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l'auteur
Merci
à Georges Laloire
pour sa relecture bienveillante.
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Œuvres d’art et marché :
Comment juger de la qualité d’une
œuvre ?
Introduction
Revel,
dans la distinction qu’il fait entre « Mouvement des idées » (qui seul
compte pour lui, représentant la seule véritable avancée humaine) et
« Mouvement des esprits » (ensemble des modes passagères), citant son
Histoire de la Philosophie Occidentale(1) disait
:
« (…) un système
intellectuel satisfait bien d’autres besoins que celui de connaître, de
même qu’une œuvre d’art se prête à bien plus de choses qu’à procurer une
émotion esthétique. L’un et l’autre ont des fonctions sociales et
psychologiques, servent à des groupes restreints ou larges à cimenter ou
à défaire leur union, servent à des individus à cimenter ou à défaire
leur image d’eux-mêmes, selon une dynamique semi-consciente de
compensation, de domination, déstabilisation ou au contraire
d’auto_punition et d’effacement, dans laquelle la part d’éléments
étrangers à l’affaire est souvent la plus forte. C’est pourquoi
l’argumentation est parfois un facteur secondaire, voire inexistant, de
l’adhésion à une doctrine philosophique, et la réalité de l’émoi
esthétique un facteur accessoire, ou même nul, de l’admiration, et d’une
admiration, d’une adhésion d’autant plus intransigeantes et
expansionnistes, dans leurs extériorisations agressives, que rien ne les
nourrit dans la solitude du jugement. Les « bénéfices secondaires » de
la pensée et ceux de l’art peuvent alors en devenir les bénéfices
principaux et être farouchement défendus en tant que tels,
indépendamment de toute prise en considération du fond. Les hommes
passent leur temps à se battre à propos de problèmes théoriques qu’ils
ne souhaitent pas résoudre : des problèmes qui ne les intéressent pas,
sinon pour leurs conséquences extra-théoriques »
Avec Revel, nous devons
remarquer qu’il y a bien des façons de juger d’une œuvre d’art, et que
majoritairement, hélas, les œuvres d’art ne sont pas jugées sur leurs
qualités propres.
Discuter de la valeur des
œuvres d’art autrement que sur le fond de leurs qualités intrinsèques (2)
revient, si on suit un peu la pensée de Revel, à s’interroger sur
l’émetteur du jugement ; en comprenant qui juge, on en apprendra
beaucoup sur la façon de juger de la qualité d’une œuvre d’art. C’est ce
que nous allons tenter ici. Attention, nous ne parlons ici que
d’artistes professionnels, pas d’artistes auto-proclamés qui ne
rencontrent aucun succès public. La question est donc de comprendre
quelle qualité de l’œuvre permet de prospérer sur le marché.
Qui juge ?
Si le juge est l’artiste.
Il peut y avoir deux sortes
d’artistes.
Une première sorte, assez
largement répandue, conçoit la production de l’œuvre comme produit
s’inscrivant dans un marché libéral. La question principale, pour cette
espèce d’artiste, est de s’assurer que la production personnelle peut
être placée dans un créneau encore non-couvert dans le champ de
l’ensemble de la production artistique. Il faut s’assurer que l’œuvre
apporte une nouveauté réelle, correspondant à une chose qui jamais n’a
été faite auparavant. Au sens du marché, la nouveauté du produit induira
une valeur nouvelle, et le produit étant sans concurrence, pour peu
qu’il y ait de la demande, permettra une valorisation à bon prix. Chez
les plus sectaires d’entre eux, la nouveauté ne suffit pas, et l’artiste
veut démontrer en outre, dans un parallèle injustifiable avec la marche
en avant de la science dure, que l’œuvre représente en plus un progrès :
non seulement l’œuvre n’a jamais été faite, mais elle veut ringardiser
toutes les œuvres précédemment advenues. C’est l’attitude classique des
vieilles avant-gardes, qui ajoutent à l’attitude économique libérale une
erreur épistémologique pour, passant en force, élargir le créneau
économique par l’utilisation du monopole du Vrai. Ce faisant, ces
artistes créent de la polémique, du bruit, de l’engagement, ce qui
augmente, à défaut de leur crédibilité, la publicité autour de leur
œuvre, facteur positif pour la visibilité du créneau. On reconnait
l’idéologue à ses jugements des œuvres : il dira toujours, parlant des
œuvres des autres : « c’est vieux », « cela a déjà été fait » ou « c’est
dépassé ».
