[abonnement gratuit]


l'auteur

Henri Peyre
Né en 1959
photographe
Beaux-Arts de Paris en peinture
webmaster de galerie-photo
ancien professeur de photographie
à l'Ecole des Beaux-Arts
de Nîmes

www.photographie-peinture.com
organise des stages photo
www.stage-photo.info


 

    

Portraits XVIIIe

Quelques considérations sur le savoir-faire de nos anciens et l'occasion de retrouver certaines questions qui se posent encore.(1)

par Henri Peyre

 

Portrait de Madame de Flandre de Brunville-Alexandre Roslin
Portrait de Madame de Flandre de Brunville
par Alexandre Roslin (3e quart du 18e siècle)
Musée des Beaux-Arts de Tours
Huile sur toile, 147 x 114 cm

Le portrait de Madame de Flandre de Brunville par Alexandre Roslin réunit avantageusement les éléments d'un portrait réussi :
- Visage et mains attirent l'attention la plus forte en portant le maximum d'éclairage et, partant, le meilleur blanc, le meilleur noir et le meilleur contraste.
- Le personnage porte la meilleure netteté sur un fond flou.
- Il est habillé d'un velours rouge qui se détache par contraste de complémentaire sur le fond vert et brun. Le rouge apparaît toujours plus proche que les couleurs froides.
- Le pli des étoffes souligne le talent du peintre à restituer les matières.
- L'éventail est l'accessoire qui permet de situer les occupations mondaines du personnage.
La composition triangulaire souligne la puissance d'un sujet  que nous regardons d'en-bas, en position de soumission, puisque la tête est largement au-dessus de la moitié du tableau. Cette dernière figure, en l'absence de perspective clairement décelable, la hauteur de notre point de vue (2).

 

Portrait de Balthazar Sage
Portrait de Balthazar Sage (1777) par Jean-Francois Colson, Huile sur toile,100.5 cm x 81 cm
Musée des Beaux-Arts de Dijon

On retrouve un grand nombre de ces caractéristiques sur ce portrait de Balthazar Sage, le fondateur de l'Ecole des Mines, peint par Jean-François Colson.
Le regard est moins haut dans le tableau toutefois, et le personnage nous apparaît dès lors moins dominant.
Les objets sur la table comme les minéraux sur l'étagère rappellent le chimiste qui inventa la malachite artificielle tandis qu'un oiseau s'envole, symbolisant la liberté d'esprit du chercheur.
Nous voudrions parler un peu plus de la main tendue vers nous. Elle représente l'ouverture à l'autre du pédagogue assoiffé de convaincre tout autant que la capacité du sujet à exposer calmement ses connaissances. Mais il y a plus intéressant.
Cette main tendue vers nous devrait, dans une perspective stricte, être plus grande. Elle vient vers nous sans croître. Tout comme l'autre main d'ailleurs, qui reste anormalement petite.
Cette anomalie ajoute à l'étrangeté d'une pose déjà anormale : Ne s'interdit-on pas d'ordinaire de représenter des sujets en action ? La plupart des sujets sont d'ordinaire campés dans des positions figées, à la fois confortables matériellement pour le modèle et heureusement symboliques d'une appartenance du modèle représenté à l'éternité. Faut-il y voir un rappel de ce que la condition de cet homme assez querelleur fut toujours précaire et menacée ?

 

Portrait de femme 1787 - Adelaide Labille
Portrait-de-femme (1787) par Adélaide Labille Guiard
Huile sur toile, 100 cm x 81 cm.
Musée des Beaux-Arts de Quimper

Pas de prise de risque du tout au contraire dans ce portrait de femme d'Adélaide Labille Guiard : les mains, coudes et visages restent strictement dans un même plan, et évitent de ce fait tout recours à des raccourcis hasardeux. Le portrait en est moins naturel et le personnage nous apparaît mal à l'aise et emprunté. L'ensemble sent la pose stricte et une obéissance au style plus qu'au naturel qui ne fera que se renforcer sous l'Empire.

 

Portrait de la comtesse mahony - Pierre Subleyras
Portrait de la Comtesse Mahony par Pierre Subleyras
(Entre 1740 et 1747)
Huile sur toile 100 cm x 74,5 cm
Musée des Beaux-Arts de Caen

Un certain nombre de traits habituels aux portraits du XVIIIe peuvent être relevés dans ce tableau de Pierre Subleyras, qui emmêle bizarrement les contrastes de couleur pour ne conserver que les contrastes de luminosité (que diable vient faire cette étoffe bleu au premier plan ?). Et encore le contraste entre la clarté du visage et le fond est-il atténué par l'emploi d'un fond relativement lumineux derrière le visage de la Comtesse. L'ensemble des points d'intérêt, visage du modèle, petit chien, mains et crosse du fauteuil apparaissent quasiment dans un même plan et se détachent surtout au moyen d'une netteté impeccable qui figerait peut-être un peu trop le petit animal.
L'ensemble est plutôt confus et velléitaire, caractéristiques qu'en tant que spectateur on fait glisser du peintre malheureux au modèle qu'on pressent fantasque et capricieux.

Le fond moins sombre fait le personnage moins solennel et plus enjoué que celui de notre premier tableau. On attribue dès lors à la jeunesse du modèle l'inconsistance du peintre et à la fantasque jeune femme un amour immodéré pour le chien trop net.

