Portraits XVIIIe
Quelques considérations sur le savoir-faire de nos
anciens et l'occasion de retrouver certaines questions qui se posent
encore.(1)
par Henri Peyre

Portrait de Madame de Flandre de Brunville
par Alexandre Roslin (3e quart du 18e siècle)
Musée des Beaux-Arts de Tours
Huile sur toile, 147 x 114 cm
Le portrait de Madame de Flandre de Brunville par
Alexandre Roslin réunit avantageusement les éléments d'un portrait
réussi :
- Visage et mains attirent l'attention la plus forte en portant le
maximum d'éclairage et, partant, le meilleur blanc, le meilleur noir
et le meilleur contraste.
- Le personnage porte la meilleure netteté sur un fond flou.
- Il est habillé d'un velours rouge qui se détache par contraste de
complémentaire sur le fond vert et brun. Le rouge apparaît toujours
plus proche que les couleurs froides.
- Le pli des étoffes souligne le talent du peintre à restituer les
matières.
- L'éventail est l'accessoire qui permet de situer les occupations
mondaines du personnage.
La composition triangulaire souligne la puissance d'un sujet
que nous regardons d'en-bas, en position de soumission, puisque la
tête est largement au-dessus de la moitié
du tableau. Cette dernière figure, en l'absence de perspective
clairement décelable, la hauteur de notre point de vue (2).

Portrait de Balthazar Sage (1777) par Jean-Francois Colson, Huile
sur toile,100.5 cm x 81 cm
Musée des Beaux-Arts de Dijon
On retrouve un grand nombre de ces
caractéristiques sur ce portrait de Balthazar Sage, le fondateur de
l'Ecole des Mines, peint par Jean-François Colson.
Le regard est moins haut dans le tableau toutefois, et le personnage
nous apparaît dès lors moins dominant.
Les objets sur la table comme les minéraux sur l'étagère rappellent
le chimiste qui inventa la malachite artificielle tandis qu'un
oiseau s'envole, symbolisant la liberté d'esprit du chercheur.
Nous voudrions parler un peu plus de la main tendue vers nous. Elle
représente l'ouverture à l'autre du pédagogue assoiffé de convaincre
tout autant que la capacité du sujet à exposer calmement ses
connaissances. Mais il y a plus intéressant.
Cette main tendue vers nous devrait, dans une perspective stricte,
être plus grande. Elle vient vers nous sans croître. Tout comme
l'autre main d'ailleurs, qui reste anormalement petite.
Cette anomalie ajoute à l'étrangeté d'une pose déjà anormale : Ne
s'interdit-on pas d'ordinaire de représenter des sujets en action ?
La plupart des sujets sont d'ordinaire campés dans des positions
figées, à
la fois confortables matériellement pour le modèle et heureusement symboliques d'une appartenance du modèle représenté à l'éternité.
Faut-il y voir un rappel de ce que la condition de cet homme assez
querelleur fut toujours précaire et menacée ?

Portrait-de-femme (1787) par Adélaide Labille Guiard
Huile sur toile, 100 cm x 81 cm.
Musée des Beaux-Arts de Quimper
Pas de prise de risque du tout au contraire dans
ce portrait de femme d'Adélaide Labille Guiard : les mains, coudes et
visages restent strictement dans un même plan, et évitent de ce fait
tout recours à des raccourcis hasardeux. Le portrait en est moins
naturel et le personnage nous apparaît mal à l'aise et emprunté.
L'ensemble sent la pose stricte et une obéissance au style plus
qu'au naturel qui ne fera que se renforcer sous l'Empire.

Portrait de la Comtesse Mahony par Pierre Subleyras
(Entre 1740 et 1747)
Huile sur toile 100 cm x 74,5 cm
Musée des Beaux-Arts de Caen
Un certain nombre de traits habituels aux
portraits du XVIIIe peuvent être relevés dans ce tableau de Pierre
Subleyras, qui emmêle bizarrement les contrastes de couleur pour ne
conserver que les contrastes de luminosité (que diable vient faire
cette étoffe bleu au premier plan ?). Et encore le contraste
entre la clarté du visage et le fond est-il atténué par l'emploi
d'un fond relativement lumineux derrière le visage de la Comtesse.
L'ensemble des points d'intérêt, visage du modèle, petit chien, mains et crosse du fauteuil apparaissent quasiment dans un même plan
et se détachent surtout au moyen d'une netteté impeccable qui
figerait peut-être un peu trop le petit animal.
L'ensemble est plutôt confus et velléitaire, caractéristiques qu'en
tant que spectateur on fait glisser du peintre malheureux au modèle
qu'on pressent fantasque et capricieux.
Le fond moins sombre fait le personnage moins
solennel et plus enjoué que celui de notre premier tableau. On
attribue dès lors à la jeunesse du modèle l'inconsistance du peintre
et à la fantasque jeune femme un amour immodéré pour le chien trop
net.

