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l'auteur
Yann Datessen
né le 30 Avril
1977,
vit et travaille à Paris
www.yanndatessen.fr
Tel : 06 23 20 17 62
Mail : oscitere@gmail.com
2013 :
Fondateur / Rédacteur en chef, web-revue "Cleptafire", France.
Depuis 2012 : Chargé de cours sur la photographie à l'université
Paris-La Sorbonne. |
Texte initialement paru dans la web-revue "Cleptafire"
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Lettre à
Hippolyte Bayard
par Yann Datessen
Paris, 12 Avril 1838.
C’est la nuit improbable dont je me souviens, la nuit la plus noire
de tous les âges, c’est ce que je vous écris là, rougissant de
n’omettre aucun détail, de ne masquer aucune étrangeté. Plus que de
vous présenter mes excuses pour n’avoir réussi à honorer un
rendez-vous, j’ai voulu partager avec un ami, le seul véritable que
j’ai, cette nuit de douleur terrible, cette nuit dont je ne me
remettrai sans doute jamais.
« L’autre nuit donc, la plus noire de tous les âges, enfin seul dans
la voiture qui avait conduit six gentilshommes dans les faubourgs,
mes pensées s’arrangeaient de ce qu’elles n’étaient plus plombées
par Paris, à vrai dire je songeais déjà un peu à vous. Alors que
nous nous engagions entre les premiers bois de la campagne picarde,
le sommeil devait frapper aux carreaux de ma conscience, conscience
qui perdue sur le velours bleu d’une banquette fanée, s’arrangeait
de la berceuse des sabots et du vent qui marouflait ses airs aux
flancs de l’attelage. A vouloir estimer la vitesse à laquelle le
paysage nocturne s’éloignait, je regardai sur ma gauche par
l’encadrement de la fenêtre : nous longions un grand fleuve
semblait-il, car sinon plaqués sur sa surface quelques aspects du
ciel, au dehors, on y voyait rien. Mon corps lourd de fatigue
tanguait au gré des chahuts de la route ; parfois, à cause d’un plus
gros caillou, il décollait dangereusement et flirtait avec le bord
d’où je me reposais. Le brave qui ordonnait aux chevaux avait pour
instruction de rallier votre demeure avant l’aube.
Je ne sais plus trop avoir sympathisé avec le sommeil ; avais-je
ployé sous le fessier d’Hypnos? Ou entre deux baisers de paupières
convolé en justes noces au bras de sa fille ? Un moment me
sembla-t-il j’eus bien complètement sombré, et ce malgré la route
qui nous réservait un accueil de plus en plus local. Mais l’habitude
ces temps-ci de voyager aux confins du monde civilisé m’ont
définitivement acclimaté aux conditions les plus crasses et comme
vous le savez je me contente de très peu.
Finalement, tout ce dont je me souviens, c’est la roue qui nous
lâcha, de l’attraction qui je le confirme est universelle et des
jurons de mon hôte qui stoppait ses bêtes. Je n’eus le temps de
remettre mes souliers et c’est pieds nus que j’ouvris la porte de la
diligence qui venait de dégringoler, le cœur encore tout ému des
efforts qu’il ne demandait plus pour aujourd’hui. Le cocher,
lanterne à bout de bras, était déjà face au problème et me pria de
descendre pour constater ; vers lui, dans l’extrême noir, j’avançai
à tâtons. C’était grave, pas moyen de réparer, en tous cas pas ici
au milieu de nulle part, pas en pleine nuit, sans lumière ni autre
aide que mes maigres bras. Dans le silence incompétent que
j’offrais, mon compagnon d’infortune s’éloigna un instant, pour
calmer des chevaux rendus nerveux par l’arrêt soudain.
Derrière moi, alors que j’inspectais à la lueur d’une bougie
l’essieu orphelin de sa roue, j’eus l’impression détestable d’un
mouvement ample et reptilien, quelque-chose glissait dans mon dos.
