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l'auteur
Né à Bruxelles, Marc Deneyer est graphiste et musicien (guitare
classique) de formation. Il se consacre à la photographie de paysage
depuis 1982. Autodidacte, il suit les cours du soir à Bruxelles sur
le système des zones d'Ansel Adams et fait un stage sur cette même
technique avec Serge Gal. A partir de 1986 il expose en France puis
à l'étranger. Ses oeuvres font partie de nombreuses collections
publiques, telles que la Bibliothèque Nationale de France, le Fonds
National d'Arts Contemporain, le Musée de l'Elysée à Lausanne. Il
est représenté par la Galerie Camera Obscura, 12 rue Ernest Cresson,
à Paris.
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Marc DENEYER
Groenland - 103, Marc Deneyer©
Galerie-photo : Marc Deneyer, pourquoi le paysage et pourquoi la
photographie en noir et blanc ?
Je suis venu tardivement à la photographie.
Cependant dès mon adolescence un attrait pour la chimie et l'optique
dans ce qu'ils représentaient de mystères et de possibles
découvertes ont occupé bien des journées. Une vieille lanterne
magique équipé d'une bougie et de quelques plaques de verre, puis un
projecteur de cinéma 35mm rudimentaire, rapidement débarrassé de son
mécanisme que j'avais jugé inutile et bruyant, ont constitué
l'essentiel de l'équipement à partir duquel m'est venu le goût de
l'image projetée, imprimée, et de manière plus générale le goût de
la lumière.
Mon sujet de prédilection est toujours la nature - la plupart du
temps à travers le paysage - même si le portrait (qui commence à
m'intéresser), les jardins et avec eux l'image que l'homme s'est
faite de la nature, m'intéressent également.
J'ai rapidement compris qu'au fond, je ne photographiais jamais que
moi-même. Que partout où j'allais, j'emmenais avec moi mes forces et
mes faiblesses et que ce sont elles que je retrouvais à travers les
paysages que je photographiais. J'aime me retrouver face aux choses
et être confronté à mon propre destin. Je me sens un véritable
acteur de mon avenir.
Dès le début de ma pratique photographique je me suis tourné vers le
noir et blanc qui me permettait de dégager avec plus d'évidence les
lignes de force d'un paysage, sa composition et de mettre en
évidence la manière dont il est véritablement modelé et sublimé par
la lumière. En noir et blanc je peux également contrôler très
finement toute l'élaboration de l'image, de la prise de vue jusqu'à l'épreuve finale.
La couleur, malgré son attrait évident, me semble ajouter trop
d'informations, devenir trop explicite par rapport au réel au risque
de se rapprocher de trop près du simple constat. De plus le procédé
couleur était, jusqu'il y a peu encore, difficile à contrôler de
manière satisfaisante à travers toute sa chaîne de production.
L'avènement du numérique remet ceci en cause. Je ne manquerai pas d'y faire des expériences.
Groenland - 102, Marc Deneyer©
Expliquez-nous le choix du
Groenland...
Après avoir terminé une série de prise de vues de
nuages - gros plan de matière, nuances de blanc et de gris clair -
je me posais la question de savoir quelle direction pourrait prendre
mon travail. Comment poursuivre cette recherche de la lumière pour
elle-même ? J'étais et reste persuadé que tout ce que nous
recherchons aussi bien que la manière dont nous le recherchons sont
les véritables "animateurs" de notre vie intérieure, que les sujets
choisis sont l'expression de nous-même mais qu'inversement ceux-ci
laissent en nous des traces profondes.
On m'avait parlé de l'Islande. Pourtant, aussi
spectaculaires que paraissent les paysages de ce pays, le mélange du
chaud et du froid ne m'attirait pas. Comme un choix que la nature
n'avait pas su faire, une hésitation qui tachait la glace de boue.
Je recherchais seulement l'éclat de la lumière.
J'ai pensé alors aux icebergs. La glace devrait certainement me
procurer les nuances de blancs et de gris, semblables à celles des
nuages mais plus faciles à cerner, plus concrètes, moins fugitives.
