Jean-Philippe Astolfi :
Vues sur le vénérable Mont Fuji
La série « Vue sur le Vénérable Mont
Fuji » de Jean-Philippe Astolfi a été réalisée lors d’un récent séjour
au Japon. Elle est le résultat d’un processus de réflexion mené avant
son départ. Les lectures sur l’art de l’estampe ainsi que la
consultation des ouvrages sur le sujet à la BML(1) avaient déjà façonné le
regard, le voyage en anticipation réalisé sur Google maps avait permis
d’identifier les potentialités que les paysages recelaient. L’image
voulue est née de cette conjonction, il ne suffisait plus que de
réaliser la série...

© Jean-Philippe Astolfi
D'où vous est venue cette
idée de travail à la manière des estampes japonaises ?
Cette série s’inscrit « en marge » d’un
travail engagé depuis plusieurs années sur la relation esthétique que
nous entretenons avec notre environnement et plus particulièrement sur
la manière dont les stéréotypes issus de notre culture visuelle
façonnent notre regard.
Pourquoi « en marge » ? parce que je me suis rapidement rendu compte
qu’il me serait impossible de transposer cette réflexion sur un monde
aussi étranger à ma culture que le Japon.
C’est donc « à la manière de » tel
qu’énoncé dans la question que j’ai envisagé ce travail, un exercice de
style dans lequel la forme prime sur le fond.

© Jean-Philippe Astolfi
Comment prépare-t-on une
série pareille ?
Cette série est également « en marge » de
ma production habituelle car elle était contrainte dans une temporalité
différente. Habituellement je travaille sur des projets qui s’étalent
sur plusieurs semaines, parfois plusieurs mois alors qu’ici je n’avais
que quelques jours à consacrer aux prises de vues sur place.
Cette contrainte a eu de nombreuses répercutions sur ma pratique, plus
question de laisser le temps jouer son rôle de révélateur, de
s’imprégner des lieux et de multiplier les prises de vues pour les
interpréter à postériori.
C’est en exploitant les ressources du net que ces images se sont
élaborées, les pré-repérages sur les sites de cartographies en ligne ont
été déterminants.

© Jean-Philippe Astolfi
Sur place, est-ce que votre regard a évolué sur le sujet ou sur sa réalisation ?
Très peu de modifications ont été
apportées entre les tracés esquissés en amont et le résultat final. Je
n’ai pas eu le temps d’entrer suffisamment en relation avec ces paysages
pour que cela influence le projet, c’est un regret, une frustration,
j’aurais aimé être contredit, cela aurait signifié que quelque chose
s’était passé entre nous.

© Jean-Philippe Astolfi
Avez-vous montré ce
travail à des japonais ?
Quelle a été leur réaction ?
Ce n’est pas dans mes intentions de
montrer ce travail à des Japonais, il y a une responsabilité à faire
voir des images à des personnes dont on ne peut pas prédire la réaction,
si l’occasion se présente je prendrai beaucoup de précautions en
cherchant à les resituer dans leur contexte d’apparition.

© Jean-Philippe Astolfi
Au sujet de ce travail,
vous avez dit à un moment :
"mais il est fini, abouti, trop abouti". Pouvez-vous expliquer un peu
pourquoi vous dites une chose pareille ?
Je vis la production artistique comme un
processus créatif continu, dans lequel les images produites sont des
concrétions qui focalisent les tensions qui les ont faits naître mais
portent également en elles les germes des œuvres à venir. Je ne souhaite
pas qu’elles soient regardées comme des objets achevés, figés, mais
comme les étapes d’une longue réflexion.
Cette série ne s’inscrit pas dans cette
logique, elle est l’aboutissement d’une succession d’étapes
rationnalisées en vue de lui donner forme, elle est terminée et procure
en moi l’effroi d’une fin possible.

© Jean-Philippe Astolfi
Avez-vous perçu sur place,
pendant la réalisation de ces images, un rapport particulier entre les
japonais et le paysage, que vos photographies pourraient illustrer... ou
ce type de représentation que vous avez conçue ne renvoie-t-elle qu'à
une conception finalement occidentalisée de ce que serait une perception
de l'espace japonaise ?
Nos regards sont chargés d’une histoire,
d’un vécu, impossible d’imaginer le rapport que les japonais
entretiennent avec le paysage, pas certain non plus que tous les
japonais aient la même relation…
Déceler dans les estampes japonaises les
linéaments formels qui les structurent ne nous dit rien des tensions qui
les ont fait naitre. Le maillage des pylônes et des câbles électriques
est là pour nous rappeler que ce monde nous sera à jamais inaccessible.
Le « japonisme » du XIXème siècle a
occidentalisé ces objets et aujourd’hui encore nous sommes enfermés dans
cette vision idéalisée de cet « art du peu », je me suis contenté d’en
rester à ce niveau formel.

© Jean-Philippe Astolfi
Pourquoi ce ciel toujours
bleu ? Est-ce une chance météorologique ou une nécessité incontournable
pour ce type de représentation en estampe japonaise ?
C’est une des concessions que les
conditions de réalisation sur place ont apporté au projet initial. Je
pensais ce travail en noir et blanc pour en accentuer le coté graphique
et m’affranchir des conditions météorologiques, mais j’ai eu une météo
radieuse, les hautes luminances m’ont données plus de possibilités dans
le traitement de la couleur.
Heureuse concession, Il était ainsi possible de se rapprocher au plus
près du sentiment de raffinement que procurent la richesse des tonalités
de cet art pictural.
D’une certaine manière les contraintes de
ce projet sont à l’origine d’images qui sont assez proches de la nature
des estampes japonaises dont il ne faut pas oublier l’ambivalence, entre
art et fonction utilitaire, quasi publicitaire, nous sommes pour partie
dans l’illustration et dans la décoration.

© Jean-Philippe Astolfi
Que dit le texte en
Japonais sur les images ?
La traduction de ce texte est : « Le vénérable
mont-Fuji »
Notes
1 Bibliothèque Municipale
de Lyon
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