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l'auteur

 

Francois Croizet
12 Avenue de la Liberté
37230 Luynes
France
+ 33 (0)247 40 76 69
francois.croizet@orange.fr


 

 

 

 

La prise de vue
à la chambre,
Photographie intemporelle

 

François Croizet nous présente la chambre photographique, un appareil qu’il aime utiliser pour les possibilités qu’il offre, mais aussi en raison du rapport au sujet qu’il implique.

Cet article est une présentation de la photo à la chambre, il ne prétend pas être un cours complet. De nombreux aspects ne sont pas abordés, d’autres le sont de façon succincte… Considérez-le comme un apéritif destiné à vous donner envie de vous lancer.

La photo à la chambre ne se limite pas à l’instant de la prise de vue – instant qui, vu le procédé, est plutôt de l’ordre du long moment. Avant de pouvoir photographier, il faut préparer ses châssis, ensuite les décharger, trier les plans films. Sans compter qu’en noir et blanc, il faudra aussi très souvent les développer soi-même.

par François Croizet
Photographies d'Emma Croizet

1ère parution dans Chasseurs d'Images numéro 371 (Mars 2015)
Autorisation de reproduction : Pascal Miele

 

L’arrivée de l’informatique a pratiquement éliminé la part de travail manuel qu’impliquait la photographie. Pourtant, cet aspect de la photo mérite d’être préservé et valorisé. Photographier à la chambre, c’est travailler à un autre rythme, prendre le temps de la réflexion, de la contemplation, de l’indécision mais aussi de l’imagination en attendant de découvrir le résultat photographique.

Nous sommes gavés et saturés d’images, réelles, virtuelles, analogiques, numériques, au point de ne même plus les voir. Ici, on ne parle pas d’image (représentation perceptible d’un être ou d’une chose) mais de photographie, soit la traduction de l’image sous une forme qui peut être regardée, touchée, reniflée, donnée, appréciée, contemplée, accrochée.

Photographier à la chambre en 2015, c’est revenir à une démarche artisanale, rechercher la qualité, la maîtrise de sa technique de prise de vue. Le plaisir dans une lenteur assumée: une manière de décroissance photographique…

 

Qu'est-ce qu’une chambre photographique?

La chambre photographique est directement inspirée de la camera obscura, connue dès l’antiquité et largement utilisée par les artistes depuis la renaissance pour dessiner fidèlement paysages, natures mortes ou portraits.

La camera obscura est constituée d’une boîte étanche à la lumière. À une extrémité, on a fait un trou et, sur le côté opposé, on observe l’image projetée. Se fabriquer une camera obscura est simple : on prend une boîte de conserve ouverte et nettoyée, on perce au centre de son fond un trou (1 à 2mm de diamètre) et on tend sur le côté ouvert opposé un papier calque. En s’accommodant de l’obscurité et en regardant le calque sous un voile noir, on aura la surprise de découvrir l’image inversée de la réalité observée.

La photographie au sténopé (voir C.I. n° 360) utilise des montages du même type. Daguerre connaissait bien le principe de la camera obscura, et il faisait partie, avec Niépce, des pionniers qui cherchaient à figer l’image projetée sur un support. En remplaçant l’écran de projection par un support physico-chimique capable d’enregistrer l’image, il donna naissance à la chambre photographique, un outil dont le principe a peu évolué depuis : une entrée de lumière au travers d’un trou ou d’un objectif, un système d’obturation permettant de contrôler le temps durant lequel passe la lumière et un support (film ou capteur) pour capturer l’image.

La première amélioration a consisté à remplacer le trou par un système optique afin d’obtenir une image plus lumineuse, plus contrastée et mieux définie. Dans le même temps, un système modifiant l’écart entre la partie avant (objectif) et la partie arrière (support photographique) a été développé, afin de gérer la mise au point de l’image à différentes distances. Un écran de verre dépoli a été ajouté pour observer l’image projetée, cadrer et affiner la mise au point. Écran dépoli que l’on remplace par un châssis contenant le support photographique au moment de la prise de vue. Par la suite sont arrivés la bascule et le décentrement, mouvements permettant de déplacer le corps avant par rapport au corps arrière afin de modifier la façon dont la scène est restituée.

Depuis les origines, presque rien n’a changé : les chambres les plus récentes (celles des constructeurs modernes comme Linhof, Sinar, Arca-Swiss, Toyo, Cambo, Canham, etc.) n’apportent rien de plus. Et ce système de prise de vue reste à la fois le plus simple et celui qui offre le plus de liberté dans la création de l’image.

