontané.
La prise de vue garde toute son importance
Dans un excès d'enthousiasme, on s'imagine que les possibilités
de la retouche numérique abolissent tout le travail de prise de vue
: pas du tout ! Une photo mal éclairée le restera : On peut certes
éclaircir ou assombrir une zone de l'image mais si elle est trop
sous-exposée ou surexposée et qu'il n'y a plus rien à voir, la seule
retouche possible, c'est de tout redessiner.
On ne peut pas non plus radicalement changer la direction de la
lumière, ni sa nature - directe ou diffuse - qui agit sur les
ombres. Il faudrait tout redessiner et obtenir un résultat très
artificiel. Autant faire une illustration !
Parfois, une photo peut n'être qu'un fond destiné a être
totalement retravaillé au stylet pour obtenir une illustration :
nombre d'illustrateurs travaillent ainsi. Mais en général, lorsque
l'on fait appel à un photographe, c'est pour réaliser une photo :
c'est à dire un témoignage, une preuve.
Ce qui fait son réalisme, le fait que l'on croit à ce que l'on
voit, c'est la multitude d'imperfections qui la composent. Beaucoup
de peintre reproduisent maintenant ces effets photographique que
l'on considéraient comme des défauts et qui en font la spécificité :
le flou de bougé et de mise au point par exemple ; mais on ne s'y
trompe pas : une photo brute se reconnaît au premier coup d'œil.
Il faut donc avant de retoucher une photo bien savoir ce que l'on
veut : rester réaliste, photographique ou pas ?
Déplacer lors de la prise de vue un spot, tourner un objet sur le
plateau, remplir un verre de liquide, modifier le cadrage, la
perspective en choisissant la focale de l'objectif que l'on utilise,
la mise au point, tout cela se fait en quelques instant à la prise
de vue. Essayer de le faire à la retouche demanderait des heures
pour un résultat incertain et pas toujours très réaliste.
Bien arbitrer
Il faut avoir l'expérience des deux : la prise de vue et la
retouche numérique, pour juger et arbitrer correctement :
Inutile de perdre trop de temps à dépoussiérer et nettoyer le
fond, enlever une tâche sur le fruit qui nous plaît mais qui à un
défaut, peindre un objet dans la couleur voulue au risque de faire
des coulures et de tout déplacer. La retouche sera beaucoup plus
facile, rapide et sûre.
Par contre, une vilaine ombre, un dégradé de lumière trop abrupt,
un objet qui n'est pas a sa place, un mauvais éclairage et la
retouche n'y pourra rien : mieux vaut refaire la photo. Il est très
important de conserver de la spontanéité : une composition
laborieuse se sent.
Par ailleurs avec une utilisation judicieuse de la retouche
numérique, on peut paradoxalement gagner en spontanéité.
Je m'explique : si par exemple pendant la mise en scène, un
torchon est jeté sur la table et prend des plis magnifiques, je
prend une photo que je garde sur le côté.
Au cours de l'élaboration de la prise de vue, on améliorera
l'image, mais après avoir fait des quantités d'essais avec le
torchon, impossible de retrouver la première position et son jeté
naturel. Je récupère la première photo, détoure le torchon et
l'incruste dans la dernière photo. Il en est ainsi pour tous les
éléments de l'image. Au cours de la même prise de vue, je fais des
prises à chaque étape -des dizaines- conservant ainsi toujours la
possibilité de revenir en arrière et de sélectionner le meilleur.
Autre exemple : l'éclairage me satisfait globalement mais un
objet que je ne veux pas déplacer prend mal la lumière : Avant, on
tentait de résoudre le problème au pire en dégradant la belle
lumière que l'on avait obtenue en faisant ainsi un compromis, au
mieux en passant des heures à éliminer ce reflet à l'aide de caches
: pour photographier une simple cuillère en argent il fallait
parfois peindre les murs du studio en différents gris, les éclairer
savamment et bien se cacher pour ne pas apparaître en réflexion dans
la cuillère ! Le meilleur exercice à donner à un photographe
débutant, c'est de photographier en gros plan une boule de pétanque
- ou un miroir !
On utilisait beaucoup d'artifices peu satisfaisant : bombe à
mater par ex. Maintenant la solution est de prendre la prise de vue
avec l'éclairage qui nous plaît, puis de résoudre le problème du
reflet sur un objet en changeant l'éclairage puis en réincorporant
l'objet dans l'image.
Autre exemple : je photographie un flacon de parfum en verre
transparent et son bouchon argenté. Impossible de trouver
l'éclairage idéal pour avoir une belle transparence du flacon et de
beaux reflets sur le bouchon. Je fais 2 photos : une pour le flacon,
une pour le bouchon, puis je réalise un montage.
De même pour faire flotter un objet, on le photographie dans la
composition pour avoir une vraisemblance dans l'éclairage et les
reflets mais il n'est plus nécessaire d'élaborer un système complexe
de suspension caché : on utilise de grosses ficelles. Elles se
retireront facilement.
Les panoramas en hyperphoto
Parallèlement, je poursuis toujours mon activité personnelle,
hors du studio de préférence.
J'éprouve toujours le besoin de m'évader. Je vous disais que je
fait un travail de commande qui m'intéresse, mais j'ai vraiment
besoin de partir en expédition faire de la chasse aux images (comme
