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l'auteur
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Henri Peyre
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Merci à Georges Laloire
pour sa relecture attentive
par Henri Peyre
Quelques années ont passé depuis la mort du maître sans que ne se produise une salutaire relecture de son œuvre. La sensibilité récente à plus d'égalité entre hommes et femmes a libéré un peu la parole autour de la malfaisance de l'homme Picasso, sans toutefois libérer encore un regard plus intelligent sur l'œuvre brutale du maître, peut-être parce que trop d'intérêts financiers sont encore en jeu. Cet article veut suggérer la voie qu'il faut maintenant prendre pour lire enfin l'œuvre du peintre et accepter qu'elle puisse ressembler à l'homme : il faut lire toute l'œuvre de Picasso comme celle d'un excellent caricaturiste.
L'enfance de Picasso a marqué le maître. Dès l'enfance les caricatures abondent chez le peintre, tout comme le goût pour la corrida. Ce seront deux constantes qui accompagneront Picasso sur toute la vie, se rejoignant même dans l'identification personnelle fétichiste de Picasso au taureau. Une identification à la force bestiale, elle-même auto-caricaturale.
La caricature consiste à contraster violemment l'essentiel pour réduire et enfermer le sujet dans une esquisse résumée. En elle-même elle est violence. Dans sa conception elle est l'expression d'une volonté de puissance et d'un goût d'assujettissement de l'autre. Elle concourt ainsi dans la forme au fond machiste de Picasso.
Toute sa vie Picasso est allé d'un style à l'autre. Les peintres redoutaient ses passages dans leur atelier, le considérant comme un voleur d'idées. C'est qu'en bon caricaturiste Picasso ne caricaturait pas seulement des personnes, des scènes ou des objets ; il caricaturait également des styles. Ainsi ses dessins de personnages s'inspirent-ils très directement du style des vases grecs, la fascination pour Cézanne a-t-elle conduit aux natures mortes caricaturales du cubisme et les masques africains à une caricature du style des masques nègres.
Le péché originel, pour le caricaturiste, est l'absence d'une œuvre propre. Le caricaturiste se nourrit sans cesse d'apports extérieurs ; ces apports sont superficiellement considérés et vite digérés. C'est pourquoi il faut sans arrêt passer à autre chose.
Une preuve du mécontentement personnel sourd induit par la pratique de la caricature chez Picasso est à trouver dans l'admiration que Picasso vouera toute sa vie à Matisse : il comprend que ce dernier s'est dépouillé progressivement de tous les styles acquis pour arriver à une peinture personnelle indépassable et libérée de toute influence extérieure. L'inverse même de la démarche digestive de Picasso. Ou, plus encore, chez le douanier Rousseau dont il ressentira le talent, à tort ou à raison, comme venu de nulle-part.
Une autre hélas se retrouve dans le comportement humain de Picasso tant envers les femmes qu'envers les hommes, chacun vite consommé, jeté et disparaissant rapidement du champ d'intérêt de l'artiste.
Quand le comportement d'un homme est répréhensible mais que l'œuvre semble intéressante, il y a toujours un moment où cette question arrive sur la table, et il y a toujours des gens pour dire que l'œuvre se distingue de l'homme et certains pour ajouter même que c'est là le propre du génie.
Mais pourquoi vouloir dissocier l'œuvre de l'homme ? L'œuvre est faite par un homme dans la culture d'une époque, dans les conditions socio-économiques qu'il a connues, et s'enracine dans le vécu personnel. Mais parce qu'on ne regarde pas vraiment les œuvres, on ne lit pas et on ne comprend pas les messages qui y sont inscrits ; on a tendance à projeter dans une radicalité subie, mais qui n'est que la perception de notre incapacité à vouloir comprendre, un génie qui n'était pas chez l'auteur. On défend ensuite avec d'autant plus d'âpreté cette thèse qu'elle est une projection de soi sur l'œuvre de l'autre.
Chez Picasso les œuvres et l'homme sont parfaitement confondus et tout à fait compréhensibles pour peu qu'on veuille bien regarder avec attention et ce qui a été produit et la vie de l'artiste. La compréhension des unes enrichit la connaissance qu'on a de l'autre et réciproquement, et sans surprise.
Nous sommes dans une époque où beaucoup est
montré. Paradoxalement peu de gens voient les choses comme elles
sont. Cela tient bien sûr à des causes nombreuses :
- manque de connaissances
- faible esprit critique et, en conséquence, lacune dans le jugement
personnel
- passivité
- idéologisation systématique des problèmes
- projection du soi sur l'extérieur
Pour toutes ces raisons, voir n'est pas donné :
c'est quelque chose qui, comme le reste, s'apprend, se fortifie et
se discute.
Evidemment, l'expérience du passé et cette courte réflexion sur
Picasso et son œuvre ne sont pas très encourageantes. On voit que la
tendance à ne pas voir n'est pas nouvelle et bien ancrée.
Il y a des choses que nous devons à l'avenir mieux faire, et mieux
regarder en fait partie. Cela ne se fera pas sans effort ni sans
humilité. Le jugement sur Picasso, forcément, en sera modifié.
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une réalisation phonem |
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