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l'auteur
Merci
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Marc GOURMELON : Αἰαία (8)
Vous faites de la
photographie en déambulation. Pensez-vous qu’il
serait possible de traiter le même sujet du
rapport au réel avec une photographie fabriquée,
une photographie de studio ?
Personnes, paysages et objets
importent finalement moins que l’évocation de la
perception que vous en avez, que leur capacité à
avoir l’air réel devant vous ?
Pour préciser :
auriez-vous même un doute sur l’existence des
choses ou est-ce un doute « limité » sur le sens
qu’elles peuvent avoir
Chaque photographie est-elle
l’occasion de vous interroger sur ce qui a l’air
d’exister, et pourquoi cela a l’air d’exister ?
La photographie est pour moi
l’occasion d’un faire, c’est ce qui
prime. Ce faire étant quasiment réflexe ou
instinctif. La réflexion vient dans
l’après-coup, les linéaments idéels sont
pourtant là dès le départ mais ce sont des
impressions, une æsthesis (5)
à la lisière de l’intellect. On s’interroge
beaucoup aujourd’hui, c’est à la mode et j’y
vois beaucoup l’occasion de verbiages. Je ne
peux que citer Wittgenstein (9) : « La philosophie
est un combat contre l’ensorcellement de notre
entendement par les ressources de notre
langage. » La photographie est, je crois, une
manière de penser le monde sans le verbe.
Paradoxalement, une image photographique, de
par son caractère elliptique convoque la
parole.
Avez-vous le sentiment que ce
rapport au monde vient de très loin, de
l’enfance ? C’était déjà en place ?
Circé, fille d’Hélios — on
peut rappeler que le premier nom de la
photographie fut l’héliographie —
est une
magicienne et je me souviens que image est
l’anagramme de magie. Ulysse débarque à
Αἰαία, île où réside la déesse au chant X de l’Odyssée,
milieu du récit homérique. Chacun connaît
l’histoire. Cet épisode est pour moi une
allégorie de la photographie : métamorphose des
compagnons d’Ulysse et restitution ensuite de
leur apparence humaine, grâce à la moly, (μῶλυ)
antidote fourni par Hermès. Toute photographie
est une traduction et transformation du réel, en
particulier dans l’étape intermédiaire du
négatif. Restitution ensuite du visible, un
visible pourtant différent de l’origine tout
comme chez Circé : « Ils redevinrent des mortels,
plus jeunes qu’ils n’étaient, beaucoup plus beaux
encore et plus grands d’apparence. » vers 395 et
396, traduction de Philippe Jaccottet (7).
©Marc Gourmelon - Tunnel
Notes(1) Exposition Marc Gourmelon, Galerie Odile Oms, 12 Rue Commerce 66400 Ceret, du 30 Novembre à fin février 2019, Tél. galerie : 04 68 87 38 30 (2) Voir sur
galerie-photo en (3) Kairos : chez les Grecs, le dieu Kairos est un petit dieu ailé de l'opportunité, qu'il faut saisir quand il passe. Par extension, le Kairos est la profondeur que les circonstances peuvent donner à un instant : cet instant peut devenir celui où tout bascule. Voir Wikipedia. (note galerie-photo) (4)
Clément Rosset : Schopenhauer, philosophe de
l'absurde (5) aesthesis :
sensation, prise de conscience non-élaborée
élémentaire de stimulation, "une sensation de
contact". D'après (6) épiphanie : manifestation de l'évidence, apparition (note galerie-photo) (7) L'Odyssée, traduction Philippe Jaccottet, Février 2017, Poches Littérature, La Découverte, 2017. ISBN 2707194395 (8) Eéa, lieu où
se trouve la résidence de Circé dans la
mythologie. (9) Ludwig Wittgenstein - Tractacus Logico Philosophicus , Ed. Tel, Gallimard 2001, ISBN 2070758648
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dernière modification de cet article : 2019
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