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l'auteur
Emmanuel Bigler
est professeur (aujourd'hui retraité) d'optique et des
microtechniques à l'école d'ingénieurs de mécanique et des
microtechniques (ENSMM) de Besançon.
Il a fait sa thèse à l'Institut d'optique à Orsay
E. Bigler utilise par ailleurs une chambre Arca-Swiss
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Notes de lecture "Photo d'intérieur, le guide des techniques professionnelles de l'éclairage''
de Roger Hicks et Frances Schultz, traduit de
l'anglais par René Bouillot, ISBN 2-86258-186-2, 160pp, éditions VM,
1996
Emmanuel BIGLER
(in
english)
Pour les ouvrages de technique photographique, en flânant chez les
libraires, on regarderait d'abord le contenu avant de s'intéresser à
savoir qui est l'auteur, au contraire des ouvrages de photographie
artistique, où on cherche d'abord l'auteur avant de regarder le contenu.
Une exception qui confirme la règle est évidemment la série d'ouvrages
didactiques d'Ansel Adams, à la fois grand artiste photographe et
pédagogue [1] passionné, qui ravissent
les amateurs de beaux paysages en noir et blanc. Autant dire qu'après
avoir trouvé ce livre sur l'éclairage des intérieurs intéressant et
l'avoir acheté, c'est une autre bonne surprise que de découvrir à la
maison la signature de deux auteurs anglo-saxons très appréciés et celle
d'un traducteur-auteur français qu'on ne présente plus.
La règle du jeu dans cette série d'ouvrages 'Pro-Lighting' est que les
auteurs, pour ce volume R. Hicks et F. Schultz, font appel à des
contributeurs très variés, photographes professionnels bien établis,
afin qu'ils partagent avec les lecteurs quelques unes de leurs images de
« qualité professionnelle » avec des indications sur la manière dont les
éclairages ont été agencés.
Il y en pour tous les goûts, car entre la nef d'église et le plafond de
mosquée, le bureau « ultra-moderne » comme on l'aurait dit dans les
années 1950, et l'intérieur le plus British qui soit, avec au mur
le portrait du XV-ième Comte de Wetsminston qui semble se moquer
gentiment du photographe, on voit mal comment on pourrait ne pas trouver
ici son bonheur.
Qu'on n'attende pas une liste de trucs à la manière d'un ouvrage de
bricolage ou de jardinage, ces trucs de métier dont les amateurs
pensent qu'il leur suffit de les connaître pour devenir un bon
photographe. Non, mais de métier, oui, il est question car
l'ouvrage, de fait, vise plutôt à la formation professionnelle. Autant
dire que le jeune photographe en formation a de quoi avoir quelques
sueurs froides en voyant la maîtrise technique exposée dans l'ouvrage :
il aura du pain sur la planche avant d'arriver à en faire autant. Cela
ne doit pas dissuader l'amateur, même s'il est peu probable qu'il puisse
rassembler tout le matériel d'éclairage suggéré dans les planches
explicatives. Après tout, les amateurs de musique classique, même s'ils
n'ont qu'un petit piano à la maison, ne doivent pas se priver d'écouter
les virtuoses donner leur interprétation d'un morceau du
répertoire, cela les aidera à faire leurs gammes et à se lancer
eux-mêmes à jouer leurs morceaux favoris. C'est ainsi que je verrais le
livre de R. Hicks et F. Schultz, un peu comme un ouvrage d'analyse
musicale qui permet de mieux comprendre, ou comme un enregistrement
didactique détaillant les difficultés d'un morceau et leur résolution
par différents artistes. Ici, c'est cette interprétation de
sujets photographiques somme toute très classiques qui nous est donnée :
un vrai régal, en vérité.
Néanmoins, malgré l'exposé intimidant pour l'amateur d'une certaine
maestria
de l'éclairage, parmi les techniques raffinées servant à équilibrer les
niveaux de lumière dans la délicate photographie d'un intérieur
d'église, Quitin Wright, l'un des contributeurs, nous propose une
solution en apparence très simple et utilisable par l'amateur pour
photographier une nef d'église du haut en bas. Sa solution : renoncer à
quelque éclairage artificiel que ce soit, laisser entrer la lumière
naturelle par les vitraux même placés très haut, et équilibrer entre le
haut et le bas grâce à un filtre dégradé à variation linéaire
judicieusement choisi et placé.
