Les Ikoflex de Zeiss-Ikon
par Michel Le Mandat
A gauche, un Favorit à
cellule, à droite un IIA version 2 (synchro-compur). Ressemblant
mais très différents. Le Favorit est équipé d’un pare-soleil «
moderne » indispensable.
Introduction
Durant des décennies, Zeiss-Ikon fut
un groupe photographique important si ce n’est le plus important
avec une production étendue de l’appareil simple au plus
sophistiqué, tant en photographie qu’en cinéma. Des optiques
furent fournies à des fabricants indépendants comme, par exemple,
Franke & Heidecke géniaux inventeurs du Rolleiflex. De nombreuses
caméras et des projecteurs de cinéma étaient également équipées
d’objectifs Zeiss. La firme a fabriqué un temps des pellicules (Pernox)
ainsi que des matériels de mesure et militaires. Des phares pour
automobiles de luxe furent produits par Zeiss.
Je me suis attardé sur une série
d’appareils peu connus chez nous sauf des spécialistes, les
Ikoflex. Bien que présents dans quelques catalogues en France
ils n’ont pas été vendus en grand quantité. Par contre, on les
trouvait à l’étranger et dans nos colonies où les taxes douanières y
étaient moins élevées qu’en métropole. Bon nombre d’appareils que
l’on trouve chez nous maintenant nous sont parvenus via ces canaux.
Les Ikoflex n’eurent pas la chance d’être utilisés par des
photographes de renom ce qui a limité leur diffusion. Il existe des
milliers de clichés représentant des photographes célèbres en action
avec des Rolleiflex, mais d’Ikoflex, point. On doit se demander
pourquoi, avec une optique et un obturateur identiques, les
photographes ont préféré le Rolleiflex produit par Franke & Heidecke.
L’armement par bouton y est-il pour quelque-chose de même qu’une
correction de la parallaxe moins efficace ainsi qu’un chargement
moins automatique, un effet de mode ? Toutefois Pierre Bourdieu
réalisa de nombreux clichés en Algérie avec un Ikoflex acheté en
Allemagne. Milagros Caturia, photographe espagnole, travailla
essentiellement avec un Ikoflex. Ce sont les seules références que
j’ai trouvées mais il y en a probablement d’autres.
Un peu d’histoire
Fabriqué de 1934 à 1960, l’Ikoflex fut
un concurrent sérieux de plusieurs appareils car il se déclinait en
versions simples et sophistiquées utilisant le film 120. A la même
période, l’appareil de référence était le Rolleiflex mais il y avait
également le Superb de Voïgtlander et une ribambelle d’appareils
plus modestes, le Brillant de Voigtlander, le Weltaflex, les Lipca,
etc, sans parler des Royflex, Semflex, Flexaret, Reflekta...
De fait les Ikoflex se présentent sous
une grande variété de modèles à l’immatriculation aléatoire, aux
caractéristiques différentes selon les périodes et les aléas de la
production durant la guerre et après.
Zeiss dota ses Ikoflex des objectifs
de la maison, des Novar et des Triotar à trois lentilles et des
Tessar à quatre lentilles, les mêmes que ceux livrés à Rollei dont
un ouvrant à f 2,8 (Ikoflex III). La firme n’utilisa jamais les
Planar 3 ,5 et 2,8 qu’elle livrait à Rollei en même temps que les
Xénotar et Xenar de Schneider.
On peut ainsi résumer l’évolution
des Ikoflex.
Les premiers modèles (850-16) d’avant-guerre étaient dotés d’un obturateur au 1/100 ème de seconde et le
déplacement de la pellicule se faisait dans le sens horizontal comme
sur le Superb. Leur surnom de « coffeecan » tient au fait que leur
partie inférieure est arrondie et qu’ils ressemblent à une boîte de
café.
Vinrent ensuite des appareils avec le
déroulement du film dans le sens vertical sur la période 1939/1960.
Parmi ceux-là, il y eut une série « simple » mais dotée
d’obturateurs avec vitesses lentes allant jusqu’au 1/250 (Prontor),
1/300 ème et 1/500 ème (Compur) équipés de Novar. Il s’agit des
modèles 851-16 (Ikoflex I), 852-16 (Ikoflex II). Zeiss lança en 1939
le 853-16 (Ikoflex III) le plus sophistiqué de cette période avec un
Tessar ouvrant à f 2,8 et un Compur au 1/400 ème. Cet appareil avait
un système d’armement et d’avancement du film par manivelle comme le
Rolleiflex automat. Il avait sans doute été conçu comme l’amorce
d’une série haut de gamme. Zeiss, tout en envisageant ce dispositif
dans ses modèles ultérieurs d’après-guerre comme en atteste la forme
circulaire de la partie gauche des boîtiers face devant, ne le
reprendra pas, une fois la paix revenue.