Les mouvements

Quand les chambres avaient la forme d’une boîte rigide, les parties avant et arrière étaient parallèles et fixées sur un même axe. L’utilisation d’un soufflet étanche à la lumière a permis de modifier le tirage optique mais a aussi autorisé d’importants mouvements, les corps avant et arrière de l’appareil pouvant être déplacés

Installation

La chambre est placée face au sujet avec les corps arrière et avant verticaux (bascules et décentrements à “zéro”). Cette disposition est valable pour un paysage. En studio, face à une nature morte, on ne procède pas obligatoirement ainsi.

Mise au point

On procède à la mise au point en observant, sous un voile noir, l’image sur le verre dépoli. Une loupe est nécessaire pour s’assurer de la netteté de l’image.

Décentrement vertical

On peut monter le corps arrière, descendre le corps avant, voire combiner les deux mouvements. Sur ce modèle de chambre les trois possibilités sont offertes, ce qui n’est pas toujours le cas. Les chambres pliantes ne permettent généralement que le décentrement du corps avant.

Ce que l’on voit sur le verre dépoli (en réalité, le vignetage est moins important)

1 - La chambre est posée face au sujet. L’horizon se retrouve sensiblement au milieu de l’image.

2 - Le décentrement vertical permet de donner plus d’importance au sol (corps avant abaissé ou corps arrière remonté).
3 - Grâce à un décentrement latéral, on décale le château dans la composition. Procéder ainsi évite les fuyantes. Avec un édifice comme ce château photographié d’assez loin, le défaut serait léger, mais présent. Un bâtiment aux lignes régulières (parallèles bien marquées) met parfaitement en évidence les problèmes de restitution de la perspective.
Bascule

La bascule (ici du corps avant) permet de déplacer le plan de netteté. Configurée ainsi, la chambre va donner une image montrant un sol net depuis quelques mètres jusqu’à l’infini. En fait, la zone de netteté n’est pas augmentée mais déplacée: le sol sera net mais le haut de la vigne risque d’être flou. Il faudra diaphragmer (augmenter la profondeur de champ) pour que cette

 

Sauf rares exceptions, la chambre photographique s’utilise sur trépied. On l’installe sur son support et on la dirige vers le sujet, axe optique parallèle au sol et corps arrière (porteur du dépoli) vertical. Dans cette configuration, l’horizon est au milieu de l’image.

Viennent ensuite les mouvements de décentrement. Concrètement, on modifie la “hauteur” du corps avant (portant l’objectif) par rapport au corps arrière, tout en gardant les deux corps parallèles. Selon le type de chambre utilisée, le décentrement s’opère en déplaçant l’avant, l’arrière ou les deux blocs. Le décentrement vers le haut est le plus classique, mais il peut aussi s’effectuer vers le bas, la droite, la gauche ou cumuler deux axes. Cette opération permet de construire le cadrage en vertical ou en horizontal.

Contrairement à un appareil classique, ce n’est pas l’orientation de la chambre mais les décentrements qui permettent d’ajuster l’image dans le cadre.

À noter que ces mouvements ne touchent pas à l’axe optique. Celui-ci reste perpendiculaire au plan du dépoli (et donc du négatif ou du capteur). Cette façon de travailler permet de respecter les perspectives et de représenter sans déformation les objets photographiés.

Les mouvements de bascule, eux, modifient l’angle de l’axe optique, lequel n’est donc plus perpendiculaire au plan du film. Il faut savoir que, sans bascule, le plan de netteté reste parallèle au plan du film et toujours à même distance de l’appareil. Les mouvements de bascule permettent de déplacer horizontalement et/ou verticalement le plan de netteté de l’image : il s’agit toujours d’un plan, mais il n’est plus parallèle à celui du film. La bascule donne l’impression que la zone de netteté a augmenté car on peut la placer sur la partie choisie de l’image. Par exemple, on peut avoir un sol net de deux mètres à l’infini, mais si un poteau y est planté, celui-ci sera net à sa base et flou à son sommet.

La chambre technique

La chambre technique est sophistiquée à l’extrême afin de mettre en application les principes énoncés ci-dessus. C’est un appareil qui allie solidité, performances et précision des mouvements. Cette chambre en métal possède un rail rigide sur lequel se déplacent deux corps symétriques reliés par un soufflet et capables de mouvements de décentrement et de bascule identiques. Le corps avant porte l’optique et le corps arrière le dos à ressort (avec son dépoli) qui permet de loger le châssis. Cet outil constitue le meilleur choix pour l’apprentissage pratique de la chambre ainsi que pour l'utilisation en studio. Sur le terrain, on peut lui reprocher son poids et son encombrement. Beaucoup, d’ailleurs lui préféreront une chambre pliante (folding). Certes celle-ci offre moins de possibilités, mais elle est plus légère et moins encombrante.

