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 l'auteur

Michele Vacchiano est un photographe italien parlant très bien le Français. Il organise périodiquement des randonnées photographiques dans le piémont italien.
Sa passion est la photographie de montagne.
Pour le contacter :
info@michelevacchiano.com 
www.michelevacchiano.com 

 

 

 

 

 

Le grand format en montagne :
expériences et conseils d'un photographe des Alpes

Conseil n°1 : éviter le poids !

Je suis réellement tombé amoureux du grand format après avoir lu les livres d’Ansel Adams. Jusque là j’avais utilisé le moyen format pour travailler en haute montagne, mais la qualité du format supérieur m’attirait. Il me fallait un appareil portable et léger que je pusse transporter dans mon sac. Un de mes amis, qui achète et vends des chambres d’occasion, me procura une vieille Graflex Super Graphic équipée d’un objectif Optar 135 mm.

Après les premières expériences je m’aperçus qu’il me fallait une autre qualité optique. J’achetai d’abord un objectif Schneider Super-Angulon 90 mm f/8 puis un Schneider Apo-Symmar 180 mm f/5,6.

J’utilisais alors aussi bien le format 4x5" que le format 6x9 dans le dos Graflex pour roll-films. Pour utiliser ce dos il fallait enlever le verre de visée, ce qui est gênant lorsqu’on travaille sur le terrain.

Travailler avec la Graflex n’était pas si satisfaisant que cela : elle était robuste et bien construite, "all American made", mais ses mouvements étaient limités. Elle avait tous les mouvements sur la planchette avant mais aucun à l’arrière. La Graflex n’ayant jamais été importée en Europe il était également fort difficile de trouver les pièces de rechange et des accessoires. Du coup je ne pouvais pas utiliser le viseur télémetrique car je n’avais pas trouvé à acheter les cames de couplage à l’objectif, chose inconnue sur le marché européen. De plus, Graflex produisait seulement les cames de couplage pour les objectifs Optar ; avec mes Schneider la chose aurait mal marché. En somme, le viseur télémetrique devenait un poids inutile. Pire, les planchettes originales achetées aux Etats Unis étaient trop fines et se déformaient avec facilité, parce que les objectifs Schneider montés sur les obturateurs Copal étaient plus lourds que les Optar. Ainsi fus-je obligé de faire appel à un artisan qu’il me construise des planchettes porte-objectif un peu moins faibles.

A cette époque j’achetai aussi une Sinar F2, mais son poids ne me permettait pas de longues randonnées. Je l’utilisais surtout (et l’utilise encore) lorsque je peux rester aux alentours de ma voiture.

Il me fallait donc une chambre plus légère mais suffisamment robuste, avec des bascules et des décentrements qui fussent à même de satisfaire mes exigences artistiques. Je pense que la photographie grand format sous-entend un esprit de liberté totale et j’accepte mal les limites imposées par le moyen technique. Après avoir cherché un certain temps je découvrais la Wista DX, une petite chambre en cerisier plus légère mais plus solide que d’autres chambres en bois importées en Italie. Cette chambre pèse moins de deux kilos avec l’objectif 150 mm, mais une fois les mouvements bloqués, elle reste bloquée et ne bouge plus. J’équipai la Wista avec un Rodenstock Sironar 150 mm f/5,6, un Schneider Apo-Symmar 210 mm f/5,6 et un convertisseur de focale 150-300 fabriqué par Horseman: le seul convertisseur pour le grand format. Avec le convertisseur monté sur le Sironar je peux utiliser une focale de 300 millimètres avec un allongemet du soufflet réduit, qui me permet les prises de vue rapprochées.

Cinq châssis doubles Fidelity pèsent beaucoup dans le sac. Lorsque je travaille en haute montagne j’aime mieux utiliser un dos chargeur Polaroid 545 où j’introduis les film pré-chargés Fuji Quickload ou Kodak Readyload. Malheureusement le système Readyload cause pas mal de problèmes et l’assistance de Kodak Italie est très mauvaise: il est ainsi impossible d’obtenir le remplacement des boîtes défectueuses (il y en a beaucoup).

J’utilise aussi un châssis roll-films 6x9 à insertion, fabriqué par Cambo, qui me permet finalement de ne pas enlever le verre de visée. Lorsque je dois prendre un certain nombre de photos, le format 6x9 donne également une bonne qualité pour un coût plus modeste.

 


Le Cervin de Zermatt (Suisse).
L’utilisation d’une longue focale a rendu
à la montagne son air majestueux.
Wista DX avec châssis 4x5".
Objectif Rodenstock Sironar 150 mm f/5,6
avec convertisseur de focale
Horseman 150-300.

Second conseil : attention au vent !

En montagne une chambre en bois exige un trépied en bois, ce pour deux raisons :

  1. Il amortit les vibrations plus vite et plus efficacement qu’un trépied en métal;

  2. Il n’attire pas la foudre. Dans les Alpes les orages sont violents et imprévus et je ne veux pas porter un paratonnerre sur mon dos (c’est pour cela que je n’achèterai jamais un trépied en fibre de carbone: le matériel le plus conducteur du monde !).