Une deuxième famille
d’artistes pratique plutôt une sorte d’idiotisme au sens étymologique :
la seule chose qui importe est à leurs yeux l’exploration de soi. Comme
chacun est différent de tous, une exploration très avancée mène
forcément à la production d’œuvres dans un créneau. Le raisonnement est
parfaitement fondé. Deux éléments par contre sont à prendre en
considération pour arriver à une œuvre de bonne qualité (pour l'auteur) : être sûr qu’on ira
suffisamment au bout du « connais-toi toi-même » et de son expression
pour que l’œuvre apparaisse vraiment singulière ; être sûr par ailleurs
qu’à force d’approfondir et de s’enfoncer en soi on va bien trouver
quelque-chose d’intéressant à exprimer. Aller très loin en soi pour ne
trouver finalement à montrer au monde qu’un petit cochon vaniteux sans élévation
spirituelle et juste une forme personnelle de violence et de fantasme ne
garantit nullement le succès, quelle que puisse être la singularité de
ce qui est montré et le choc que cela puisse causer un temps bref, dans sa violence et
son manque de pudeur, au public. On reconnaîtra cette catégorie
d’artiste à leur grande indifférence pour l’actualité artistique,
toujours considérée comme une agitation prétentieuse et inutile.
Quelle que soit la sorte d’artiste à laquelle il appartient, l’artiste
peut toujours juger de son succès à la réussite de sa vente, et la
qualité de son œuvre à l’observation qu’il s’est placé dans un créneau
singulier, que ce placement soit froid et économiquement raisonné ou
dépende de la pure introspection. Le grand public reconnaît ses œuvres
et concède que l’artiste « a un style ».
Lorsque ce style est établi,
si l’artiste est de la deuxième catégorie, celle des idiots(3),
il n’y a pas de problème. La notion de progrès ne compte pas. Personne
ne montrera jamais la même idiosyncrasie que lui. Son œuvre jamais ne se
démodera. S’il est de la première catégorie, celle des malins et des
calculateurs, il entre, avec le succès, dans une zone de danger. En
effet, et quelques contorsions qu’il puisse faire, si le succès a été
établi sur un créneau, le public et les acheteurs exigent la
continuation de l’œuvre dans le créneau qui a fait le succès. Intervient
là le rapport avec les réseaux constitués de la vente d’œuvres d’art dont
il faut dire un mot.
Les vendeurs présents sur le
marché de l’art ont des intérêts différents de ceux des artistes.
L’idéal pour un vendeur est que l’artiste produise une œuvre facilement
reconnaissable avec une qualité de réalisation soutenue. Le fait qu’un artiste soit
vivant et qu’il puisse de ce fait brutalement changer de style et
d’intérêt dans ce qu’il produit est une grave menace pour le travail
fait autour de l’image de l’artiste que le vendeur essaie de valoriser ;
une menace d’autant plus grave même qu’on aura un stock d’œuvres de cet
artiste, stock que le changement de position de l’artiste pourrait
dévaloriser du jour au lendemain. Pour un galeriste qui a du stock, un
bon artiste est un artiste mort.
L'expert
Commençons par un des
acteurs du marché, l’expert. La bonne stratégie d’enrichissement
personnel pour un expert consiste à se spécialiser très tôt (disons au
doctorat) sur un artiste mort peu connu pour lequel il existe un stock
d’œuvres accessible mais pas étudié. De l’étudier. De le valoriser en en
produisant le catalogue raisonné. D’acheter si possible au fur et à
mesure de l’étude et tant que cela ne coûte pas cher, un stock d’œuvres
de l’artiste mort, puis de publier le catalogue et d’organiser des
expositions des œuvres. Enfin, par la suite, parce qu’on est le seul
expert valable sur le sujet, de monnayer sa propre signature à
l’authentification de chacune des œuvres que la notoriété ne manquera
pas de faire sortir des collections des uns et des autres.