Chambres de différents types et formats De gauche à droite :
Rittreck, 13 x 18 cm, pliante en métal ;
Sinar F2, 4 x 5 pouces, monorail ;
Linhof “Baby” Technika, chambre pliante 6 x 7 / 6 x 9 cm ;
Sinar F2, 8 x 10 pouces (20 x 25 cm), monorail.
Différentes tailles de châssis 8 x 10 pouces, 13 x 18 cm, 4 x 5 pouces et 6,5 x 9 cm. La bobine de 135, au premier plan, donne l’échelle.

Le support photographique
grand format

Avec l’arrivée du numérique, la taille des capteurs s’est réduite au point que le 24 x 36 est désormais considéré comme un “plein format” alors qu’il apparaissait comme un petit format en argentique. Les temps changent, mais les chambres restent. Elles peuvent utiliser du film moyen format avec des dos spécifiques ou bien des capteurs numériques (la taille du Cmos est proche de celle des films moyen format), mais ce n’est pas la vocation initiale de ces appareils. Le support historique de la chambre est le plan film dans son châssis (qui a succédé aux plaques de verre). Un châssis est simplement une boîte qui tient le film à l’abri de la lumière et peut être ouverte (grâce à un volet amovible) au moment de la prise de vue. Les châssis sont généralement doubles, ils contiennent deux films que l’on peut exposer séparément. Les châssis sont standards et affichent trois tailles principales: 4x5’’ (10 x 12,7 cm), 5 x 7’’ (12,7 x 17,8 cm) et 8 x 10’’ (20 x 25 cm). Comme on le voit, les standards américains se sont imposés face aux formats européens – 9 x 12, 13 x 18 et 18 x 24 cm – mais on trouve aussi des châssis dans ces dimensions.

Il existe de nombreuses autres tailles de film, du petit 6 x 9 cm au grand 20 x 24’’ (50 x 60 cm). Les plus grands ne sont disponibles que sur commande, directement chez Ilford par exemple. Les émulsions couleur tendent hélas à disparaître, mais l’argentique noir et blanc reste florissant. Pour les plus acharnés, il est possible de faire de la couleur avec du noir et blanc, en expérimentant le procédé trichrome de Ducos du Hauron par exemple (voir le site http://trichromie.free.fr)

 

Exposition du film :

Avant de partir pour une prise de vue, les châssis sont chargés dans le noir avec des plans films. Un dispositif à ressort (“springback”) permet d'écarter le dépoli vers l'arrière afin que le châssis prenne sa place. Le plan film se retrouve ainsi à la position exacte qu'occupait le dépoli lors de la mise au point. Une fois le châssis ouvert, on peut actionner l’obturateur afin d’exposer le film. La chambre ne dispose pas de système intégré de mesure de la lumière, il faut donc mesurer l’exposition séparément avec un posemètre.
Une fois la photo exposée, le volet est remis sur le châssis avant d’être enlevé de l’appareil. Exposer en oubliant d’enlever le volet, exposer plusieurs fois un même film, placer le film à l’envers dans le châssis sont autant d’erreurs classiques que tout photographe à la chambre a commises au moins une fois ! Photographier avec une chambre exige de nombreuses qualités, parmi lesquelles être méthodique et savoir prendre son temps.

 

Tirage contact

L’avantage des négatifs de grande taille est d’offrir une résolution très élevée. Ils permettent d’obtenir, par agrandissement, des tirages plus grands et mieux définis. Important en argentique, cet atout est moins décisif depuis l’arrivée du numérique. En revanche, les grands négatifs permettent de pratiquer le tirage contact afin d’obtenir la meilleure qualité d’image possible et, surtout, de pratiquer certains procédés traditionnels et historiques. De quoi produire des photographies palpables et réelles.


Château de Luynes

Ce château, situé non loin du domicile de François Croizet, s’inscrit, de façon un peu marginale il est vrai, dans l’histoire de la photographie. Honoré Théodoric d'Albert de Luynes, 8e duc du nom, a en effet largement contribué à l'essor des procédés photographiques au XIXe siècle. Sous l'égide de la nouvelle société française de photographie, il organisa et finança de 1858 à 1867 deux concours, le premier sur la stabilité des épreuves photographiques et le second sur le meilleur procédé de reproduction photomécanique. Ces deux concours furent remportés par Louis Alphonse Poitevin pour son procédé de tirage au charbon.

 

Développement d’un tirage contact platine d’après un négatif 4 x 5 pouces (10,5 x 12,7 cm).
 


Le tirage platine final

 

 

dernière modification de cet article : 2015

 

     

 

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