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l'auteur
Marc Genevrier
Ingénieur de formation
puis traducteur technique,
aujourd'hui luthier à Nîmes.
Passionné de grand format
et familier du numérique
www.violon-et-luth.fr
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Retrouvez les photographies
de Marc Genevrier
à la vente sur
www.galerie-photo.com/galerie-20x25/
Certaines de
ces photographies
ont été publiées
dans le livre
Fontfroides(s), 12 Regards
Editions Gaud (2006)
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Marc Genevrier :
Photographies en Polaroid 20x25
Nuit de Nîmes (3) © Marc Genevrier
Galerie-Photo : Marc, vous faites de la photographe d'architecture,
de la photographe de nuit ou de la photographie religieuse ?
Marc Genevrier : En fin de compte, le sujet n’a pas tant
d’importance dans ce que je montre, c’est plutôt la lumière et, dans
cette série, l’ombre qui m’intéressent. Par conséquent, je ne suis
pas un photographe d’architecture, j’ai d’ailleurs fait des
Polaroids dans mon jardin, ou aux bordures des villes, plutôt dans
la tendance actuelle des « terrains vagues ». Mais surtout, je ne
cherche pas à analyser l’architecture, ni même à la décrire
vraiment. C’est pareil pour la nuit, elle n’est qu’un prétexte, un
contexte, mais l’iconographie traditionnelle de la nuit, plus ou
moins romantique, n’est pas mon propos. Du reste, la série sur
l’abbaye de Fontfroide a été réalisée en plein jour, mais dans
l’obscurité de l’église. C’est vraiment le travail sur l’ombre qui
m’importe dans ces Polaroids.
Reste la question de la photographie
religieuse. Je dois reconnaître qu’il y a du vrai, mais ce n’est pas
une intention délibérée au départ, c’est juste venu comme ça. À ce
titre, ce n’est donc pas à moi de dire si je suis un photographe
religieux. Surtout que, pour être franc, l’expression me gêne un peu
car j’y devine presque une sorte de militantisme. Or, si la question
d’un art religieux (ou spirituel) contemporain m’intéresse, je suis
loin d’une grenouille de bénitier et ce sont plutôt les doutes qui
m’habitent. Peut-être que ma seule force, et celle de mes images de
ce point de vue, c’est d’accepter ces doutes, de ne pas rejeter
d’emblée l’hypothèse du divin.
Techniquement, est-ce
que ces polaroids de nuit sont difficiles à faire ?
Et bien, ce sont des films conçus
avant tout pour le studio, donc c’est un peu délicat dès qu’on sort
de conditions d’éclairage très maîtrisées. Le problème le plus
évident est la réciprocité : on a déjà des temps de pose assez longs
la nuit, mais ça devient vraiment délicat quand il faut encore
corriger de quatre ou cinq diaphs. Avec un peu d’habitude, on s’en
sort cependant : comme pour tous les films, quand on sait comment il
réagit, on arrive à le faire « parler ».
Ce qui est plus contraignant en fait,
c’est qu’on n'a pratiquement aucun moyen de maîtriser le contraste
au développement. En noir et blanc classique, on sait conjuguer les
conditions de prise de vue et de développement pour maîtriser des
contrastes extrêmes, il suffit de développer plus brièvement pour ne
pas griller les hautes lumières. Ce n’est pas le cas ici. On peut
certes jouer sur la température et le temps de développement, mais
l’effet sur l’image est très faible. En somme, le contraste du sujet
« rentre » dans les capacités du film ou bien il ne rentre pas, on
est complètement démuni, d’autant que le rendu est proche de celui
d’une ekta. La latitude intrinsèque est donc assez faible, beaucoup
plus qu’avec un film noir et blanc classique. Ensuite, on peut
rappeler également que l’effet de non-réciprocité augmente aussi le
contraste de l’image. On a donc vraiment beaucoup de chances de
griller à la fois les ombres et les hautes lumières. La seule
solution réside dans une pré-exposition, que je pratique parfois,
mais qui est difficile à doser en fonction de chaque sujet pour ne
pas perdre le caractère très particulier des basses lumières du
Pola. En fin de compte, cela veut dire que très peu de sujets et
d’éclairages vont vraiment convenir à ce procédé.
Mais faisons contre mauvaise fortune
bon cœur : c’est aussi l’attrait de ce travail, ce qui le rend
éminemment photographique en ce sens que ce sont la lumière et ses
contraintes qui dictent tout. Voilà pourquoi je dis que le sujet est
relativement secondaire.