Dans un troisième temps, Zeiss
produisit des boîtiers équipés de Synchro-Compur et de Tessar tels
que les II A (deux versions, la première avec Compur-Rapid, la
seconde avec Synchro-Compur) et le Favorit (887-16) le mieux doté de
cette période avec cellule couplée et des appareils plus simple avec
un obturateur Prontor au 1/300ème comme les IA, IB et IC (886-16)
ce dernier avec cellule. Les IA, IB et IC reprennent le
boîtier et les mécanismes du IIA. Le boîtier du Favorit est
différent bien que très ressemblant avec un système d’avancement du
film qui se remet automatiquement à zéro en fin de pellicule et un
déclencheur placé sur le côté de l’objectif de prise de vue.
Vous pouvez utilement vous reporter à
ce site qui décrit la production des Ikoflex :
http://www.tlr-cameras.com/German/Ikoflex.html
Qualités et défauts des Ikoflex
Un des points forts de l’Ikoflex est
la qualité de sa construction dans des matériaux sérieux, acier,
bronze, cuivre, nickel et peu d’aluminium et un équipement optique
excellent notamment avec les Tessar. Comme pour Rollei qui sortit de
très belles pièces peu après la guerre, Zeiss fit de même. Sur
les Ikoflex, les réparations habituelles sont aisées, nettoyage du
dépoli et du viseur, dégrippage des vitesses lentes, nettoyage des
objectifs… S’ils ont eu la chance d’être stockés dans de bonnes
conditions, les Ikoflex ont traversé les décennies sans soucis
d’oxydation du miroir ou de grippage de l’obturateur. Plus loin, je
parlerai de l’Ikoflex III qui présente quelques fragilités.
Du point de vue de la conception, les
versions supérieures de l’Ikoflex sont équipées d’obturateurs et
d’optiques de qualité identiques aux Rolleiflex de gamme moyenne. Le
système d’avancement du film par bouton les rapproche du Rolleicord.
Le presse-film permet d’assurer une bonne tension de la pellicule.
Un détail important, Zeiss-Ikon
déclare page 57 du guide ci-dessous, que l’Ikoflex est équipé d’un
système de correction de la parallaxe surtout utile pour les
plans rapprochés sans bonnette:
http://www.cameramanuals.org/contax/ikonflex_guide.pdf
Dans un autre document, Zeiss-Ikon
indique pour les Ikoflex que « les effets gênants de la parallaxe ne
se font pas sentir en raison de la construction de la chambre de
visée qui donne un champ d’image réduit de quelques millimètres en
hauteur ». A dire vrai, je doute que cette correction soit aussi
efficace que celle du Rolleiflex. Une des astuces de Zeiss a
consisté à implanter dans le Favorit un dépoli plus petit (50×50)
que la surface du film. Dans la plupart des Rolleiflex par contre,
il s’agit d’un cadre qui se déplace sous le dépoli couplé avec le
réglage de la distance ce qui est plus précis.
Sur le plan esthétique, Zeiss-Ikon
affectionnait peu le design loin du dépouillement et de l’élégance
des Rolleiflex. Beaucoup d’appareils reprennent cette absence
d’esthétique, les Super Ikonta à télémètre, les Contarex, les Contax...
Je ne leur connais pas de défauts
importants hormis les limitations que certains trouvent à ce type
d’appareils, leur état actuel… on trouve des versions moins
sophistiquées avec objectif Novar et obturateur Prontor qui
lorsqu’elles sont en état, sont à préférer à un haut de gamme en
piètre état mécanique.
La chambre noire du Favorit avec ses chicanes que ne possède pas le
IIA. Un plus indéniable mais le IIA ne souffre pas d’une chambre
moins sophistiquée.
Comparaison des viseurs de nos compères, celui de gauche avec
l’aiguille de la cellule fonctionnelle. On remarquera leur relative
luminosité compte tenu de la présence d’un objectif de visée Téronar
n’ouvrant qu’à 3,5. Il faut dire que les bords sont un peu rognés à
cause d’un dépoli aux côtes inférieures à celles du négatif.
De ce côté ce serait mieux que les Rolleiflex de cette époque.
Une gamme complète d’accessoires
agrémentait les Ikoflex, filtres, paresoleil, jeu de bonnettes (Ikoprox)
avec correction de la parallaxe, prisme… mais pas de poignée. Zeiss
fournissait également des cellules photoélectriques Ikophot et des
flashs magnésiques Ikoblitz. Il existe un rare système pour le film
35 mm comme le Rolleikin, mais pas de cadres pour le format 4,5×6.
Pour information, les filtres et le paresoleil sont, soit à
emboîtement (37 mm), soit à vis (35,5 mm). Voir plus loin.