C’était le fleuve aperçu avant l’accident. Me retournant, il me
surprit, j’en fus presque à sursauter. Il coulait à moins de trois
mètres de nous. Sa berge, d’après ce que l’on comprenait à l’oreille
des gargouillis de ses végétations détrempées, digérait quelque
récente averse. Il y avait quelque-chose d’anormal dans la nuit,
quelque-chose d’étrange sur cette berge qui claironnait ces fanfares
lugubres, ces plissements de bouches noires. Je restai un instant
fasciné par le néant. La symphonie qui tintait dans les quatre coins
de l’immensité réduits par la nuit, on eut dit à l’entendre,
qu’indépendamment du sens pris par le fleuve elle remontait à
contre-courant de lui, jusqu’à la bouche du déversoir méphitique qui
se creusait là, juste devant moi. J’ai de ces bavardages, hésité un
instant avant de m’approcher.
Le fossé qui séparait le chemin de terre de l’apparition fluviale et
au bord duquel je m’aventurai avec respect, n’était pas bien large.
Sauf que percuté par le tintamarre du noir dont il montait la
garde, il me sembla d’abord infranchissable. Le voiturier entre
temps revenu avec quelques outils, constatant ma position
profondément hypnotique n’eut d’autre solution que de m’écarter pour
disposer librement de ses gestes. Le pas que je fis alors, le
dernier dont je puis dire qu’il était bien de moi, m’amenait
par-delà la faible lueur de ma vie : il me fallait le franchir ce
petit fossé, même par le soir total, même pieds nus, et alors qu’on
réclamait mon aide à d’autres tâches, il le fallait oui… Cela fut
facile, presque anodin.
De l’autre côté de la chaussée, après un modeste saut, dans les
premiers décors de la nuit sauvage, je sentis l’herbe et la boue,
retrouvai ces quelques repères élémentaires de mon enfance passée
sans sabots, et très fier de ma bravade, flanqué de l’allure d’un
conquérant sur sa colline, je jaugeai en contrebas l’étendue
imperceptible du fleuve. Le sol en pente douce se dérobait
mollement, je le devinai, mais rien qui m’inquiétât. Je laissai
faire. Puis, parce que du bout de mes orteils je jugeai finalement
mal la consistance de ces terres gorgées d’eau, l’explorateur
triomphant que je fus devint soudain un naufragé. Cette fois, tout
un pan du monticule s’abîma et mes chevilles prises dans la glaise
n’y purent pas faire machine arrière. Pour rester sur la crête,
j’accélérai ma lutte, par de grands gestes je tentai d’agripper le
vide. Rien n’y fit. Haletant à en perdre l’âme, le piège se referma.
Croyez-le ou non mais le vent tomba alors même qu’à cause de ma
maladresse je dérapai définitivement sur la grève et ne pus éviter de
mouiller mes pieds aux premières eaux. La température de ce que
j’effleurai était sépulcrale. Certainement j’avais dérangé quelque-chose car à mon intrusion l’espace entier se tut ; le néant retenait
comme son souffle. Au silence constaté je n’en menai pas large.
Devant moi la portion aplatie du noir n’affichait pas grand-chose :
quelques éclats bleus ou violets, des scintillements en échos venus
de quelque étoile, rien où l’on pût s’assurer du monde réel. Aucune
ligne n’avais pour repère. Le miroir bougeait certes, mais
c’était à la pression de l’air sur la peau qu’on le devinait.
J’écartai les bras guidé par l’instinct, pour l’équilibre, le
funambule que je fus s’apprêtait à marcher sur une pellicule d’eau,
tentant peut-être le clou de son numéro, n’attendant qu’un roulement
du tambour dans les branches.