Le galeriste
Le point de vue des
galeristes peut être assez différent, puisque nombre d’entre-eux peuvent
présenter des œuvres d’artistes vivants. La plupart des galeristes
expérimentent assez vite que les artistes vivants ne se vendent pas.
C’est normal puisqu’on vient de voir que d’autres professionnels actifs
préfèrent les morts. Leur appétit pour les vivants n’est donc pas
soutenu. Aussi les galeristes doivent-ils constituer un mixte d’œuvres
de valeurs sûres, reconnues par le marché, si possible d'artistes morts, et d’œuvres d’artistes
inconnus qui constitueront leur écurie et qu’il faudra présenter pendant
des années tout à côté des valeurs sûres, de sorte que le public puisse
être amener à penser que ces nouveaux noms peuvent aussi avoir un peu de
valeur puisqu’ils sont offerts aux yeux dans les mêmes conditions. Tout
nouvel artiste qui accède progressivement à une notoriété sera
impérativement tenu par le galeriste de bloquer son style sur le style
qui a commencé d’être reconnu. Il ne s’agit surtout pas de briser par le
moindre écart une première reconnaissance déjà tellement fragile et
hasardeuse.
Le galeriste a pignon sur
rue, et il n’a forcément pas le même point de vue que l’agent.
L'agent
L’agent est un mercenaire
qui a généralement un goût pour l’art et a accès pour des raisons
familiales ou autres à un milieu où règne l’aisance financière, mais pas
forcément beaucoup de culture. Il veut profiter de son avance culturelle
sur ce milieu pour à la fois favoriser des artistes qu’il estime, ce
faisant avoir des prétextes pour renforcer ses liens avec les personnes
les plus aisées du milieu qui l’abrite et faire, au passage, quelques
plus-values. Il n’a pas la même obligation que le galeriste à la
fidélité artistique, et ne se sent guère tenu par des obligations à long
terme. La mise en relation, les ouvertures relationnelles sont souvent
pour lui une motivation supérieure à la valorisation des œuvres. S’il
trouve les mêmes opportunités dans d’autres négoces, il ne restera pas
forcément dans la proximité artistique.
galeriste et agent : divergence et convergence
Les galeristes se doivent de
montrer, en soutenant sur des années leurs poulains, qu’ils croient en
leur production. Les agents y sont moins obligés, mettant parfois plus
en valeur leurs capacités d’entremetteurs et de facilitateurs. Mais tous
sont à l’affut d’œuvres sûres, qui se revendraient toujours plus cher
qu’elles ne seraient achetées, disposant ainsi favorablement l’ancien
acheteur à l’acquisition de l’œuvre suivante et crédibilisant de ce fait
les conseils qu’ils prodiguent.
Pour ces agents de marché, galeristes ou agents, il y a intérêt à ce que
certaines œuvres, bien reconnues, fassent démonstration aux acheteurs de
la possibilité de gagner de l’argent : aussi ont-ils intérêt à
pousser à la fabrication de cotes artificielles pour quelques artistes
dont la qualité du travail importe moins que l’accord général qui sera
fait autour de leur nom pour en activer la promotion,
et démontrer ainsi au gogo, une fois pour toutes et par l'exemple,
que les arbres peuvent monter jusqu'au ciel. (11)
L'acteur invisible : l'argent sale
Ce travail de fabrication de
cote nécessite un accord entre représentants des institutions (grands
musées), critiques d’art et marchands. Elle porte sur des œuvres très
faciles à reconnaître, même pour des gens sans culture. Plus elles sont
enfantines, bébêtes, simples et mieux c’est pour la cause. Qu'elles
aient du fond est une complexité inutile, qui peut surtout nuire à la
reconnaissance et doit être évité.