C'est donc cette même recherche de ces "éclats" de lumière, de ces "
trop" de lumière, qui a guidé mon choix. Je savais bien sûr, au delà
de la simple envie "d'ailleurs", que le dépaysement et ce que je
trouverais effectivement sur le terrain allait influencer ma manière
de voir et "incarner" cette idée un peu idéale de la lumière.
N'ayant pas le pied marin, il me fallait découvrir un endroit sur la
planète où je pourrais trouver un grand nombre d'icebergs sans pour
autant avoir à faire de longues journées de mer - pour lesquelles
mon organisme n'était décidément pas bâti - avant d'en croiser un
seul. Le Groenland et Ilulissat en particulier s'est vite imposé
comme étant un des lieux où les icebergs, innombrables, sont faciles
à approcher, même si cette approche comporte de réels dangers.
Effectivement au fond du fjord d'Ilulissat le glacier le plus
productif de l'hémisphère nord avance chaque jour de 40 mètres dans
l'océan sur un front de plusieurs kilomètres, produisant autant
d'icebergs colossaux. Un haut fond à l'embouchure de ce fjord
retient les icebergs les plus énormes et bloque l'accès de l'océan à
l'énorme masse de glace qui pousse depuis le fond du fjord jusqu'au
grand large.
J'étais à Ilulissat au mois de juin 1994. Le début de l'été. Là où
la glace fond, se brise, se disloque et occasionne le plus
d'accidents. Les Inuits n'appréhendent pas le danger comme nous
pouvons le faire. Le danger ne cause pas de peur, il est presqu'un
jeu. Dès que le temps le permettait (le vent d'ouest était un des
principaux ennemis ) je prenais la mer sur une petite embarcation
(de 4 à 5 mètres de longueur) avec un chasseur inuit. Pas de
possibilités de communication hormis les gestes. Nous naviguions
parmi les icebergs au gré des découvertes. Pas de nuit. Lumière 24
heures sur 24. Épuisement assuré si on ne se force pas à chercher
les sommeil. Difficile de trouver son rythme.
Quel est votre votre matériel et
quelles pellicules employez-vous ?
Actuellement je travaille avec une chambre technique
en bois Ebony RW 45 qui a remplacé mon excellente et fidèle (mais
défunte - émiettée par une chute en Ecosse) Wista field 45, sur
trépied, avec des optiques de 90mm (Nikon), 125mm (Fuji) et 210mm
(Nikon). Le 125mm étant mon optique de base.
Pour ce voyage au Groenland on aura compris que la chambre technique
et le trépied étaient exclus. J'ai donc fait les prises de vues avec
un Hasselblad munis de 2 dos 6 X 6 et de 3 optiques : 50mm, 80mm et
150mm à main levée. Posemètre Lunasix 3 et spotmètre Pentax digital.
C'était ma première expérience de photographie à main levée.
J'utilise toujours la technique du système des zones. Après avoir
passé de nombreuses années à mener les tests de toute nature que
celui-ci induit, j'en ai cependant réduit considérablement les
contraintes. Une mesure dans les basses lumières, une mesure dans
les hautes lumières. Et comme on dit dans ces cas là : je pose pour
les ombres et je développe pour les hautes lumières. Ajustant soit
l'un soit l'autre selon mes besoins.
Je me "contente" de toutes les lumières. Simplement je sais qu'elles
racontent des choses différentes. Le mystère, l'étrangeté par
exemple, pour les brouillards et la neige qui tombe, l'éclat pour le
plein soleil et les ciels très purs lavés par le vent.
Pellicule FP4+ 100 de Ilford et Tmax 400 de Kodak développée chacune
dans leur révélateur respectif soit l'ID11 pour la FP4 + et le
révélateur Tmax pour l'émulsion Kodak.
(J'aurais utilisé aujourd'hui la Delta 100 et 400 ISO d'Ilford
développées toutes deux dans l'X-Tol de Kodak).
Les tirages définitifs sont de petite taille - soit 16 x 16
centimètres - et ont été réalisés sur Agfa Multicontrast Classic
baryté avec un agrandisseur à lumière froide.
Je fais les tirages aujourd'hui sur Bergger Prestige tons chauds
développé dans le Neutol WA. dernière modification de cet article
: 2001
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