J’avais l’horizon du monde juste au dessus des chevilles mon ami, la
matière sombre des milliers de nuits qui avaient précédé celle-là
condensée ici à cette heure, un maelstrom de désespoir pour moi
seul. Les pieds au frais, j’étais ce qui se faisait de plus grand
dans le coin : ce qui devait être des têtards ou des alevins cachés
grouillèrent rapidement en orbite autour de mes orteils, se
réchauffant à mes ongles délavés. Je voulus revenir en direction de
mon refuge qui derrière la nuit n’existait plus qu’à coups de
maillet sur un essieu déserté. Or plus j’en eus la volonté plus le
noir m’attira; c’était un puits dans lequel j’allais tomber, une
force de mille bras qui m’invitait au bain, des sirènes aux ventres
ouverts dans lesquels j’allais renaître, dans lesquels j’allais
mourir ma vie. Connaissez-vous ce dérèglement pervers de l’âme, cet
élan puissant du désir dont rien ni personne ne peut dire d’où il
vient, ce qu’il est ? Connaissez-vous le parfum des peaux de femmes
qui rendent fiévreux ? Qui pousserait à tuer ce que l’on aime ? A
poignarder des chairs jeunes ? Connaissez-vous les quelques
promesses invisibles qui animent les déments ? Quand bien même vous
le pourriez ce serait affadir tout ce que j’ai ressenti. Je fus pris
de tous les vertiges, illuminé par toutes les ombres. Rien en moi ne
résista. Quand mon corps faisait un pas vers la diligence, mon
esprit malade m’en réclamait deux en sens inverse. A vrai dire les
deux seigneurs de mon être tergiversaient encore que j’avais déjà de
l’eau jusqu’aux genoux… Je m’éloignai, malgré moi.
L’eau me monta aux cuisses. Si je ne contrôlais plus mon personnage,
je ressentais pourtant les méfaits de sa crise… Aux frissons
endoloris qui me parcouraient l’échine, dans l’aller-retour qu’ils
faisaient entre mes jambes et la base de mes premières vertèbres,
certains parurent si violents qu’ils eussent pu me démettre les os.
Tout poils ou cheveux auraient quitté ma chair si je n’avais cessé
de respirer pour les retenir. On eut dit mes graisses se déchirer
pour se dissoudre aux acides terreurs qui les voulaient. Au bassin
parvenues les attaques du froid, l’horizon ressenti me coupait en
deux, oh que je me perdais sans savoir pourquoi, ma guillotine
était une lame d'eau, lente et acérée. Je rayonnais de douleur. Les
chaleurs internes qui livraient leurs derniers bastions me
quittèrent à l’état solide, trop grosses pour le filtre de la peau
: je hurlais miséricorde à mes orifices qui accouchaient de la
mort. Il me fallut attendre au ventre puis au torse les arrivées de
ces glissières tortures pour qu’un demi-sommeil l’emportât sur la
souffrance. La paix venait croyais-je. Bientôt je perdais pied et la
sinistre qui me dévorait d’en-dessous, patiemment, vaguelette après
vaguelette, m’enlèverait les attributs du corps et les audaces de
l’esprit.
Lorsque la gravité me lâcha, que mon corps complètement engourdi
oublia de résister, je décollai dans l’oblique paisible des forces
aquatiques. L’obscurité fut alors de tous mes sens, enserré dans
l’étreinte puissante du fleuve je n’ai plus rien senti, plus rien,
enfin libre de descendre là où l’on m’attendait. De ce destin qui
n’était plus le mien, tout entier dans le jus funèbre de l’autre
nuit, les sensations suppléèrent les pensées, toutes les pensées,
elles les exterminèrent même. Férocement. Mes souvenirs suppliciés
par le froid ne délivraient plus leur appel élémentaire à survivre,
tout n’était qu’immédiat, tout n’était qu’odeur, son et pression sur
ma carcasse. Les images qui se formaient au fond de ma rétine
restaient à l’envers, mon cerveau incapable de les redresser ; aussi
je voguais dans le houleux du ciel, avec des lucioles en écaille,
entre le récif blanc d’une ouate perchée, j’accompagnai un temps des
oiseaux à branchies, des monstres indifférents qui passaient là leur
chemin.