J’ai ainsi acheté en Allemagne un trépied Berlebach qui permet de basculer la colonne centrale pour neutraliser les aspérités du sol. Grâce à cela ma chambre est toujours à niveau. Toutefois lorsque je grimpe sur le glacier, même le Berlebach (trois kilos tout compris) est trop lourd. Alors j’utilise comme trépied mon piolet, profondément plongé dans la neige. La tête du piolet présente un trou qui sert à accrocher le mousqueton. J’introduis dans ce trou une vis filetée à laquelle j’assure la chambre. J’obtiens ainsi un appui solide, même si le point de vue est peu élevé.

Sur les Alpes il vente presque toujours: lorsqu’il n’y a pas de vent, il neige ou il pleut. Le vent est un problème surtout si l’on travaille avec une chambre en bois avec le soufflet allongé, parce qu’il est impossible d’éviter les vibrations. Par conséquent il faut :

  1. Ne pas allonger les pattes du trépied et rester près du sol ;

  2. Chercher un endroit à l’abri ;

  3. Profiter des moments de calme entre un coup de vent et l’autre.

Il faut faire attention à ce que le drap noir ne soit pas emporté par le vent. S’il est fixé à la chambre il se conduit comme une voile et entraîne l’appareil à terre. Ainsi il est extrêmement dangereux de travailler au bord d’un à pic ! Pour ne pas non plus être forcé d’aller chercher les morceaux de sa chambre parmi les pierres du clapier, il est mieux d’alourdir le trépied : on peut enfoncer les pattes dans le sol, ou bien les bloquer avec des pierres tout autour, ou encore accrocher son sac à la colonne centrale pour abaisser le centre de gravité.

Les films ne doivent être sortis du sac qu’au moment de l’emploi. Une fois j’avais sorti deux films pré-chargés de mon sac et les avais posés sur une pierre tout près de moi. Pendant que je réglais la mise au point, la tête sous le drap noir, un coup de vent les avait entraîné dans le torrent !

En cas de tourmente il faut rentrer l’appareil dans le sac et le protéger soigneusement : les petits cristaux de neige gelés sont à même de pénétrer partout et de faire rouiller les pièces en métal.

Lorsqu’il fait du vent les fleurs et les feuilles bougent. A cause des temps de pose propres au grand format le problème peut être sans solution. On peut profiter de l’effet "bougé" ou bien choisir un autre sujet.

Puisque en montagne le sol n’est jamais plat, il est enfin important d’utiliser un niveau à bulle pour maintenir la chambre parallèle à la ligne d’horizon.

Troisième conseil : méfiez-vous du soleil

Lorsque le soleil brille la lumière est très forte. Les contrastes sont puissants et les détails dans l’ombre risquent de disparaître. Si l’on expose sur les lumières il faut donner aux ombres une partie très petite dans la photo, parce qu’elles seront illisibles.

Le soleil chauffe les pièces en métal, surtout les noires. La chaleur les dilate et peut en altérer les jeux: cela peut agir négativement par exemple sur la précision de l’obturateur. Il faut toujours tenir la chambre à l’ombre.

La lumière du jour peut empêcher le photographe d’analyser l’image sur le dépoli avec la précision voulue. Le pare-soleil pliable pour verre de visée (Graflex, Linhof, Toyo) est tout à fait inutile lorsque le soleil tape dessus. Dans ce cas il n’y a pas d’autre solution que le drap noir. Un bon drap noir ne doit pas faire passer la lumière, ne doit pas voltiger au vent et doit rester bien fermé autour du dos de la chambre. Le simple rectangle en tissu n’est pas l’idéal pour la montagne. J’ai trouvé un très bon drap noir fabriqué en Autriche par Lotus View Camera. En réalité c’est un tube fermé aux extrémités par deux élastiques coulissés. D’une côté il s’enveloppe autour du dos de la chambre, de l’autre… autour du photographe, qui entre dans le tube et en serre la coulisse ; ainsi l’obscurité totale est garantie. Ce drap est noir à l’intérieur et argenté à l’extérieur pour refléter non pas seulement la lumière mais aussi la chaleur. Mais il fait chaud quand même là dedans, et je l’ai déjà utilisé comme couverture de secours un jour de froid imprévu…

Les viseurs reflex binoculaires ou monoculaires sont efficaces et commodes (aussi parce qu’ils redressent l’image) mais ils sont encombrants. Pour ma part je n’aime pas travailler avec l’image redressée : en effet l’image renversée permet de laisser de côté les suggestions dues à la perception et à la connaissance du sujet en laissant apparaître l’image comme un ensemble abstrait de lignes, de formes et de couleurs sur lesquelles on peut travailler avec une précision géométrique. Il est ainsi plus facile d’éliminer les détails inutiles et d’améliorer la composition.

