Jürgen Nefzger

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
Galerie-Photo : Dans un texte sur votre
site
internet, Michelle Debat parle, au sujet de votre travail qui montre
des paysages qui auraient pu être sereins, de "contemplation empêchée".
La notion de contemplation est-elle importante pour vous ?
Juergen Nefzger : Il est vrai que dans mes
images j’invite souvent le spectateur à contempler une scène. Je
l’installe hors action à une certaine distance du sujet. Mais
contrairement à la porte du bonheur qui s’ouvre chez Victor Hugo dans
“Les Contemplations” je préfère une porte vers la mise en garde. Mon
point de vue n’est pas romantique mais politique, et je pense que dans
mes images la contemplation n’est pas forcément empêchée mais qu’elle
devient le lieu d’une réflexion sur des devenirs contemporains
inquiétants.

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
Avez-vous une fibre réellement
écologique, pratiquez-vous un humour désespéré, ou pensez-vous qu’un peu
de beau peut sortir de l’observation d’un réel que l’homme envahit ? En
d’autres termes, comment vous situez-vous par rapport aux images que
vous proposez ?
Dans mon travail il y plusieurs strates de
lectures possibles. Je choisis mes sujets en fonction de mes propres
centres d’intérêt et chaque projet est précédé et accompagné par un
travail de recherche. Mais pour que les images soient réussies et
deviennent œuvres il faut qu'elles dépassent le simple propos initial
car sinon elles ne sont que des illustrations. Ce basculement qui ouvre
la position de départ est ce que je recherche, dans une quête où il faut
se laisser guider par sa sensibilité et être très patient. La beauté
d’une image est là pour nous plonger dans l’observation de notre
présent, pas pour nous en sortir…
Quand je dis beauté je ne pense pas à la
beauté du sujet mais à celle de sa représentation. Ce que j'aime dans la
photographie ce qu'elle est capable par les procédés propre au médium
(composition, lumière, netteté etc.) de créer une esthétique là où
naturellement on ne s’y attendrait pas.. Quand on y réfléchit c’est
complètement subversif comme procédé.
Quand à mon positionnement, je trouve que
nous sommes inondés par des images publicitaires nous montrant des
paysages d’exception qui ont peu de rapport avec la complexité du monde.
Ce sont des images stylisées d'une espèce de Disneyland mondial qui sont
faites pour plaire et pour vendre. Parfois quand je traverse les
couloirs de métro parisiens avec les éternelles publicités pour la
Bretagne, les Seychelles ou l'Islande ça me fait penser à des
antidépresseurs qu'on administre en quantité. Comme beaucoup d’autres
photographes engagés je propose une vision différente du monde que
j’espère plus juste par rapport à notre environnement actuel. Alors à
vous de me dire si je suis écologiste !

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
Vous êtes photographe à la chambre ;
avec quel matériel et quelles pellicules travaillez-vous ?
Dans les années 90 j'ai travaillé
principalement en noir et blanc avec un appareil panoramique Linhof 6
X17 et une chambre 20X25 Deardorff datant des années 50. Depuis j'ai
changé et je travaille aujourd'hui en couleur avec une chambre Linhof
Technika Master en 4X5. Celle-ci est extrêmement solide et encore assez
légère. J'amène toujours 3 optiques : 90mm, 150mm et 240 mm mais c'est
avec la 90 que je travaille le plus. Pour les films j'utilise des Kodak
Portra 160 VC .

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
Jürgen, vous avez obtenu le prix photo du
Jeu de Paume, prix attribué par le public pour une image de votre série
" Fluffy Clouds ". Ce prix va-t-il changer quelque chose pour le
photographe que vous êtes ?
C'est une belle récompense et je suis ravi
d'avoir remporté le prix du public. De savoir que mes images (il y en
avait une dizaine présentées) ont su parler à une majorité des 7000
votants du Jeu de Paume me confirme dans l'idée que je me fais de la
photographie. Au lieu de me poser beaucoup de questions sur le medium ou
sur moi-même je préfère réfléchir sur notre monde et j'entends continuer
dans cette voie. Cette année les choses vont plutôt bon train pour moi.
Je travaille sur trois résidences en même temps à Dunkerque, à Mulhouse
et à Creil et j'enchaîne les expositions. Mais la plupart de ces projets
ont été formulés avant la remise des prix et souvent par des gens qui
suivent mon travail depuis des années.

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes
photographes désireux de se lancer dans la photographie aujourd’hui ?
Quand j'ai commencé la photographie
j'avais 15 ans et comme beaucoup de photographes de cette époque j'ai
installé une petite chambre noire dans la salle de bain. C'était
beaucoup plus artisanal qu'aujourd'hui même si l’agrandisseur que
j’utilise pour les contacts est toujours dans ma salle de bain.
J'ai appris les bases technique tout seul
avec un travail au 24X36 et 6X6 en noir et blanc.
Mon choix plus tard a été de quitter
l’Allemagne pour me frotter à une autre culture et faire des études à
l'Ecole Nationale Supérieure de la Photographie en Arles. Ce cursus de
trois ans m'a aidé à affirmer mes propres choix thématiques et
esthétiques et a énormément élargi ma culture visuelle.
En sortant d'Arles je savais ce que
j'avais envie de faire mais il m’a fallu attendre beaucoup d’années
avant de pouvoir vivre de cette photographie.
Si c'était à refaire je n'hésiterais pas
une seconde. Je peux conseiller à des jeunes photographes de passer par
quelques années d'études dans une bonne école mais il faut se munir de
beaucoup de patience à la suite. Et surtout il ne faut pas trop se
préoccuper des tendances branchées du marché de la photo et de l'art en
général mais commencer et continuer à faire sa propre cuisine.

fluffy clouds © Jürgen Nefzger
dernière modification de cet article
: 2007
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