l'auteur
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Sable - tours ©
Pierre Filliquet -2003
D'autre part, mon épouse m'a fait découvrir sa culture japonaise. Un des
monuments de cette culture est la littérature d'Abé Kôbô, dont l'un des
livres les plus connu est « la femme des sables ». Un film
extraordinaire en a été tiré, grand prix à Cannes en 1962, je crois. Ce
livre parle, par la symbolique du sable, d'un sentiment très fort et
universel : un mélange d'abnégation et de force. De l'acceptation
nécessaire des contraintes pour trouver sa liberté. J'ai lu ce livre
après avoir commencé les prises de vues, mais c'est bien de la même
chose dont je voulais parler. Il y a aussi les jardins zen, ou le tas
d'ordure sur lequel vivent les personnes de Kurosawa dans Dodeska den.
bref, cette image respire un air qui vient de là-bas.
L'expression « une photographie entre rien et tout » me plaît beaucoup
: l'essentiel est toujours la question du choix. J'essaye dans cette
série d'en proposer un pour chaque image, et de rester en
équilibre sur cette proposition. La photographie est donc tout à fait figurative : un tas de sable, un mur,
des couches qui le constitue, un bout de ciel, tout est lisible ; mais
l'espace dans lequel cette figuration s'inscrit est lui tout à fait
indistinct, il n'y a pas d'échelle de dimension. C'est donc l'idée que
chaque spectateur se fera de l'espace de cette image qui va la
circonscrire, lui donner sa « valeur ». Elle peut être formaliste ou
plus spirituelle. Cela dépend du plaisir que l'on veut y prendre, et le
plaisir le plus grand n'est pas le plus facile à conquérir.
Quel appareil, quelles pellicules ont servi à la prise de vue ?
Pour cette prise de vue, j'ai utilisé un Mamyia RZ 67 avec son objectif
standard de 90 mm, avec lequel je travaille depuis 5 ans. J'aime beaucoup cet appareil contraignant. Il est lourd et encombrant mais
avec ses dos rotatifs, son viseur d'une très grande clarté et des
objectifs d'une qualité exceptionnelle, il reste un compagnon
irremplaçable. C'est un appareil qui a des exigences (pied obligatoire,
pas de cellule), mais ce sont ces contraintes et la qualité des images
qu'il offre qui m'ont justement amené au grand format. Il m'a appris à être patient, précis. J'ai donc fait l'acquisition, grâce à galerie-photo, d'une petite Linhof
Kardan standard, le modèle le plus basique de chez Linhof, un peu
primaire, mais je ne crois pas qu'il y ait de monorail plus légère. Elle
ne chatouille donc pas trop ma hernie discale. Je travaille plutôt en
grand angulaire avec elle, et un objectif Schneider Symmar super angulon
5,6 /90. Grâce à elle j'ai goûté aux plaisir des jeux de bascules, et j'ai pu
traiter certains sujets d'architecture de manière optimum. Un ami me prête généreusement sa magnifique Sinar P13X18 de temps en
temps, pour des sujets précis, et cela m'a donné le goût du luxe. Mon objectif est de passer à une solution 20X25 transportable avec
objectif neuf, dès j'aurai assez d'argent pour me l'offrir. Pour cette prise de vue, la pellicule utilisée est du négatif
Kodak 160 NC. Je préfère le négatif parce qu'il est plus souple lors de la prise de vue
et qu'il permet plus d'interprétation au tirage (auquel j'assiste
toujours). De plus, le labo avec lequel je travaille ne peut pas tirer
de format supérieur au 50x70 cm à partir d'ekta, et... on ne sait
jamais !
Quelle est pour vous la taille idéale de tirage pour une vue pareille ?
Cette image fait partie d'une série, et la question du format a été
très difficile à résoudre. Au final, chaque image a son propre format. L'important pour ce type de photographie est que la présence physique du
tirage permette juste le passage vers la perception mentale d'un espace,
sans l'imposer. Le tirage doit donner à voir le strict nécessaire, mais
avec le plus de précision possible a fin de créer une ambiguïté. Si le
format dicte l'espace, il n'y a plus rien à en dire. Si l'image sert à
construire un paysage intérieur, une dimension propre à chaque
spectateur, alors le travail reste ouvert et vivant. Un rapport d'intimité avec le spectateur est nécessaire à la lecture.
Cette image est donc tirée sur un 50X60 cm, ce qui est très raisonnable,
avec une marge blanche pour l'isoler, sur un papier semi mat, par les
procédés traditionnels de tirage couleur. Je crois qu'aujourd'hui les photographes peuvent utiliser sans complexe
toutes les techniques existantes de prise de vue ou de tirage. Le seul
problème est la pertinence et la justesse de chaque technique pour ce
que nous avons à dire. Il s'agit aussi de savoir sur quel
ton on s'adresse à celui qui regarde l'image.
dernière modification de cet article
: 2003
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