Autour de la Foire à la photo de Bièvres : une interview de Marie Jo Masse
D’où vient votre
intérêt pour la photographie ?
La photographie m'accompagne depuis ma plus tendre enfance, quand les
jours de pluie nous regardions les plaques stéréo de mon grand-père à
l'aide d'un Taxiphote, qui est maintenant dans mon salon. L'autre caverne
d'Ali Baba était le secrétaire de ma mère et les albums que nous
feuilletions des heures durant. Ensuite, je me souviens d'avoir fait des
photos à la campagne, mais j'ai oublié d'où venait l'appareil. Vers
l'âge de 15 ans, j'ai commencé à prendre les choses plus au sérieux en
achetant un appareil et en me plongeant dans la lecture des opus de Paul
Montel que j'ai eu la chance de rencontrer à la Foire de Bièvres quelque
40 ans plus tard. En 1965, j'ai craqué et je me suis offert un rêve sous
la forme d'un Nikon F que j'ai toujours, et qui n'a été suivi que de 4
boîtiers.
Je faisais des photos de mon entourage et aussi un peu de paysage.
J’étais fière parce que les parents de mes amies avaient encadré les
portraits que j’avais faits d’elles. En 69, j’ai fait la découverte de
la proxy-photo, en photographiant une écorce d'eucalyptus que tout le
monde voyait chaque jour, mais dont personne n'avait perçu la beauté. À
notre retour de vacances, j'avoue avoir apprécié le moment où, quand
j'ai montré cette photo à la maisonnée, tout le monde a demandé :
"qu'est-ce que c'est ? ". Pour moi cette photo est emblématique, primeur
d'une démarche qui continue.
Est-ce ce qui m'a poussée à devenir chercheur au CNRS en biologie ou
l'inverse ? Dans tous les cas, la photo-microscopie m'a accompagnée tout
au long de ma carrière et c'est aussi dans ce cadre que j'ai découvert
les logiciels de traitement d'image. Cela m'a également permis de
passer 5 ans en Californie à Los Angeles pour ma thèse (70-75), où j’ai
suivi de vagues cours de photographie et touché au développement noir et
blanc. Après quelques années passées en France, je suis retournée en
Californie à Stanford (90-92). J'en ai profité pour suivre un cursus
photo dans un collège et participer à des voyages photos encadrés par
des professionnels. C'est de là que j'ai pris le virus du "voyager pour
photographier et non photographier parce que l'on voyage". C'est aussi
comme cela que j'ai compris qu'en groupe et en partageant les
expériences, on s'enrichissait à tous points de vue. Partir seule avec
mon appareil photo ou avec un groupe de mordus, sont les meilleures
vacances possibles.
Logiquement, en rentrant des Etats-Unis, j'ai cherché à m'insérer
dans un club photo et c'est ainsi qu'en 1992, j'ai rejoint le photo club
du Val de Bièvre. J’étais sous l’agrandisseur à l'Institut Pasteur, en
train de mettre en forme des illustrations pour un article scientifique
et je parlais avec le directeur du département photo de ma passion pour
la photo. Il m'a alors suggéré de contacter le photo-club du Val de
Bièvre. Il y avait alors quelque 90% d’hommes faisant de la photo noir
et blanc, et je suis arrivée femme… et faisant de la couleur !
À l’époque, c’était déjà un photo-club connu, grâce à Jean Fage, son
fondateur et des personnes comme Jean-Louis Michel ou Edith Gérin, entre
autres, qui avaient un sacré œil et qui faisaient une formidable
critique photographique. Le club avait été champion de France à
plusieurs reprises mais ne participait plus aux concours quand j'y suis
entrée.
J'ai participé à ma première Foire à la photo en 1993. À l’époque,
les stands mesuraient 2 m sur 2 m. J'y suis allée avec ma collection de
photos de l'ouest américain montées sous marie-louises 40x50 et
présentées dans de grandes boîtes d'archives. Cela détonnait un peu.
Réponses Photo m’a remarquée. Et a publié mes photos du Golden Gate
bridge (des détails bien sûr !) dans le cadre d'un "Regard sur".
L'article est sorti au moment où je faisais une exposition à côté de
Grasse. Du coup, j’ai bien vendu, pas à Bièvres mais à Grasse. J’aime
les expositions car on y est entouré de ses photos et on échange avec
les autres autour de ses photos. Ma tante et marraine était peintre et
galeriste ce qui m'a m'influencée et guidée. Depuis une quinzaine
d’années, je m’occupe de la galerie du club.