Pour monter les cotes, il
faut s’assurer que la quantité d’argent entrant dans le système est
toujours supérieure à celle qui en sort. Cela tombe bien. L’argent sale, présent dans le
monde dans des quantités considérables(4), a besoin de
ce mécanisme indispensable ; il est souvent recyclé dans les œuvres
d’art, profitant de l’arbitraire des estimations de la valeur des
œuvres : « Pour remporter le contrat d'un gazoduc, j'ai besoin du
soutien d'un élu. Combien veut-il ? Un million ? C'est délicat ces
dessous-de-table. Alors je lui donne un tableau - vrai ou faux, peu
importe - qu'il met aux enchères, et des complices vont surenchérir
jusqu'à cette somme. Et lui touche un chèque de la maison de vente ",
explique un professionnel(5). Le meilleur enchérisseur
touchera naturellement bien entendu une commission au-delà de l’argent
qui lui aura été donné pour la simple enchère.
En France et en Europe, les
manipulations les plus grossières sont découragées par l’interdiction de
payer en liquide au-delà d’une certaine somme, mais certaines
estimations avancent le chiffre de 50% d’argent sale sur le marché de
l’art en Chine. (6)
Le marché de l’art
international épate les gogos, fait tourner les têtes, vendre les
magazines, entretient l’illusion du génie de quelques vedettes, mais est
ainsi aux mains de quelques individus, qui l’orientent à leur bénéfice,
sans considération pour la qualité des œuvres utilisées simplement comme
monnaies. Comme le dit le Figaro : "Pourquoi n'est-il pas permis aux
non-initiés de discuter du bien fondé de certains choix artistiques et
de la qualité de certaines œuvres d'art contemporain? Réponse: pour que
le système continue de fonctionner au bénéfice du «pré carré» de ses
inventeurs et des
spéculateurs
qui en profitent". (7)
Acteurs spécifiquement français :
des collectivités à l' interventionnisme malheureux
Ce système est encouragé
dans notre pays par le fait que l’Etat et les collectivités locales se
sont trop investis dans le champ de la production artistique et de
l’achat des œuvres.
Il y a un bien trop grand
nombre d’écoles d’art, et donc bien trop d’artistes formés
comparativement au marché des œuvres achetées, si bien que la notion
d’œuvre d’art a été banalisée. L'excès d'œuvres produites implique pour
les artistes un état de panique propice à toutes les vociférations, qui
permettront peut-être, par effet scandale, à son auteur d'être enfin
considéré.
Le système des écoles
produit en outre un formatage des esprits qui donne, certes, un vernis
bienvenu aux plus médiocres auxquels on montre qu’il y a peut-être des
choses à apprendre, mais abîme forcément les meilleures idiosyncrasies
qui réfléchiraient probablement mieux loin du tapage.
Des fonds d’achat
créent des systèmes de courtisanerie autour de fonctionnaires censés
distribuer la manne avec honnêteté, deuxième pente dangereuse d'encouragement
à la médiocrité.
En parallèle il y a peu de
collectionneurs en France, en dépit d’un système où les collections
d’art sont fiscalement avantagées. La promotion systématique, depuis des
années, d’œuvres médiocres ou incompréhensibles et l’idée qu’il faudrait
y « éduquer » jusqu’aux enfants, qu’on traîne dans les musées d’art
contemporain, a ébranlé les collectionneurs en herbe, forcément déjà les
plus hésitants, qui en sont arrivés à avoir peur de leur ombre et
achètent peu. Or un collectionneur est quelqu’un qui achète des œuvres
avec son argent (dépense douloureuse) et pas un fonctionnaire qui dépense l’argent de la
collectivité (dépense sans douleur) ; l’investissement a forcément pour
le collectionneur un caractère traumatique beaucoup plus fort, ce qui
certifie une réflexion beaucoup plus profonde et à long terme sur
l’œuvre d’art et les fondamentaux qui lui donnent de la valeur.
Dans toute la chaîne
artistique, il y a ainsi probablement deux endroits où la valeur
intrinsèque de l’œuvre se discute vraiment dans un grand moment
d’honnêteté : le premier endroit est le moment de l’achèvement de
l’œuvre pour un artiste de l'espèce du connais-toi toi-même.