Voici maintenant mes deux Ikoflex,
un IIA et un Favorit
Le IIA a eu besoin d’un nettoyage de
l’extérieur (1), du dépoli et de la cage de visée. Le Favorit
était impeccable mais les vitesses lentes étaient lymphatiques, la
seconde en durait trois. Ayant fait valoir ce souci au vendeur, je
l'ai obtenu à bon compte. J’ai procédé à la correction de ce défaut.
Après avoir trouvé la marche à suivre pour atteindre l’obturateur et
l’ouvrir, j’ai légèrement lubrifié les mécanismes d’horlogerie qui
règlent le retardateur du Synchro-Compur et les vitesses lentes et
tout s’est remis à fonctionner normalement.
Du point de vue fonctionnel, les deux
appareils présentent des différences, le IIA nécessite une remise à
zéro manuelle du compteur alors que cette opération s’effectue
différemment sur le Favorit. Aucun ne possède l’automatisme
complet de chargement des Rolleiflex. Le Favorit a une cellule qui
est réglable jusqu’à 800 ASA. C’est une cellule incorporée, non-couplée. Une fois la sensibilité du film réglée sur le bouton du
calculateur, on reporte sur celui-ci l’indice de lumination lu sur
le dépoli. Le couple vitesse/diaphragme doit être reporté sur
la façade ce qui n’est pas vraiment pratique.
L’échelle d’indices de
lumination est gravée en rouge. Avec un peu d’habitude on s’y fait
mais il est vrai que de nos jours on ne l’utilise plus beaucoup.
Cette caractéristique est absente du IIA.
Avec de l’habitude on finit par
s’adapter mais l’utilisation d’une cellule à main est préférable et
plus précise. Les viseurs et les dos s’ouvrent selon des méthodes
différentes. Sinon leurs performances sont identiques. Concernant le
Favorit, je ne partage pas l’opinion de Mark Hansen qui lui reproche
d’avoir un système d’avancement du film et d’armement fragile. Le
mien fonctionne très bien si on prend soin de respecter le mode de
chargement du film qui n’est pas aussi simple que celui des
Rolleiflex modernes.
Fermeture des dos : des détails qui montrent, entre autres, que les
Ikoflex IIA et Favorit sont différents dans leur construction.
Pour le IIA il faut fermer le dos puis
amener la vue n°1 dans la lucarne sous l’appareil, fermer et régler
par pression la molette du compteur de vue à la vue 1. Et après
aucun souci jusqu’à la fin du film.
Pour le Favorit, il n’y a pas de
lucarne sous l’appareil. C’est simple lorsque vous avez retiré le
film normalement après la vue 12. Mais si cela n’est pas le cas je
mets en (2) la traduction de la notice pour mieux comprendre.
Cet appareil qui n’a eu qu’une
diffusion restreinte en France est utilisé maintenant par les
amateurs comme un substitut de qualité aux Rolleiflex. Comme
pour beaucoup d’appareils TLR, les tarifs demandés par les vendeurs
sont malheureusement très élevés d’autant que bon nombre d’appareils
ont des soucis de vieillissement et ont besoin d’une réparation
quand ils ne sont pas carrément inutilisables du fait d’un objectif
altéré ou d’un obturateur lymphatique. Celui qui serait intéressé
par un Ikoflex examinera avec attention le fonctionnement de
l’obturateur et la clarté de l’optique de prise de vue et du viseur
avant de conclure. L’Ikoflex III doté d’un Tessar 2,8, est tentant
mais il est rare d’en trouver un en état. Il a trois points faibles,
le mécanisme d’armement qui se dérègle ou qui a été faussé,
l’objectif souvent piqué et le viseur dont le revêtement métallisé
est altéré dans 9 cas sur 10. Ceux que j’ai vus atteignaient des
tarifs injustifiés avec un viseur irréparable. Son obturateur est
limité au 1/400 ème et il n’est pas synchronisé pour le flash
électronique. Peut-on le lui reprocher , il a 77 ans ?
Trouver un paresoleil
Pour ne pas être confronté à des
lumières parasites sur le film et tirer le meileur des Ikoflex, je
conseille d’équiper les Ikoflex d’un paresoleil. Comme ceux produits
par Zeiss sont inabordables en raison de la spéculation que
pratiquent certains vendeurs, la solution est la suivante. Trouvez
sur le web une bague 35,5/37 (et non l’inverse) que vous
visserez sur l’objectif de prise de vue (filetage 35,5) pour y
monter un paresoleil de caméscope avec un filetage de 37 mm.
Attention à ne pas vous tromper car il existe des bagues 35,5/ 37 et
des bagues 37/35,5. Des filtres vissants de diamètre fileté 37 mm
normalisé pourront être utilisés en cas de besoin.
Conclusion
L’ Ikoflex est un appareil attachant,
fiable et solide avec lequel il est agréable de photographier une
fois que la subtilité du chargement est assimilée. Ses résultats
photographiques sont d’un très bon niveau comparables à ceux obtenus
avec un Rolleiflex équipé d’un Tessar. Toutefois il reste rare à
trouver.