Portrait de la Reine Marie Leczinska (1748)
Ecole de Jean-Marc Nattier
Huile sur toile 1,04 m x1,12 m - Musée du Louvre
La plupart des traits du portrait du XVIIIe
peuvent être retrouvés dans ce tableau de Nattier. On retrouve en
particulier cette fois le personnage habillé en tons chauds sur un
fond vert-brun.
Toutefois un visage moins haut et donc moins dominateur, des étoffes
aux plis moins envahissants et la marque très apparente des jambes
du modèle sous une robe qui ne les masque pas rend cette Reine très
populaire encore plus proche du spectateur.
Les deux mains sont abandonnées comme le livre ; visage et mains
sont dans le même plan. La profondeur de champ du tableau est bien
plus grande que dans les précédents, probablement pour mieux
"avaler" les jambes projetées puissamment vers le spectateur.
Nattier n'a pas cherché à réduire la perspective de ces dernières,
comme Colzon avait cherché à le faire avec les mains du minéraliste
Balthazar Sage.
On notera enfin un artifice fréquent : l'index à
peine levé au-dessus du livre permet de suggérer l'instantanéité de
la prise d'image, bien mieux que le bras en avant de Sage, morceau
plus important auquel on se sent obligé de donner une signification
plus forte.

Portrait de Madame Crozat née Marguerite Legendre d'Armeny
par Jacques André Joseph Aved (1741)
Huile sur toile, 138.5 cm x105 cm
Musée Fabre, Montpellier
Dans ce portrait, la profondeur de champ est encore plus importante. le peintre
Joseph Aved ne réalise pas un portrait avec un indice en complément
du personnage, destiné à nous faire comprendre son caractère ou son
activité : il nous montre une Madame Crozat laborieuse, à sa table
de couture, avec les accessoires du travail. La description
consciencieuse de la scène n'épargne pas le dessus de cheminée en arrière-plan,
laissant à penser que le peintre veut aussi décrire un intérieur
au-delà d'une activité. Le geste est suspendu en pleine action et la
position décalée du personnage sur le fauteuil dément toute pose. Le
sujet est à sa tâche et ne pense ni à son confort ni à quelque
majesté du geste qui voudrait imposer la représentation d'un rang
social. On ne pose plus. On est déjà dans un esprit documentaire qui
gagnera peu à peu l'image par la photographie le siècle suivant.
La lumière vient toutefois imposer une hiérarchie de lecture, la
Dame Crozat étant nettement plus éclairée que le reste de la scène ;
elle referme la peinture sur ses bords, tout comme dans les
autres portraits déjà vus.

Portrait supposé de Mme Boye-Fonfrede et de son fils Henri
par François-André Vincent (1796)
Huile sur toile, 96 cm x 79 cm - Musée du Louvre
A mesure qu'on se rapproche de l'Empire, la pose
et le style triomphent du réalisme. Ce portrait supposé de Mme Boye-Fonfrede
est d'autant plus intéressant par le contraste saisissant entre le
hiératisme pictural d'époque et l'élan en diagonale
ascendante de l'enfant, à la
sensualité renforcée par la pomme rouge.
Le souci maternel de la jeune femme n'est pas suggéré par quelque
objet (un berceau par exemple) que le peintre aurait pu laisser
traîner dans un coin de l'image. Le geste de l'enfant
établit la fonction de la mère dans un
élan qui emporte tout. Jouons à cacher la pomme de l'index à l'écran
: l'ensemble devient mièvre et on est happé par les yeux sombres et
vides des deux personnages. Laissons la pomme revenir à la lumière :
la pomme fait chair, comme dans la Bible, et le tableau devient
réaliste.
L'effet du tableau est constitué par la contradiction entre la
préciosité du style et l'élan naïf et sans calcul de l'enfant.

Madame Juliette Récamier (1799)
par Eulalie Morin
Huile sur toile115 cm x 87 cm
Château de Versailles
Terminons enfin par ce portrait de Madame Récamier
par Eulalie Morin.
Toutes les composantes essentielles du portrait XVIIIe sont là
encore en place. L'esprit de l'Empire a ajouté les bouclettes, une
préciosité de porcelaine et les grands yeux sombres déjà présents
dans le double portrait précédent. La toge annonce le retour aux
Romains. Les deux mains, le visage et les yeux sont dans un même
plan.
Un fond de paysage orageux, en indice épais, renseigne sur le
caractère ombrageux du personnage.
Le peintre a respecté les règles, de façon épaisse, et c'est un peu
ridicule.
Un bon portrait ne peut pas se passer du catalogue de ce qu'il faut
faire. Mais c'est l'emploi mesuré, fin et intelligent des
composants, toujours les mêmes, qui assure le succès de la recette.
Le talent n'est pas de fracasser les règles, mais toujours
de jouer d'elles avec finesse.
Notes
(1) Les tableaux commentés ont été
présentés dans le cadre de l'exposition A la Mode durant
l'été 2022 dans les murs du (magnifique) Musée des Beaux-Arts
de Dijon ; cette exposition, avec des prêts exceptionnels du Palais
Galliera, avait été présentée auparavant au Musée d’arts de Nantes,
du 26 novembre 2021 au 06 mars 2022.
(2) Nous rappelons que lorsque la
perspective est décelable, le regard de l'observateur est au niveau
de la ligne d'horizon.
dernière
modification de cet article : août 2022
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