 

Portrait de la Reine Marie Leczinska
Portrait de la Reine Marie Leczinska (1748)
Ecole de Jean-Marc Nattier
Huile sur toile 1,04 m x1,12 m - Musée du Louvre

La plupart des traits du portrait du XVIIIe peuvent être retrouvés dans ce tableau de Nattier. On retrouve en particulier cette fois le personnage habillé en tons chauds sur un fond vert-brun.
Toutefois un visage moins haut et donc moins dominateur, des étoffes aux plis moins envahissants et la marque très apparente des jambes du modèle sous une robe qui ne les masque pas rend cette Reine très populaire encore plus proche du spectateur.
Les deux mains sont abandonnées comme le livre ; visage et mains sont dans le même plan. La profondeur de champ du tableau est bien plus grande que dans les précédents, probablement pour mieux "avaler" les jambes projetées puissamment vers le spectateur. Nattier n'a pas cherché à réduire la perspective de ces dernières, comme Colzon avait cherché à le faire avec les mains du minéraliste Balthazar Sage.

On notera enfin un artifice fréquent : l'index à peine levé au-dessus du livre permet de suggérer l'instantanéité de la prise d'image, bien mieux que le bras en avant de Sage, morceau plus important auquel on se sent obligé de donner une signification plus forte.

portrait de madame crozat
Portrait de Madame Crozat née Marguerite Legendre d'Armeny
par Jacques André Joseph Aved (1741)
Huile sur toile, 138.5 cm x105 cm
Musée Fabre, Montpellier

Dans ce portrait, la profondeur de champ est encore plus importante. le peintre Joseph Aved ne réalise pas un portrait avec un indice en complément du personnage, destiné à nous faire comprendre son caractère ou son activité : il nous montre une Madame Crozat laborieuse, à sa table de couture, avec les accessoires du travail. La description consciencieuse de la scène n'épargne pas le dessus de cheminée en arrière-plan, laissant à penser que le peintre veut aussi décrire un intérieur au-delà d'une activité. Le geste est suspendu en pleine action et la position décalée du personnage sur le fauteuil dément toute pose. Le sujet est à sa tâche et ne pense ni à son confort ni à quelque majesté du geste qui voudrait imposer la représentation d'un rang social. On ne pose plus. On est déjà dans un esprit documentaire qui gagnera peu à peu l'image par la photographie le siècle suivant.
La lumière vient toutefois imposer une hiérarchie de lecture, la Dame Crozat étant nettement plus éclairée que le reste de la scène ; elle referme la peinture sur ses bords, tout comme dans les autres portraits déjà vus.

 

Portrait suppose de Mme Boye Fonfrede et de son fils
Portrait supposé de Mme Boye-Fonfrede et de son fils Henri
par François-André Vincent (1796)
Huile sur toile, 96 cm x 79 cm - Musée du Louvre

A mesure qu'on se rapproche de l'Empire, la pose et le style triomphent du réalisme. Ce portrait supposé de Mme Boye-Fonfrede est d'autant plus intéressant par le contraste saisissant entre le hiératisme pictural d'époque et l'élan en diagonale ascendante de l'enfant, à la sensualité renforcée par la pomme rouge.
Le souci maternel de la jeune femme n'est pas suggéré par quelque objet (un berceau par exemple) que le peintre aurait pu laisser traîner dans un coin de l'image. Le  geste de l'enfant établit la fonction de la mère dans un élan qui emporte tout. Jouons à cacher la pomme de l'index à l'écran : l'ensemble devient mièvre et on est happé par les yeux sombres et vides des deux personnages. Laissons la pomme revenir à la lumière : la pomme fait chair, comme dans la Bible, et le tableau devient réaliste.
L'effet du tableau est constitué par la contradiction entre la préciosité du style et l'élan naïf et sans calcul de l'enfant.

 

Madame Juliette Recamier-Eulalie Morin
Madame Juliette Récamier (1799)
par Eulalie Morin
Huile sur toile115 cm x 87 cm
Château de Versailles

Terminons enfin par ce portrait de Madame Récamier par Eulalie Morin.
Toutes les composantes essentielles du portrait XVIIIe sont là encore en place. L'esprit de l'Empire a ajouté les bouclettes, une préciosité de porcelaine et les grands yeux sombres déjà présents dans le double portrait précédent. La toge annonce le retour aux Romains. Les deux mains, le visage et les yeux sont dans un même plan.
Un fond de paysage orageux, en indice épais, renseigne sur le caractère ombrageux du personnage.
Le peintre a respecté les règles, de façon épaisse, et c'est un peu ridicule.


Un bon portrait ne peut pas se passer du catalogue de ce qu'il faut faire. Mais c'est l'emploi mesuré, fin et intelligent des composants, toujours les mêmes, qui assure le succès de la recette. Le talent n'est pas de fracasser les règles,  mais toujours de jouer d'elles avec finesse.

 

 

Notes

(1) Les tableaux commentés ont été présentés dans le cadre de l'exposition A la Mode durant l'été 2022  dans les murs du (magnifique) Musée des Beaux-Arts de Dijon ; cette exposition, avec des prêts exceptionnels du Palais Galliera, avait été présentée auparavant au Musée d’arts de Nantes, du 26 novembre 2021 au 06 mars 2022.

(2) Nous rappelons que lorsque la perspective est décelable, le regard de l'observateur est au niveau de la ligne d'horizon.

 

dernière modification de cet article : août 2022

 

 

tous les textes sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs
pour toute remarque concernant les articles, merci de contacter henri.peyre@(ntispam)phonem.fr

une réalisation phonem

nouveautés
galerie
technique
matériel
stages
adresses
librairie
boutique amazon
magasin arca-swiss 

plan
forum
liens
contact

abonnement gratuit
recherche sur le site
(chargement lent en première utilisation - veuillez patienter)