Au gré des clappements et autres mixtions mal compris par une
oreille devenue étrangère, j’hallucinais des musiques d’eau, des
complaintes qui comme l’aède guidaient l’agonie d’un mendiant à
travers les flots. Parfois je plongeais sous la surface, entrant en
pays sonore de quelque béhémot, assommé par les basses extravagantes
de leurs voix, celles peut-être de gueules édentées, des vibrations
si puissantes qu’elles allaient jusqu’à contrarier les battements de
mon cœur. J’en bus des tasses et des tasses, à m’en rendre aviné de
démence, la flasque empoisonnée du courant pénétrait au plus loin
dans mes poumons. J’ai toussé des bulles si vous saviez, ma vie dans
chacune d’elle qui s’envolait. Et je continuais à descendre,
m’endormant à reculons, ne sachant plus très bien du dessus ou
du dessous sur lequel j’abrutissais encore quelques hypothèses. Les
rives se rejoignaient dans mes délires, je mourrai mon ami.
Puis, alors qu’il n’y avait plus rien à espérer, quelque-chose
d’anodin me rattrapait la raison, voyez-y un miracle, un geste du
Tout-Puissant qui à cette heure n’eut plus que cela à faire : le
croassement d’un clocher au loin me « réveilla ». Quatre coups. Au
premier je débarrassai enfin le brouillard qui possédait ma vue de
ses volutes méchantes, c’était comme dessaouler de la mort
elle-même. Au second je vomis l’eau au creuset de ma gorge, ma
poitrine se remit à gonfler. A trois puis quatre, à nouveau mes bras
me répondirent et je les fis se débattre avec une telle force que
l’écume épaisse qui se formait autour de moi aurait rendu jaloux les
nuages blancs d’avant l’orage.
Je bramai enfin au secours dans le noir, tentai aussi une façon de
nager, puis une autre, sans succès, le courant était fort, trop
fort, et pour ne rien arranger, peu à peu, à nouveau conscient de
cette soupe des enfers, le froid se rappelait au bon souvenir de mes
nerfs ressuscités… Je pleurai. Je pleurai parce qu’à nouveau j’avais
mal, parce que j’avais peur, comme l’enfant otage d’un manège
incontrôlable, ce cauchemar n’avait-il donc pas de fin ?
C’est au plus terrible de la panique qu’un motif d’espoir embrasa le
gouffre dans lequel j’allais bientôt périr : une lumière étrange
s’agita sur la berge en aval. Pas plus grande qu’un papillon
phosphorescent, je la vis tournoyer autour d’axes de ce qui devaient
être des roseaux. Par intermittences elle disparut plus longtemps
derrière un décor à contre-jour que je ne pouvais m’empêcher
d’identifier comme une silhouette humaine. La lumière « mit les
pieds » dans l’eau, hésita, revint vers la terre ferme avant de
véritablement glisser sur le liquide. Oui peut-être : on venait me
sauver. Je m’approchai rapidement. Ces rayons jaunes semblaient
vouloir converger avec ma trajectoire. Allaient-ils réussir à
m’atteindre à temps ? J’allais vite le savoir…
Ma dernière chance me croisait dans un éclat de fin du monde :
parvenu à hauteur, je fus d’abord ébloui, violemment : mes pupilles
trop longtemps dans le néant prirent le temps avant de m’informer.
Quelque-chose me retint par le col, stoppant ma course. A grand
peine, je reconnus derrière le soleil qui se penchait une torche, une
torche tenue par un bras. Du haut de la coque en bois d’où elle
naissait l’ombre me sembla colossale, je crus à une divinité de la
nuit, sur sa barque magique un archange éteint descendu pour
m’extraire de la lie, Charon qui passait par là… Une voix s’adressa
soudain à moi, je compris que ce qui me repêchait n’avait rien de
céleste. Parce que la flamme battue par le remue-ménage découvrait
un visage, je vis qui était mon sauveur. C’était une femme. Une
femme rousse aux cheveux longs, des mèches qui faisaient comme des
tentacules vers moi. Dans le tumulte, deux bras blancs, délicats,
miraculeux, constellés de taches de beauté essayèrent alors de me
hisser au sec. La torche qui avait été posée sur le plat-bord se
pourléchait des tensions de nos efforts : je n’étais pas encore tiré
d’affaire, il fallait lutter pour ne pas que je passe sous
l’embarcation. La femme rousse me parlait, demandait de l’aide aux
environs, mais le silence qui régnait ne s’en émouvait pas. Je la
regardais. Je la regardais cette apparition, cette apparition qui
serrait les dents, ses dents aussi qui étaient blanches. Elle me
supplia de persévérer, ses bras tremblaient, le corps inerte que
j’habitais, lesté par des vêtements dégueulant du plomb, ne
répondait presque plus.