Membre du conseil d'administration du club depuis 1993, j'en suis
devenue présidente en juillet 2006 et le suis restée jusqu'à la fin
2012. Le club est exceptionnel dans la mesure où il offre à ses 220
membres des activités quotidiennes et même plus : cours, critiques,
séances de club, sorties photographiques, studio, labo argentique, etc.
Ce qui en fait un club très dynamique et ouvert. Le succès du club ne se
dément pas. Nous avons dû refuser 100 personnes l’année dernière. Nous
recrutons environ 50 personnes, de tous les niveaux, chaque année. Les
locaux sont simplement trop petits pour faire plus. Je suis toujours au
conseil d'administration du club et suis responsable de la Foire où cela
fait 10 ans que j'y joue un rôle actif. Le regret c'est que cela
m'empêche d'y prendre un stand, mais je ne désespère pas !
Remise des prix au cours de la foire. A gauche Marie Jo Masse,
à l'arrière-plan Jean-Pierre Evrard.
Quelles sont vos
références en photographie ?
Les coloristes : Ernst Haas, Saul Leiter,
Harry Gruyaert. Edward Weston, évidemment, parce que j’ai commencé avec
la photo américaine et pour la proxi-photo
Quelle définition
pouvez-vous donner de la foire ?
Unique.
Unique comme le club, qui est privé et
dont la moitié des recettes provient de la Foire. Elle a été créée par
le visionnaire qu'était Jean Fage, fondateur du club en 1949 et de la
Foire en 1964, en même temps que le Musée Français de la Photographie
Unique parce qu’elle est une galerie de plein air. L’origine de la Foire
ce sont les artistes. Les occasions ne sont venues que 10 ans plus tard.
Unique parce que c’est un marché de
l’occasion avec 250 exposants venant de toute l’Europe, beaucoup
d’Allemands, d'Anglais… cet aspect est organisé par une personne
rémunérée pour cela. C’est une des 3 grandes foires d’Europe, la seule
en plein air, la seule qui combine tous ces éléments : occasions /
antiquité (des pièces rares) / tirages, livres, artistes et conférences.
La foire de l’occasion a lieu le samedi après-midi et le dimanche ; la
foire pour les artistes a lieu le dimanche.
L’arrivée du numérique
a-t-elle changé la donne ?
Cela nous a fait assez peur, au point
que nous avons initié des réunions de prospective avec des
professionnels du marketing proches du club.
On a créé les Rencontres de Bièvres,
une série de conférences qui, au début, traitaient surtout de l’art
d’utiliser les logiciels (Adobe, Dxo etc.). Depuis 2-3 ans, nous en
avons élargi le champ, en incluant des thématiques sur l'aspect
artistique ou sociétal de la photo. Par exemple, cette année il y
aura une conférence autour de "Nadar et Hugo": deux célébrités
bièvroises et photographes de renom.
On voit que les appareils numériques
haut-de-gamme se revendent bien, pas les « petits » appareils
numériques. Les optiques pour numériques et argentiques, les
chambres se vendent bien.
Globalement la fréquentation de la
foire n’est plus celle des années 70-80, mais elle a amorcé une
remontée au début de la décennie et elle semble stabilisée. Malgré
la crise, nous n'avons pas observé de variations de notre chiffre
d'affaire. Ce qui est une satisfaction.
Vos rapports avec la
mairie ?
Comme je viens de le dire, le photo-club
est le créateur, au travers de la personne de Jean Fage, du Musée. Il a
été inauguré en même temps que la Foire en juin 1964. Le maire de
Bièvres, veut mettre la photo en exergue dans sa ville, ayant conscience
que c'est grâce à elle que sa commune a une stature internationale. Il
investit dans la foire, faisant venir des animations musicales et des
expositions. Le musée pourrait bien aussi rester à Bièvres, alors que
son transfert avait été décidé à un moment parce qu’il est dans un local
trop petit. Le musée actuel est en effet très exigu et sur un terrain
difficile mais le transfert au loin aurait probablement été une erreur.
Je crois beaucoup dans la synergie et je suis convaincue que club, Foire
et Musée ont tout à gagner à rester fortement liés et la commune aussi !
Le club va créer une antenne à Bièvres. Je rappelle que le club est
actuellement sur Paris dans un local dont il est propriétaire. Il avait
été créé à Bièvres par Jean Fage et en était parti suite à de multiples
péripéties. Le siège social du club est toujours à la mairie de Bièvres.
Quel est votre rôle
personnel sur la Foire ?
