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l'auteur

Henri Peyre
Né en 1959
photographe
Beaux-Arts de Paris en peinture
webmaster de galerie-photo
ancien professeur de photographie
à l'Ecole des Beaux-Arts
de Nîmes

www.photographie-peinture.com
organise des stages photo
www.stage-photo.info


 

    

Quelques réflexions
sur l
e cadrage
en photographie

par Henri Peyre

Introduction

L'été et les vacances sont toujours l'occasion de rêvasser. La productivité qu'exige de nous l'accomplissement de la vie ordinaire se relâche et l'on sent monter en soi un nouvel ordre des choses, probablement l'ordre normal, que l'urgence ordinaire avait masqué.
On parle souvent sur ce site, consacré à la photographie de haute résolution, de sujets pointus, mais ces discussions cachent parfois qu'on s'est fortuitement désintéressé de l'essentiel : en photographie, par exemple, la notion de cadrage.
Cet article essaie de revenir un peu aux fondamentaux de la photographie en abordant la question du cadrage, qui est le premier geste du photographe.
On nous pardonnera, je l'espère, de défoncer quelques portes ouvertes. Ce n'est pas parce que les portes sont ouvertes qu'elles n'existent pas, et qu'elle ne définissent pas, l'air de rien, des lieux très différents.

cadrage-en-photo

La photographie est par essence
un cadrage temporel

La photographie est une image figée. Elle a été prise à un moment donné. Elle ne peut donc en rien prétendre à représenter une action entière, puisqu’il lui manque la dimension temporelle.
Faute de ne pouvoir représenter l’action dans son cours temporel, elle présente donc en général l’action dans son résultat, mais en tâchant de suggérer que le résultat provient de l’action :
par exemple, la photographie classique d’une course de 100m montre le moment précis où le premier athlète franchit la ligne d’arrivée, le visage tordu par l’effort, et suivi par ses compétiteurs ; on conçoit qu’il y aurait assez peu de légitimité à montrer la photographie du vainqueur, seul et souriant dans les vestiaires, avant la course.
Autre exemple, une bonne photographie d’un tremblement de terre montrera les ruines après le passage de la catastrophe. Mais juste après pour montrer avec des ruines encore fumantes que la catastrophe est encore en cours dans son processus.
Ces procédés ne sont pas propres à la photographie : les visiteurs d’Oradour-sur-Glane peuvent s’ennuyer dans les ruines bien refroidies depuis 70 ans. Aussi dispose-t-on à leur adresse quelque machine à coudre posée sur un mur pour suggérer mieux l’action juste achevée et l’effet individuel tout frais du processus : la tâche domestique a été abandonnée, puis la destruction par l’incendie a suivi. Le langage photographique recourt exactement aux mêmes effets.

Tout cadrage est un choix spatial et idéologique, modifié par sa légende

Imaginons deux photographies prises dans le Paris de 2021 hanté par le Coronavirus. La photo d’un chaton terminant sa toilette sur le mur du Jardin du Luxembourg et une autre prise pourtant au même instant dans la salle de réanimation d’un hôpital bondé de la capitale : elles sont évidemment fort différentes et donnent de l’état de la capitale une opinion très différente.
Depuis longtemps on sait que le sens de toute illustration dépend du contexte dans lequel elle est présentée, et la photographie n’échappe bien entendu pas à la règle. Nos deux photographies pourraient être légendées « Paris juin 2021 » et avoir l’air d’insinuer pour la première que tout va bien à Paris, et pour la seconde, prise au même instant, que Paris est littéralement en guerre, et que la guerre est en train d’être perdue.
Il nous semble défoncer des portes ouvertes, mais la confusion mentale qui règne sur les réseaux sociaux baigne majoritairement sur cet effet de raccourcis par rapprochement entre images et légendes. Et il semble qu’aujourd’hui ce procédé tellement simple n’est plus décrypté par un grand nombre d’utilisateurs de ces réseaux.

La première photo du chaton qui se lèche pourrait aussi être légendée : « les animaux transmettent le virus par le contact avec leur poil » ; la photographie serait bien entendu vue extrêmement différemment, et pourrait faire prendre les petits animaux des calendriers en horreur. La même légende accolée à la photographie de la salle de réanimation aurait un effet encore plus fort, présentant sournoisement la cause comme acquise et objectivant le résultat encore fumant d’une catastrophe. Le rapprochement entre photographie et légende est ainsi d'autant plus percutant que la légende présente un écart assez important à ce que la photographie montre, laissant à l’imaginaire du lecteur un espace de projection plus largement ouvert.