Quelques liens
Pour le démontage de l’Ikoflex IIA et
du Favorit :
https://man-wei.tumblr.com/post/77063790887/zeiss-ikoflex-iia-late-model-front-cover
Des commentaires sur divers TLR :
http://www.zeissikonrolleirepair.com/page04.html
Page sur le démontage d’un Ikoflex 1 :
http://www.suaudeau.eu/memo/rep/Ikoflex%20I.html
Blog dédié aux Ikoflex :
http://fotobox.over-blog.fr/article-zeiss-ikon-ikoflex-115523976.html
Série d’articles en français, très
renseignés, sur les productions de Zeiss-Ikon :
http://fotobox.over-blog.fr/tag/zeiss-ikon/
Notes
(1) J’utilise sauf
pour les parties optiques, de l’eau additionnée d’ammoniaque à
raison de 5%
(2) Chargement du «
Favorit Zeiss-Ikon »
Traduction de la notice en anglais disponible à :
http://www.cameramanuals.org/zeiss_ikon/zeiss_ikon_favorite.pdf
(Les chiffres entre parenthèses renvoient aux références des images
indiquées dans la notice originale)
« Avant de charger le Favorit, assurez-vous que le dernier film
utilisé a été avancé au-delà de la 12 ème vue (N°12 dans la fenêtre
du compteur de vue), et que le bouton d’entrainement du film peut
être tourné indéfiniment sans rencontrer la moindre résistance. Le
film est alors rembobiné complètement.
Pour ouvrir le dos du Favorit, relevez le bouton de fermeture et
tournez-le à gauche. Tirez le bouton de retenue de la bobine et
tournez-le légèrement (20) pour le bloquer. Sortez le film. Une
bobine vide doit être installée dans l’emplacement prévu de telle
sorte que la dent du bouton d’avance du film (5) s’engage dans la
fente de la bobine. Tournez le bouton de retenue de la bobine afin
qu’il s’engage dans le trou de la bobine réceptrice qui peut
maintenant tourner facilement au moyen du bouton d’avance du film.
De la même façon, la nouvelle bobine est insérée dans le logement
inférieur après que le bouton de retenue (24) a été tiré et
verrouillé. Orientez l’extrémité effilée de la bande de papier
protecteur (amorce) dans le sens du déroulement du film, vers la
bobine réceptrice. Enlevez la bandelette de garantie du film. Faire
passer la bande de papier devant la fenêtre d’exposition et enfilez
l’amorce du film dans la fente de la bobine réceptrice.
Introduire l’amorce aussi loin que possible dans la fente de la
bobine. Tournez le bouton d’entrainement jusqu’à ce que la bande de
papier soit tendue. Fermez ensuite le dos du Favorit en tournant le
verrou puis en le baissant tout en l’appuyant légèrement contre le
corps de l’appareil.
En fermant et en verrouillant le Favorit, le mécanisme du compteur
de vues est automatiquement réglé à sa position de départ. En
tournant le bouton d’entrainement du film (5) le chiffre 1 apparait
dans la fenêtre du compteur de vues. L’appareil est alors prêt pour
prendre une photo et l’obturateur est armé simultanément.
Si, pour une raison quelconque, un film a été retiré avant que la
vue 12 soit passée dans le compteur de vues, il est conseillé de
régler le compteur de vue à sa position finale aussi longtemps que
le dos est ouvert. Cela peut être réalisé en déclenchant
l’obturateur et en tournant le bouton d’entrainement du film jusqu’à
la vue 12. Quand le dos du Favorit est fermé avant que la position
finale a été atteinte, le compteur de vues sera désengagé du système
d’avancement du film. Pour le ré-engager, le Favorit doit être
ouvert et l’ergot (29) à droite de la fenêtre d’exposition
fermement pressé au moyen d’un objet dur comme un crayon jusqu’à ce
qu’une résistance soit surmontée avec un déclic. En même
temps, presser brièvement le côté droit du rouleau de guidage
de film supérieur jusqu’à un petit déclic. Maintenant, Favorit
toujours ouvert, le compteur devra être porté jusqu’à la
vue 12 tout en déclenchant et en avançant le film. La position
finale est atteinte quand le bouton d’entrainement du film ne
rencontre plus aucune résistance.
Un nouveau film peut alors être installé. Il est préférable de
charger le film en lumière atténuée, à l’ombre, jamais en plein
soleil. »
Si vous tombez sur l’oiseau rare,
bonnes photos !
Première publication de cet article sur le blog de
l'auteur en
https://mlmpages.wordpress.com/2018/03/12/les-ikoflex-de-zeiss-ikon/
dernière modification de cet article
: 2018
|