La seule difficulté pour moi est ce qu’à mon âge les yeux ne sont plus ceux de vingt ans. Pour regarder au loin j’ai besoin des lunettes, mais pour regarder de près il faut les ôter. Comme je d��������������������������������������������������teste les lier �� mon cou avec une ficelle parce que ça fait vieux… je les cherche sans arrêt…

Conseil n°4 : objectifs et point de vue

J’ai déjà dit que j’utilise sur la Wista un 150 mm, un 210 mm et le convertisseur Horseman. En effet j’utilise rarement les objectifs grand angle en montagne. Il s’agit seulement d’une question de style, de langage personnel. Le grand angle introduit beaucoup d’objets dans l’image et l’arrière plan est toujours éloigné. Les montagnes deviennent petites et peu importantes. J’aime mieux une prise de vue plus étroite et sélectionnée, qui me permet d’éliminer les détails inutiles et de concentrer l’attention sur le sujet. En outre, la compression de la perspective propre aux objectifs de longue focale approche l’arrière plan et donne à la montagne cet air majestueux et surplombant qui est intimement lié à l’image mentale que nous avons des Alpes. La plupart de mes photos 4x5" ont ainsi été prises avec la focale de 150 mm doublée par le convertisseur : cela correspond à un 85 mm dans le petit format.

Le problème de la perspective est très important. En montagne il est très facile d’obtenir des images plates et sans profondeur. La chaîne majestueuse que vous voyez devant vous et qui vous invite à prendre une photo deviendra insignifiante une fois traduite en image argentique. Un bon rapport entre le premier plan et l’arrière plan est seul capable de donner à l’image le sens de la troisième dimension. Je cherche à ce qu’il y ait toujours une pierre, un arbre, une crevasse, un ruisseau, une palissade qui sache conduire vers l’arrière plan le regard du spectateur.

La limite de la plupart des appareils portables est l’impossibilité d’utiliser les objectifs de longue focale à cause de l’extension réduite du soufflet. En tous cas, même si l’on utilise des chambres telles que les Lotus ou les Wisner, dont le soufflet dépasse les 400 mm, il y a des limites réelles à l’utilisation des focales les plus longues, concernant surtout l’extension du soufflet (même s’il s’agit de téléobjectifs) à cause de la stabilité du système. Si l’on veut bien se représenter qu’en format 4x5" - 480 mm équivalent à 135 mm dans le petit format, on comprend que le grand format n’est pas fait pour la photographie des sujets lointains. J’ai essayé quand même de photographier des bouquetins, qui sont assez confiants dans le Parc National du Grand Paradis, avec le 150 mm doublé par le convertisseur en 4x5" et en 6x9 (cela équivaut à un 135 mm sur le petit format). La chose n’est pas évidente. Il faut attendre que les bouquetins s’assoient pour ruminer, vus les temps de pose imposés par le convertisseur.

Un mot sur les mouvements...

Les bascules et les décentrements caractérisent le grand format d’une façon unique. En montagne j’utilise surtout le décentrement vertical et la bascule de la planchette antérieure.

Le décentrement vertical me permet de corriger la perspective lorsque dans la scène il y a des arbres ou une paroi rocheuse.

La bascule du corps avant vers le bas est très importante pour obtenir la netteté du premier plan aussi bien que de l’arrière plan. Même si la Wista n’a pas l’étendue de mouvements propre à une chambre de studio, les degrés de bascule sont suffisants pour un emploi en plein air.

Et deux sur les amis...

Prendre une photo en grand format demande au moins une dizaine de minutes, si l’on veut faire les choses comme il faut. Quand je vais en montagne tout seul il n’y a pas de problème. Avec mon fils aussi je travaille fort bien: il aime la photographie et en connait les procédés; de plus, en montagne il n’est jamais pressé (et surtout il se garde bien de presser son père). Mais lorsqu’il y a des amis, l’affaire se complique. Encore plus s’il y a une amie: les jeunes femmes n’aiment pas la concurrence des chambres optiques ! Ainsi l’on peut :

  1. Aller en montagne tout seul, mais c’est une chose ennuyeuse et triste ;

  2. Aller avec les ami(e)s, mais s’attendre à des grognements et des reproches (ou pis, s’il s’agit d’une femme);

  3. Epouser sa modèle préférée. Comme ça

  1. On ne va plus en montagne tout seul;

  2. On jouit de la compagnie d’une jeune femme charmante et passionnée;

  3. Vu qu’elle est habituée à poser devant une chambre, elle sera bienveillante envers votre lenteur. Et pendant que vous vous affairez autour de votre appareil, elle profitera de la halte pour prendre son bain de soleil.

Selon mon expérience la dernière solution est la meilleure.

 


Michele Vacchiano avec sa Wista DX
et le trépied Berlebach dont il parle
dans cet article
(photo : Claudia Savant Levet)

 

dernière modification de cet article : 2001

 

 

 

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