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Paysage, peinture et photographieUne visite au musée de Grenoble
En ces temps grégaires où chacun essaie de faire la même chose que tous les autres pour briser la solitude pathétique de sa propre vie, et de se fabriquer des ennemis pour fortifier dans la violence d'illusoires camaraderies de combat, il est des lieux où règne encore une paix profonde, où la haine et les intérêts sordides semblent encore hésiter à entrer. J'ai nommé les musées de province, qui échappent aussi parfaitement à l'excitation créée par les grandes expositions temporaires et les phénomènes d'adhésion en masse qu'elles engendrent. Même si leurs conservateurs souvent s'en désespèrent, aspirant à une politique du chiffre, ils sont les gardiens à leur corps défendant de véritables lieux de paix. Le trésor en ce lieu est constitué de silence, de calme, de beauté. Entrer dans ces musées est d'emblée voyager dans un autre monde. Au luxe que représente l'espace offert s'ajoute un silence propice à la méditation. On a presqu'à soi seul durant quelques heures à la fois un palais et, au travers des œuvres, un concentré du travail accompli par les hommes avant nous, avec le fulgurant saisissement de certains niveaux atteints, qui ont été perdus, et, par force, un respect admiratif pour leurs auteurs. Ce respect qui coule de source fait lui aussi du bien lorsque dans la vie de tous les jours on voit si peu de belles choses à admirer et tant d'occasion de désespérer de la médiocrité de l'Homme.
J'ai depuis peu de la famille installée à Grenoble et profite de chacun de mes séjours pour voir et revoir le magnifique musée des Beaux-Arts de la ville(5), à la présentation moderne, dont le contenu le place à l'égal d'autres grands musées de province comme celui de Rouen, du Havre ou de Dijon. Je vous propose ici une sélection de quelques œuvres incontournables et des fragments de pensées qui me viennent, à chaque fois que je me confronte, visite après visite, à chacune d'entre elles.
5 œuvres remarquables
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l'auteur
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Les préoccupations de Guétal en matière de
paysage et sous l'influence de la photographie ne sont pas isolées.
En témoigne ce paysage du Lac Merlat du peintre Edouard
Brun. Ce tableau, peint une quinzaine d'années après le précédent, porte la même ambition ; les peintres se connaissent et le premier tableau a connu un succès considérable tant au Salon de Paris qu'à l'Exposition Universelle de 1889. Edouard Brun se doit de faire aussi bien, et on pourrait dire qu'il y est presque parvenu. Le presque que nous employons tient à l'emploi des codes de la peinture, encore très présents dans le tableau de Guétal, au travers de la présence du ciel à pompon et d'un lointain vraiment éloigné qu'on ne trouve plus dans cette représentation du lac Merlat. Ainsi l'œuvre de Brun pourra-t-elle apparaître moins riche aux familiers de l'œuvre des peintres. Pour mieux illustrer ce jugement, on peut s'intéresser à cette œuvre de Jean Achard, présentée au Musée de Grenoble directement à côté des deux autres. |
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La Vue prise de Saint-Egrève est riche d'enseignement. Jean Achard est le fondateur de l'Ecole Dauphinoise, ce groupe de peintres auquel appartenaient Guétal et Brun. Mais Achard est le glorieux aîné (1807-1884) ; il a connu l'Ecole de Barbizon et la ferme Saint-Siméon. Ami de Rousseau, Corot et Daubigny, il fait partie de ces peintres qui, élevés dans la Rome idéalisée de l'Ecole des Beaux-Arts, seront secoués par le réalisme et la photographie. Secoués mais pas encore emportés. En témoigne la Vue prise de Saint-Egrève. Le paysage proposé est encore idyllique, au sens où l'entendait le siècle de Poussin. Il y règne une lumière paradisiaque, mise en place dans la grande tradition du théâtre : un premier plan toujours sombre ; un sujet de second plan solide, fortement charpenté et en pleine lumière ; une alternance de plans sombres et lumineux, le clair-obscur. La quantité de plans successifs était déjà réduite
dans le tableau de Guétal. Avec le lac Merlat d'Edouard
Brun on est dans un sujet pauvre de ce point de vue. La tradition de
la peinture en 1900 s'est déjà affaiblie et le réalisme des coups de
lumière nets, empruntés à la photographie, semble avoir triomphé. |
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Terminons le tour de cette même salle du musée de Grenoble par le tableau Au Rondeau de Laurent Guétal. Enseignant au séminaire, l'abbé Guétal sortait peu et il est difficile de savoir ce que ce tableau à la fois très grand, démesurément allongé et pourtant très intime, doit à la vogue, à Paris, de la peinture impressionniste. Guétal admirait profondément la peinture du peintre suisse Alexandre Calame(3), qui précédait largement l'impressionisme, et on peut retrouver dans certaines peintures de ce dernier ces mêmes effets atmosphériques réalistes qu'ils affectionneraient tant. La nature ascétique de Guétal a enfin pu le porter naturellement vers des sujets peu colorés ; convenons que la modernité principale de ce tableau ne tient finalement pas tant à la qualité de sa palette qu'à cette composition extrêmement vide sur la droite du tableau, qui induit le même appel vers ce vide silencieux déjà figuré dans le lac d'Eychauda.
On passera rapidement sur les salles d'art moderne, d'une médiocrité qui attriste et embarrasse.
On terminera enfin la visite en s'arrêtant un peu
longuement en face du sublime Saint-Jérôme pénitent de
Georges de la Tour(4).
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Dernière modification de cet article : Janvier 2024 |
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