Lorsque la jeune femme décida de me rejoindre dans l’eau,
certainement pour mieux assurer sa prise, je vis qu’elle était nue.
Je ne m’en étonnai pas. Sa peau si claire sectionna d’abord
l’obscurité du ciel, ce fut comme une méduse qui s’était trompé
d’éther, une comète anadyomène qui, au fur et à mesure qu’elle
s’enfonçait dans l’élément où je pleurais, zébra les profondeurs
d’un courroux surnaturel. Mon astre évita de peu que je ne fusse
englouti par le courant qui me tirait obstinément par les pieds :
pour maintenant mieux m’emporter dans son sauvetage, la peau blanche
se blottit contre moi. Son enveloppe était chaude. Je sentis le
récif de ses seins aux creux de mes omoplates, ses avant-bras
passèrent dans la serrure glacée de mes aisselles et ses jambes dont
je devinais les tendons saillants enserrèrent mon bassin. Elle
continuait à me parler. Son accent inconnu était la plus belle chose
que j’avais jamais entendu. Ses mots ? Je ne m’en souviens plus : je
ne les écoutais pas à vrai dire. Parfois le bout de ses lèvres
frôlait mon oreille bleue. Le calme revenait. D’un seul de ses
membres libres elle fit des gestes lents qui nous donnèrent un
premier élan, nous fendions bientôt la matière dans laquelle j’avais
laissé ma raison, nous entraînant tout deux dans une dérive
paisible, un sillon élégant derrière nos membres joints. Autour de
mon cou tricotèrent quelques-unes des mèches rousses aperçues à
sa rencontre, désormais humides, l’une d’elles dévala jusqu’à la
commissure de ma bouche et y resta. Mon corps sur le dos, enveloppé
dans le filet du sien, avait cette allure de l’insecte endormi dans
la toile d’araignée.
Pendant que je m’abandonnais aux réconforts de mon miracle et alors
que nous nous écartions des lueurs qui brûlaient leur soûl sur le
rebord d’un navire abandonné, je repris un peu mes esprits. Pourquoi
l’avais-je trouvée nue cette femme-araignée ? Que faisait-elle là,
dans la nuit, au milieu de nulle-part ? Nous allions toucher au but
de la berge lorsque les premiers mots que je parvins à prononcer lui
demandaient ces réponses. Elle ne m’en livrerait aucune. A terre, en
sécurité entre ses jambes, je me retournai doucement, endolori par
des muscles tétanisés. Assise sur la vase qui avait sali ses flancs,
elle me sourit. Fusillé par le dessin bouleversant de sa bouche, je
ravisai des mots inutiles. Voyant mon émoi, elle se leva, souffla un
rire de femme rousse et me caressa la joue. Elle disparut dans la
nuit ; la torche de son embarcation tomba à l’eau. Je m’évanouis.
C’est la nuit improbable dont je me souviens mon ami, la nuit la
plus noire de tous les âges, la plus lumineuse aussi, c’est ce que
je vous écris là, rougissant de n’omettre aucun détail, de ne
masquer aucune étrangeté. Plus que de vous présenter mes excuses,
j’ai voulu partager avec un ami, le seul véritable que j’ai, cette
nuit de douleur terrible, cette nuit dont je ne me remettrai sans
doute jamais : parce que j’y ai perdu l’esprit assurément, mais
aussi parce que j’y ai perdu les yeux de cette femme pour toujours,
ce qui est bien pire.
Je crois aujourd’hui que j’ai bu les eaux du Léthé.
Fidèlement vôtre.
Texte
initialement paru dans la web-revue "Cleptafire"
dernière
modification de cet article : 2018
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