Le sujet peut être une interprétation

La plupart des observateurs de photographie considèrent que les objets ou les personnes que la photographie montre constituent le sujet de la photographie. Dit autrement, la plupart des gens confondent la photographie et l’objet photographié. Ceci est bien entendu complètement idiot, mais est très ancré en chacun de nous : essayez-donc de déchirer la photographie d’un proche dans les jours qui suivent son décès : vous verrez, ce n’est pas facile.
Par la même confusion, la plupart des gens, et cela est toujours parfaitement idiot, ont tendance à considérer que le photographe a fait une grande photographie s’il a photographié un grand sujet : grand personnage, personne illustre, grande vedette. La confusion ne s’arrête pas en chemin : si le photographe a fait des photographies de grands sujets c’est qu’il est finalement un grand photographe.
Or cette façon de considérer la photographie ne fait aucun cas de la notion d’interprétation que nous avons tout de suite évoquée lors du cadrage. Le savoir-faire du photographe ne peut jamais consister uniquement dans le fait d’être sur le lieu : on voit bien que les photographes des grandes agences qui ont cru bien innocemment à cette fable se trouvent aujourd’hui doublés par n’importe quel quidam du tiers-monde armé d’un téléphone portable, et ruinés. Le savoir-faire du photographe consiste bien plutôt, et depuis toujours, dans la manière de photographier le sujet choisi. Autrement dit c’est dans la capacité à proposer des interprétations, à travailler à transformer le réel, que résident le talent du photographe et sa plus-value.
Le vrai sujet de la photographie n’est donc pas son prétexte, mais l’écart entre le prétexte et l’image présentée. Cet écart est la mesure du talent du photographe. Il est d’autant plus important que le photographe est un artiste. Il est d’autant plus mince que la photographie se veut journalistique et de témoignage.

La croyance encore répandue que la photographie est capable de représenter le réel vient des origines de la photographie au XIXème, quand la concurrence dans la représentation ne résidait que dans le dessin et la peinture ; à ce moment précis, oui, la photographie a pu quelque temps sembler porter une objectivité supérieure quoiqu’elle ne portât ni la couleur, ni le mouvement ni le son. Mais ces temps sont désormais lointains. La concurrence de la vidéo et du cinéma, tout autant que les possibilités accrues de retraitement de l’image, ont bien altéré la croyance originelle et la photographie ne peut être admise aujourd’hui comme représentation du réel qu’après une sévère critique de son origine. Cette critique examine son auteur, le contexte de prise de vue et mesure le type d’interprétation qui y est engagé.
Ainsi le photojournaliste tentera de se faire éditeur en réfléchissant en amont de la prise de vue à ce que sa photographie doit montrer en raccourci d’une situation et d’un contexte qui sont estimés connus (sorte « d’instant décisif » où l’auteur se veut le plus transparent possible). Le photographe artiste prendra, lui, le réel comme origine permettant l’expression de l'écart de sa propre perception : la surprise du cadrage et de la composition révéleront au spectateur une forme de regard.

La composition est toujours marquée par la centralité

La plupart des livres s’essayant à l’esthétique photographique en arrivent à un moment à la tarte à la crème de la composition par tiers, qui est une des bêtises les plus reprises par les photographes sans imagination. Quand l’être humain regarde quelque chose, il le regarde en le mettant en plein centre de sa vision. S’il s’agit de montrer un sujet, il faut le mettre au centre du cadre. Maintenant nous avons vu que le vrai sujet de la photographie n’est pas le prétexte. Si le vrai sujet de votre photographie est le style, c’est la manière qui doit être placée au centre de votre composition : autrement dit vous pourrez en vous servant d’une composition élaborée, qui prendra le dessus sur le sujet lui-même, montrer que ce que vous placez au centre de votre regard est votre façon de voir le monde, plutôt que le prétexte de la photo. Le problème des propos sur la composition des tiers est qu’on vous propose toujours de « placer le sujet au premier ou au deuxième tiers ». Alors que votre sujet, encore une fois, doit être en plein milieu du cadre. Autrement dit, cette proposition de règle des tiers fait la confusion entre prétexte et sujet.

S’il s’agit de dire maintenant qu’il faut placer le prétexte de la photo au premier tiers, on peut regarder la règle avec un peu plus de bienveillance : c’est qu’elle peut être comprise alors comme l’idée de placer la composition 1/3-2/3 comme sujet de la photo ; et vous invite à commencer à passer à l’artistique. Et une fois qu’on a dit cela, il faut reconnaître qu’il y a mille et une façons de présenter une scène avec des compositions toutes différentes, et que proposer cette combinaison 1/3-2/3 comme la panacée est bien réducteur et bête. Pourquoi pas 1/4-3/4 ou 1/1,618 (nombre d’or) ou 10-99/2 (moitié de l’âge de ma grand-mère maternelle à son décès) ?
Terminons par un exemple : si je photographie un sprinter qui regarde à droite au départ du 100m, que c’est mon sujet et pas seulement mon prétexte, je le mets au centre de l’image. Si mon prétexte est le coureur mais que mon sujet est son ambition de gagner la course, je place le coureur au premier tiers ou au premier quart gauche de l’image (dans ce deuxième cas je montre encore plus son ambition, que cela va être plus difficile pour lui de gagner, que la route est longue entre lui et la victoire, et cette difficulté devient le sujet). Dans tous les cas, j’ai le sujet en plein centre : ce peut-être le coureur, son ambition, ou la difficulté à réaliser son ambition. Mais ce qu’on montre dans l’image est au centre.