Pour ce qui est du matériel de prise de vue, la chambre professionnelle
4''x5'' se taille la part du lion, secondée par le moyen format 6x6 ou
6x7. Roger Hicks, presque en s'excusant, nous propose sa vision d'un
intérieur de maison classique de l'Alabama prise en 24x36 avec un ultra
grand angle de 14mm. Oui, nous dit-il, « car l'image ne devait pas
être agrandie à plus que 10x15cm ». Histoire de couper court à
quelque récrimination du lecteur : comment, vous M. Hicks, le chantre de
la Gandolfi 5''x7'', vous avez osé photographier cet intérieur en 24x36
!! Mais la démonstration n'en est que plus fascinante, par la maîtrise
du cadrage et de la lumière, il est bien difficile d'imaginer qu'un 14mm
a été utilisé. Alors à ceux qui vous disent, entre amateurs bien sûr,
``plus court que 28, cela déforme beaucoup'', on a envie de dire :
allez, un mauvais ouvrier a toujours de mauvais outils, regardez ce que
Roger Hicks fait avec un 14 !!
La facture des prises de vues présentées dans l'ouvrage est des plus
classiques. Le rendu des perspectives avec maîtrise des fuyantes ne cède
en rien à quelque laxisme ``de modernité'' vis à vis de ce que les
mouvements de la chambre permettent, ou lorsqu'il s'agit, même en 6x6
(dépourvu de mouvements) à main levée, de conserver les verticales bien
parallèles. Dans un autre ouvrage sur la photographie d'architecture en
grand format, bien différent et beaucoup moins informatif [2],
le photographe californien Julius Shulman nous fait part, vers la fin du
XX-ième siècle, de ses craintes vis à vis de la ``perte'' supposée des
bonnes règles : aujourd'hui, nous dit-il, « à une époque de
raffinement technologique jamais atteint dans la conception des
appareils photo, on trouve dans les magazines des clichés de qualité
médiocre qui déforment les proportions des édifices photographiés... et
cela me préoccupe. S'agit-il d'un manque de goût de la part des
directeurs artistiques, ou bien les photographes engagés sont-ils
démunis de l'expérience ou de l'équipement qui conviendrait ? ».
Rassurons Julius Schulman, car du moins de ce côté-ci de l'Atlantique, les
bons auteurs comme Roger Hicks et Frances Schultz --qui, soit dit en
passant, passent probablement la moité de leur temps aux États-Unis--,
sont là avec l'aide de leurs amis photographes professionnels réunis
pour l'occasion, pour nous montrer que modernité et qualité
vont toujours de pair en photo d'architecture contemporaine. Quant à ceux
qui se laisseraient aller à publier des images de « tours penchées »
parce qu'ils sont ``démunis de l'expérience ou de l'équipement qui
conviendrait'', qu'ils lisent et relisent cet excellent ouvrage sur
l'éclairage. Et bravo aux éditions VM et à René Bouillot pour l'avoir
rendu disponible au public francophone.
Commentaire et référence bibliographique
-
[1] |
On aime à opposer l'artiste qui devient célèbre et celui qui
enseigne l'art, ce dernier étant condamné par une espèce de fatalité
insurmontable à rester dans l'ombre des maîtres. Ou bien tel artiste
adoré et reconnu, qui serait totalement incapable ni d'expliquer ce
qu'il fait, ni de transmettre quoi que ce soit de son expérience. Tous
les grands musiciens ont eu des élèves, peu de leurs élèves sont devenus
aussi célèbres que leur maître et presque tous les grands auteurs du
répertoire classique ont eu des bons maîtres qui se sont, aux yeux de
l'Histoire, effacés derrière leur élève génial. Il y a peut-être une
exception en la personne de Gabriel Fauré, qui eut Claude Debussy et
Maurice Ravel dans sa classe. Mais lorsque Georges Gershwin, fasciné,
rencontra Maurice Ravel, il lui demanda s'il pouvait devenir son élève.
Ravel, qui pouvait être extrêmement cassant, déclina la proposition
après avoir mis en avant le fait que le jeune compositeur nord-américain
était déjà riche et célèbre, et que ce simple fait, selon les normes
nord-américaines, devait lui suffire. Et il ajouta ``vous feriez du
mauvais Ravel...'' |
[2] |
Julius Shulman, ``L'architecture et sa photographie'', ISBN
3-8228-7334-9, 300pp, Taschen, 1998 malheureusement ce livre ne contient pratiquement aucune information
technique sur la façon dont les photos ont été prises. En revanche le
livre suivant du même auteur détaille le matériel et le travail à la
prise de vue y compris une étude de cas : "Photographing Architecture and Interiors'' Julius Shulman, Richard Neutra (Introduction), ISBN 1890449075, 180 pages, Balcony Pr. ; réimpression (Mai 2000) |
Emmanuel Bigler 10 janvier 2003
Dernière mise à jour : 2003
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