la majorité des photographes, ainsi que le nom d'un magazine
-Chasseur d'Images- en atteste) Je crois que cette quête c'est aussi
la quête de soi même, l'exploration de son inconscient. La
photographie fait appel au hasard mais l'inconscient joue une grande
part dans ce que l'on retient sans avoir trop pris le temps de
penser consciemment. Elle est un miroir : elle en a d'ailleurs la
surface lisse et souvent brillante.
Les travaux que j'ai exposés précédemment ont été réalisés la
nuit dans les friches industrielles de la banlieue parisienne (de
gros plans sur l'asphalte des trottoirs, les murs et les signes
urbains).
Après avoir bien exploré la matière, j'ai ensuite fait des photos
poèmes (haïkus), très minimalistes et fugitifs, beaucoup plus
lumineux et sereins.
Maintenant, je suis en train de faire un autre travail, réalisant
un vieux rêve qu'il m'aurait été impossible de réaliser sans l'outil
numérique et que je vais vous montrer.
Ces images sont très grandes (plusieurs mètres pour un tirage
photographique très haute définition), donc je vous montre aussi des
détails.
Rêve et réalité
"Depuis toujours dans mon sommeil, j'ai fait beaucoup de rêves…
Aussi, j'ai toujours adoré dormir". C'est par ces paroles que
commence le film "Jellyfish" de Kyochi Kurosawa. Le cinéma et la
photographie sont de merveilleux moyens pour exprimer les rêves.
L'image y a valeur de preuve, la fiction s'appuie sur la réalité et
a l'apparence du vrai. La frontière entre l'illusion et la réalité
est floue, j'aime m'y promener.
La réalité, sur laquelle s'appuie le rêve, je l'ai trouvé dans
ces grands panoramas, des images monumentales construites chacune
par l'assemblage de plusieurs centaines de photographies,
microcosmes dans lesquelles on peut s'immerger et se perdre. Leur
taille (Qui peut atteindre 6 mètres de large à la résolution d'un
tirage photographique : 300 000 000 de pixels en moyenne) est telle
que le spectateur, témoin extra lucide d'un monde figé pour
l'éternité, en attente, peut s'attarder sur une multitude de
détails, partir lui même à la chasse photographique en les
recadrant.
Dans ces univers, mystérieusement déserté et parfois inquiétant,
les fauteuils dérivent sur l'eau avant de sombrer, des centaines de
cadres vides sont exposés dans la forêt, des baigneurs en celluloïd
gisent abandonnés dans la terre meuble d'un chemin, d'éphémères
ballons s'échappent des montants rouillés d'une grille en plein
champ…
Pour faire illusion, j'ai tenté de reproduire la réalité le plus
parfaitement possible, sans les défauts techniques qui la
limiteraient: déformations optique, grain, pixels, flou, etc…
Les grands panoramas
Tout photographe débutant est fasciné par le pouvoir que procure
l'appareil photo : voir plus.
1. en figeant le temps. Le temps arrêté, on a tout le temps après
coup d'examiner le cliché et découvrir une foule de détails que l'on
n'a pas vu sur le coup (thème du film Blow Up ou un photographe
photographie un meurtre sans le savoir)
2. En voyant plus large ou plus près : d'où cette course aux
objectifs grand-angle et téléobjectifs, et la fascination pour ces
satellites qui cartographient la terre entière dans ses moindres
détails, jusqu'à lire une plaque d'immatriculation.
Etre un aigle, voler le plus haut et tout voir… L'aigle, c'est
toujours l'animal que j'ai choisi dans les jeux de portrait chinois.
Enfant, je me suis fabriqué un télescope, je rêvais de jumelles,
microscopes, tout ce qui permet de mieux voir, de découvrir ce qui
est caché.
Tout photographe est un voyeur, un chasseur, un chercheur de
trésor, à la recherche de LA PHOTO.
Ainsi, ces panoramas sont la concrétisation d'un vieux rêve :
voir a la fois plus large et plus près, arrêter le temps et pouvoir
alors examiner tous les détails de l'image ainsi figée.
Pour voir loin, il me fallait des horizons dégagés. Pour voir
large, un moyen d'embrasser le champ le plus vaste possible,
restituer cette ivresse du grand espace, cette sensation de liberté,
quand rien n'arrête le regard (exception faite des forêts,
protectrices, ou le rythme vertical des arbres remplace
l'horizontale des champs. Mais il y a cette même dimension, on peut
s'y perdre…) Entendre le silence merveilleux des déserts... sortir
du cadre.
Tentative au grand-angle
J'ai commencé par utiliser des objectifs ultra grand-angulaires.
La déformation et l'amplification de la perspective qu'ils
engendrent, typiquement photographiques, très intéressantes ne
convenaient pas à mon projet : embrasser le plus vaste espace
possible pour m'y perdre, dans un champ de 180°, 270° et même 360°
mais avec une déformation contrôlée, sans créer d'effet trop voyant,
sans interpréter. Je voulais restituer ce que je voyais sur place en
tournant la tête sans avoir l'impression de passer par un objectif
et ses limites. De plus, je ne pouvais pas dépasser 180° avec un
grand angle (fish-eye).
Appareil panoramique
J'ai alors essayé des appareils panoramiques : l'objectif monté
sur une tourelle rotative actionnée par un mécanisme d'horlogerie
balaye le champ en tournant et projette l'image sur le film qui est
lui même bombé. Les résultats sont surprenants et magnifiques mais
la technique comporte aussi ses défauts : toutes les droites
parallèle à l'horizon sont courbées