Nuit de Nîmes (3) © Marc Genevrier
Quel matériel
utilisez-vous ?
Une chambre 20x25 récente et quelques
optiques de qualité plutôt moyenne. Certaines sont assez anciennes
et n’ont pas d’obturateur, mais ce n’est pas un choix de ma part,
juste une question de finances. En ville, je suis obligé de rester
sur le trottoir – et les trottoirs de mon quartier sont souvent
étroits – or la technique du Polaroid m’interdit de recadrer après
coup. Il me faut donc une gamme de focales assez nombreuses et assez
proches les unes des autres pour pouvoir ajuster ma composition.
Concrètement, j’utilise essentiellement des focales de 240, 300 et
375 mm. Rien d’extrême là-dedans : ce sont finalement juste des
variantes autour de la focale normale.
Après, pour le Polaroid proprement
dit, il faut naturellement une développeuse, qui n’est rien d’autre
que deux rouleaux à travers lesquels on fait passer le négatif et le
positif.
Pourquoi utiliser
particulièrement ce procédé polaroid ?
Au départ, c’est surtout par paresse
et par contingence. J’ai longtemps photographié en noir et blanc,
puis je me suis consacré à la couleur pendant quelques années. Et
puis j’ai eu envie de revenir au noir et blanc et, surtout,
d’oublier pour un moment les problèmes d’ordinateurs et de scanners.
Mais j’ai des enfants en bas âge et la perspective de devoir trouver
encore une étagère assez haute pour y ranger la chimie m’a dissuadé
d’installer un labo à la maison !
Je me suis donc intéressé au Polaroid
et j’ai immédiatement été séduit par son rendu très particulier,
l’impression d’avoir devant soi une matière malléable, j’ai envie de
dire hésitante. L’image ne s’affirme pas de façon péremptoire, elle
murmure. On pourrait dire aussi : on a parfois l’impression
d’assister à l’apparition de quelque chose qui serait en train de
« monter » à travers le papier – si on est plus pessimiste,
peut-être y verra-t-on au contraire une disparition, un
enfouissement, un monde d’après l’homme. Je n’ai pas envie de
trancher… Dans tous les cas, je crois que la perception qu’on a de
l’image est intimement liée au caractère très particulier du
Polaroid. J’ai d’ailleurs fait des essais avec des films classiques,
mais on ne retrouve pas la même chose, on a trop de résolution
finalement, trop de « fermeté » dans la matière qui donne
l’impression d’une fermeté du propos, d’une certitude. Et ça, ça ne
me convient pas, ce n’est pas aussi ouvert au doute, ça n’a pas la
fragilité que j’aime tant dans le Polaroid. Je crois d’ailleurs
qu’on ne s’est pas assez intéressé à la fragilité de l’image
photographique. En général, les photographes essaient plutôt de s’en
affranchir, sans doute pour se croire eux-mêmes forts.
Eglise de Fontfroide (3) © Marc Genevrier
Le procédé Polaroid
s'éteint doucement. Ces photographies vont devenir plus
exceptionnelles encore parce que plus rares. De quel côté va porter
votre photographie à présent ?
Pour être franc, je crois bien que mon
épisode Polaroid s’éteint doucement, lui aussi. Dès le départ,
l’idée était de combiner noir et blanc et couleur, de sonder les
forces propres de chacun et de les associer. Mon travail à
Fontfroide s’inscrit directement dans cette recherche. Je suis en
train de préparer des petits recueils de ces deux projets, Nuit et
Fontfroide, l’un est entièrement en Polaroid noir et blanc, l’autre
mélange noir et blanc et couleur d’une façon qui prolonge le
premier, je crois. Mon envie, actuellement, serait d’ajouter un
troisième volet entièrement en couleur. Les images restent à faire,
mais ce pourrait bien être des images de végétaux, j’ai déjà une
série de natures mortes botaniques en cours depuis plusieurs années
qui va peut-être me donner une base de départ. Ce sont parfois de
simples brins d’herbe... L’idée est de créer un cheminement de
l’ombre à la lumière, du noir à la couleur, tout en conservant une
unité de regard, une cohérence. D’ailleurs, certaines de ces images
de végétaux ont été exposées dans une église de Lyon, il y a quelque
temps déjà. On en revient finalement à votre première question,
non ?...
dernière modification de cet article
: 2006
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