Le second est celui de l’achat de l’œuvre par un collectionneur lorsque
elle va rejoindre sa collection personnelle.
Le critique d'art
Autres acteurs : les
critiques d’art. Attachés à la publication qui les nourrit (généralement mal), les
critiques doivent émettre des avis réguliers sur ce qui ne fait que
passer autour d’eux. La régularité de l’exercice nuit fatalement à leur
sincérité. Souvent venus d’une formation en Histoire de l’art, ils
partagent avec les historiens d’art une vision évolutive de l’art qui
part d’un point A et se renouvelle continuellement dans la direction
d’un point B sans arrêt plus éloigné. L’idée que B puisse un jour
redevenir A est pour un historien d’art progressiste une idée
parfaitement inimaginable et saugrenue. Ce qui revient à dire que s’il
n’y a pas une idée de progrès, il y a quand même quelque chose qui
semble y ressembler un peu. Qu’on se mette à leur place : si B revenait
un jour en A, à quoi diable auraient-ils bien pu servir ? L’objectif, toujours
un peu forcené, est donc de montrer qu’il y a une évolution de l’art, de
la rendre a posteriori inéluctable, et de démontrer qu’il y a des
génies, ces génies étant ceux qui ont anticipé l’évolution à venir,
évolution
sacralisée rétroactivement par les historiens.
Critiques d’art et
historiens travaillent au même fond. Mais le critique d’art est un
courageux voltigeur : là où l’historien d’art connait les vainqueurs
à l'avance et
confond les rapports de forces en une logique d’évolution, sans prendre
trop de risques, le critique d’art est au front. Il veut être celui qui
aura le premier senti le vent tourner. Influent, il peut même essayer de
faire tourner le vent, mais c’est évidemment plus compliqué et risque de
l’enfermer lui-même dans l’histoire, pensée insupportable s’il en est,
quand le fond du métier consiste à renifler le génie.
Le curateur
Souvent, mais pas toujours, conservateur dans une institution
muséale, le curateur organise des expositions. S'il est conservateur et
a en charge de valoriser les œuvres de son institution, le poids de la
charge va en augmentant d'années en années, puisque l'émerveillement que
causent des œuvres sans arrêt vues et revues par le public local va sans
arrêt décroissant. Assez rapidement le conservateur comprend qu'il lui
faut apporter une plus-value personnelle plus importante et il en
vient à entrer dans la logique du curateur.
Le curateur est persuadé qu'il apporte à l'occasion des
expositions une valeur importante aux œuvres présentées, et même à la
fin, une valeur plus importante que la valeur intrinsèque des œuvres. Le
curateur veut nettement, par son intervention, changer le regard et la
signification des œuvres aux yeux du spectateur. Il désire ainsi se
faire artiste, jouant avec les œuvres des autres comme avec des pions et
conçoit l'exposition elle-même comme une œuvre d'art. Il s'ensuit
forcément deux conséquences :
- Un mépris pour les œuvres présentées, puisqu'est naturellement incluse
dans la démarche du curateur l'idée qu'il faut les dépasser et que
l'effet intéressant se joue au-dessus des œuvres, dans l'exposition.
-
La tentation de jouer avec le feu, qui consiste, pour maximiser
son apport personnel, à présenter des œuvres de plus en plus médiocres
d'une exposition à l'autre. On montrera mieux son talent dans sa
capacité de transformer le plomb en or.
On voit à quel point, quand
on se pose la question de la valeur d’une œuvre, c’est-à-dire de sa
place dans la socialisation humaine, il peut y avoir des points de vue
différents. Que chaque acteur du marché a des attentes, des besoins, des
contraintes concernant l’attachement qu’il peut témoigner à l’art.
L'œuvre d'art :
quelle valeur de fond ?
Il reste pour finir à
aborder la question du fond de l’œuvre. L’œuvre peut-elle présenter une
valeur en soi, à côté de sa valeur de marché ?