Exemple de courbures panoramiques
Cette caractéristique très intéressante est très typée appareil
panoramique, trop systématique et pas forcement voulue.
Juxtaposition d'images numériques
J'ai alors commencé à prendre une succession d'images de droite à
gauche puis à les recoller dans photoshop afin d'obtenir un
panorama. Normalement, j'ai le même résultat qu'avec un appareil
panoramique : Voici 2 exemples ou l'effet de courbure est
volontairement conservé: le bord de l'océan et les sillons du champ
sont des lignes droites dans la réalité.

Tempête à Omaha Beach

Travaux des champs
Cela ne me suffisait pas de n'obtenir que des bandes horizontales
très étirées. J'ai donc décidé de les empiler aussi verticalement.
Bien sur, cela m'a posé encore plus de problèmes : ceux que je vous
ai montrés pour l'horizontal et ceux créés par l'empilement
vertical. Il s'agit d'un problème de cartographie : projeter sur un
plan (la photographie) un quart de sphère (le paysage à
photographier) Sur un planisphère (la projection d'une sphère sur un
plan), les pays équatoriaux sont très défavorisés par rapport aux
pays polaires. Les pôles sembles immenses et un pays européen
beaucoup plus petit qu'un pays africain semble nettement plus grand.
C'est à peu près la projection que fait un grand angle.
J'ai essayé des logiciels d'assemblage comme Stitcher de
Realviz : ils sont très rapides, mais produisent soit une
déformation grand angle en projection plane et une nette altération
de la qualité d'image en raison d'une forte interpolation, soit
l'effet panoramique et ses courbures en projection sphérique.

Ciel en projection plane

Ciel en projection sphérique
De plus, certains raccords peuvent poser problème : on peut
observer par un exemple un dédoublage des branches d'arbres si elles
ont bougé entre 2 prises de vue ; en effet le logiciel assemble les
images en les estompant progressivement au niveau des raccords.
J'ai préféré utiliser une solution beaucoup plus longue mais plus
maîtrisée : assembler les images avec Photoshop en les déformant le
moins possible... mais cela génère des "trous" : Voici ci-dessous
une forêt prise sous un angle horizontal de 180° et vertical de 75°
(Presque 1/4 de sphère).
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