Cadrage naturel
de la vision humaine

Une question toujours âprement discutée est celle de ce qu’est le cadrage naturel de la vision humaine. On s’interroge : est-ce le format carré, ou l’arrondi, puisque l’œil est un globe, un rectangle allongé, puisqu’on a deux yeux côte à côte ? Evidemment cette question n’est pas arbitrable. Tout ce qu’on peut dire c’est que s’y attacher indique probablement de l’intérêt pour une représentation réaliste du monde, et probablement encore, dans l’esprit de qui la pose, il y a la pensée qu’en neutralisant un biais de cadrage, en recourant à un cadre plus « naturel », on pourrait parvenir à une représentation plus « vraie » du monde extérieur. Nous avons déjà dit ce que nous pensons de l’illusion qu’on pouvait représenter la réalité elle-même. Nous pensons que le type de cadrage le plus usuel et le plus à la mode sera perçu comme le cadrage le plus neutre par rapport à un réel supposé devoir conserver sa vérité intrinsèque. Autrement dit aujourd’hui, le farouche croyant en l’église de l’objectivité devra shooter au rapport 4x6 (imposé par le 24x 36). Tous ceux qui sont plus malins se poseront plutôt la question déjà débattue de ce qu’ils veulent exactement mettre dans leur cadre, quel que puisse être ce cadre.

On ajoute une observation pratique : mettre un cadre dans le cadre revient toujours à montrer une intériorité et donc une distance par rapport à ce qui est représenté : par exemple, montrer un paysage coupé par les bords d’une fenêtre, un trou de serrure, ou une scène encadrée par un fort vignettage, place l’intime en sujet.

Diptyque, triptyque et compagnie

Les premiers panoramas photographiques au XIXème étaient constitués de plusieurs tirages juxtaposés ; il s’agissait par là d’élargir le champ de vision de l’appareil de prise de vue utilisé et d’apporter plus de détails à l’observateur. Il ne faut pas confondre cette extension assez naturelle de la vision photographique avec la production de diptyque ou de triptyque. Dans ces derniers cas il s’agit pour l’auteur d’apporter à la représentation photographique une signification supplémentaire, venue de la tradition de la peinture. Les représentations en deux ou trois volets sont légion dans la peinture. Les deux ou trois images sont faites dès le départ pour être associées sur des volets souvent repliables, qui ne donnent tout leur sens qu’une fois ouverts. Le mécanisme d’ouverture oblige par ailleurs à une séparation assez nette entre les images.

En photographie, le diptyque associe souvent une représentation en plan large et un détail, laissant à l’imagination du spectateur le soin de faire le travail de rapprochement, lui donnant la satisfaction de trouver tout seul ce que l’auteur a voulu dire. On trouve souvent cela en art contemporain où le rébus et la devinette enchantent les petits enfants des écoles amenés pour remplir les musées.

Le triptyque s’ancre en peinture dans la tradition de la Sainte Trinité. A cause de cette tradition, il suscite d’emblée en Europe une sorte de respect venu du fond des âges. Du point de vue de la composition, comme le regard va chercher le sujet naturellement au centre, il se crée une sorte d’effet de centre à deux niveaux : les deux volets externes peuvent porter un sujet centré, le sujet central du panneau central reste de toute façon le plus fort. On obtient ainsi naturellement un centre "central" à un deuxième niveau de hiérarchie tout à fait propre à évoquer le Divin. Tout cela est fort bien joué mais, à cause de l’origine historique du triptyque, le religieux ne cesse de suinter de ce type d’organisation, et ce suintement contamine forcément la représentation faite.

Un cas intéressant nous semble être celui du panorama disjoint, un panorama à plusieurs images montées non jointes mais avec un léger écart entre chaque. Le panorama ainsi présenté donne une impression de fenêtre et place le spectateur dans un espace virtuel, avec l’effet trou de serrure déjà évoqué plus haut, donc avec un effet d’intimité. Et cette intimité s’oppose très vivement à l’évocation grandiose du panorama. L’opposition violente crée instantanément un puissant effet esthétique, la pensée évaluant tout à la fois le panorama parfaitement décrit et la pièce virtuelle ainsi tout juste suggérée. Au point que je me demande bien pourquoi tant de photographes s’obstinent à acheter des rotules panoramiques et des logiciels de montage photo : ne paient-ils pas pour détruire un merveilleux effet psychologique propre à déclencher la contemplation, qui leur était offert au départ ?
 

 

 

Dernière modification de cet article : septembre 2021

 

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