Nous nous bornerons à
rappeler ici quelques considérations que nous avons déjà développées par
ailleurs. Rappelons-en les grands traits :
- La qualité de l’œuvre en soi est seulement liée à la
notion de jouissance (8)
- Cette notion de jouissance s’installe en nous au
moment où nous percevons nettement l’opposition au sein de l’œuvre de
deux logiques différentes. Elle est très proche, par son fonctionnement, du rire (9).
Dans le rire, on considère le moment exact où on passe d’une situation noble à
une situation qui ne l’est plus, dans une logique péjorative (un homme
qui glisse sur une peau de banane). Dans l’émotion de la jouissance du
beau, on passe d’une situation médiocre à une situation noble (logique
méliorative). C’est au franchissement de la limite entre les deux
situations que l’on ressent la jouissance du beau.
- Comme la logique de la perception du beau est avant
tout contemplative (10), il faut éviter autour de l’œuvre d’art tout
bruit, toute action physique. Sur ce dernier point on mesurera combien
toute forme d’art qui tâche d’impliquer les spectateurs par l’action de
leur corps n’est que sociale et ne peut produire aucun effet de beauté
durable. Elle ne peut ainsi ni durer ni être collectionnée. Elle peut
offrir le miracle d'un instant magique, mais jamais conserver la moindre
valeur de marché.
Notes
(1)
Avant-propos de 1979 à « Pourquoi des Philosophes »,
Jean-François Revel, Ed.Robert Laffont, 1997 – ISBN 2-221-07973-6, p34
(2)
Nous avons tenté ce jugement à partir des qualités intrinsèques
d’une œuvre d’art en particulier dans ces articles de galerie-photo :
Esthétique de Robert Musil www.galerie-photo.com/robert-musil-esthetique.html
De l'œuvre d'art
www.galerie-photo.com/oeuvre-art.html
(3) Au sens des idiots pour Jouannais in
Idiotie :
art, vie, politique-méthode,
Jean-Yves Jouannais,
Beaux-Arts Magazine livres, ISBN
2842784316
(4) "Au niveau mondial, la criminalité encaisse
chaque année 1 000 milliards de dollars par an, soit quatre fois le
budget de la France et autant que toutes les dépenses militaires
mondiales. Dans ces activités, la drogue est l’activité reine, et la
cause la plus importante du blanchiment (19 % du total selon notre
Ministère des finances), ne serait-ce que parce qu’un produit illicite
qui a un coût de revient de 1 dollar est revendu 2 000 dollars au
consommateur final. Cet afflux d’argent liquide doit être recyclé
quelque part."
Source :
https://fraudmeshs.hypotheses.org/82
(5) Source :
https://www.lesechos.fr/16/05/2014/LesEchos/21689-051-ECH_blanchiment---la-part-d-ombre-du-marche-de-l-art.htm
(6) « Mais en Chine, second marché de
l'art après les Etats-Unis, l'opacité règne et la plus grosse maison de
vente, Poly, loin de donner l'exemple, se refuse à plus de transparence.
« Là-bas, il n'y a pas de limite au paiement en cash. 30 à 50 % des
ventes d'art s'y apparentent à du blanchiment ", observe un
commissaire-priseur. Cela pourrait expliquer pourquoi les antiquités
chinoises comme les œuvres d'artistes contemporains chinois pulvérisent
régulièrement les estimations les plus folles. Ou qu'aux dernières
ventes d'art moderne et contemporain de New York, le tiers des achats
émanaient de clients asiatiques, principalement chinois. »
Source :
https://www.lesechos.fr/16/05/2014/LesEchos/21689-051-ECH_blanchiment---la-part-d-ombre-du-marche-de-l-art.htm
(7)
http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2014/05/16/31006-20140516ARTFIG00257-art-contemporain-comment-l-argent-a-pris-la-main.php
(8)
www.galerie-photo.com/oeuvre-art.html
(9)
www.galerie-photo.com/esthetique-jouissance-beau-comique.html
(10)
www.galerie-photo.com/robert-musil-esthetique.html
(11) Pour reprendre à l'inverse le fameux slogan
des investisseurs en bourse : "les arbres ne montent pas jusqu'au
ciel"
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