Je suis mandatée par le conseil
d'administration du club pour l'organisation de la foire et en suis donc
la responsable de facto. En plus, je m’occupe directement du marché des
artistes avec l’aide de la secrétaire du club : recrutement, attribution
des stands, constitution du jury, remise des prix (prix Jean et André
Fage, quatre mentions, dont, éventuellement, un prix du Jeune
Photographe) et de la préparation de l’inauguration officielle de la
foire en présence des édiles et de la reine des fraises. Je m’occupe de
la communication avec la mairie, les membres du club, les autres
fédérations et clubs. Je rédige des articles dans les publications du
club, au niveau de la fédé et supervise la communication en général.
Nous avons engagé une attachée de presse professionnelle il y a deux
ans.
A votre avis, pourquoi
cette foire est-elle devenu la première de France ?
Probablement parce qu’à l’époque, en 1964,
elle était la première. Elle a été imitée, comme aujourd’hui notre
marché des artistes est imité. Man Ray a été un des premiers exposants
de notre Foire ! Les Fage étaient extrêmement dynamiques et ont su
attirer énormément de monde. La qualité et le côté bucolique et
convivial ont fait le reste… même si le temps nous joue parfois
(rarement) de mauvais tours ! C’est une vraie fête de la photo !
Quel temps de travail
cette foire vous demande-t-elle sur l’année ?
Aucune idée. Quand on n’aime on ne compte
pas et il y a plus organisé que moi. On commence en fait dès septembre,
avec les visuels pour les salons. Aujourd’hui, en mai, je commence à
m’occuper de celle des 50 ans, l’année prochaine. C’est difficile à
quantifier, mais de toute façon c’est beaucoup de courrier et,
peut-être, 2-3 mois de travail à plein temps sur l’année avec un coup de
feu de mars à juin. Le plus dur est de trouver du temps, au milieu de
mes autres occupations, pour mettre en œuvre des nouveautés.
Qu’est-ce qui est le
plus pénible dans une telle organisation, ce qui vous ennuie le plus
?
L’administration. Cela m’a toujours
ennuyée. Ce que j’aime : les idées et les projets, renouveler les
choses, organiser des aspects neufs, pas d’écrire la lettre à la
préfecture pour la vente au déballage…
Peut-on faire un
portrait-type du visiteur de la foire ?
Il y a plusieurs types :
- le
collectionneur/chineur, qui est à la recherche du matériel, du tirage,
du livre, de la pièce qui manque à sa collection, qui achète et revend.
Ceux-là piétinent dès le samedi 14h pour être sûrs d'être les premiers
sur les bonnes affaires, comme dans toute brocante!
- Le photographe qui
travaille en argentique et qui vient pour du matériel argentique,
papiers périmés, par exemple.
- Le photographe qui aime être dans le
milieu photo, voir et discuter photo avec les vendeurs et les artistes
ou à l'une des nombreuses terrasses de café et profiter des animations.
- L’amateur ou le pro qui vient acheter un accessoire photo qui lui
manque.
- Le promeneur du dimanche qui s'offre gratuitement une très
jolie promenade chez les artistes. Il peut en plus se "faire tirer
le portrait" gratuitement au "studio éphémère" créé par notre club, il y
a trois ans.
La Foire présente aujourd’hui aussi des animations
musicales, qui ouvrent un peu plus la fête. On ne veut pas non plus que
cela la dénature trop de son cœur d'activité, qui est et doit rester la
photo, donc cela commence plutôt vers la fin de la Foire. On essaie de
lier la musique à des thématiques d’expositions, par exemple cette
année, le Brésil.
Y a-t-il des
nouveautés cette année ?
On a de nouveaux locaux (et une salle de
plus encore l’année prochaine). Donc 4 nouvelles expositions de
photographes professionnels, grâce à la participation du Conseil
Général. On a renoué avec les ventes aux enchères et deux photographes
de renom feront de la lecture de portfolios.
Comment voyez-vous
l’avenir de la foire ?
IIl faut 3 ingrédients pour qu'une foire se
maintienne
- Du bon matériel ce qui amène de bons clients et attire plus de bons
forains. C'est un cercle vertueux et il est de notre devoir de faire en
sorte que celui-ci perdure et de faire accroître la notoriété et
développer l’image de la foire. D'où le recrutement d'une attachée de
presse.
Le côté artistique ne rapporte rien. Cependant, la démarche est
de valoriser au maximum les prix pour les artistes, de façon à attirer
des artistes de plus en plus pointus, ce qui valorise la notoriété de la
Foire. C'est un deuxième cercle vertueux. Le moteur de la Foire est,
malgré tout, le marché de l'occasion et des antiquités. Ce tandem, qui
fait l'originalité de la Foire, doit rester solide. Le plus important
est que la Foire continue à évoluer, car tout ce qui est immobile meurt
!
Dernière mise à jour :
mai 2013
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