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l'interviewée
Marie-Noëlle Leroy
© Jean-Claude Beaumont
D’abord autodidacte
puis CAP en cours du soir
ensuite abandonne son premier métier (sage-femme)
Reprend des études à Paris VIII tout en travaillant
obtient un DEA consacré aux frères Bisson
Commandes photographiques
(Illustration, Nature morte, Architecture, Paysage)
enseignement de la prise de vue
et du tirage N&B (CAP et Bac Pro)
durant une douzaine d’années
puis de l’esthétique et de la sémiologie de l’image (BTS)
Sténopiste très assidue depuis une dizaine d’années
organise l’exposition internationale de photographie au sténopé du
Bourget
Une trentaine d’expositions solo et collectives, nombreux articles et
publications
http://foto-grafik.blogspot.com
http://www.flickr.com/
photos/marinoel/sets
http://www.facebook.com/
profile.php?
id=1082236537&ref=name
|
.
Les questions qui ont été posées
suite à l'article
sur la construction du sténopé
"Construire un sténopé"
Quatrième
Exposition Internationale
de Photographie au Sténopé
(du 11 mars au 24 avril
Centre culturel André Malraux
10, avenue Francis de Pressensé
93350 Le Bourget
à 50m de la gare RER B
Entrée libre du lundi au samedi,
de 9h à 12h30 et de 14h à 18h,
le mardi jusqu’à 20h)
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La pratique de
la photographie au sténopé
Interview de Marie-Noëlle Leroy
réalisée à l'occasion de la
Quatrième Exposition Internationale de Photographie au Sténopé
(du 11 mars au 24 avril
Centre culturel André Malraux
10, avenue Francis de Pressensé
93350 Le Bourget
à 50m de la gare RER B
Entrée libre du lundi au samedi, de 9h à 12h30 et de 14h à 18h,
le mardi jusqu’à 20h)
Pourquoi ces rencontres
de sténopé ?
Le but initial était basé
sur une triste constatation : en France il y a encore quelques
années, la photographie au sténopé était reçue comme une pratique
avant tout destinée aux enfants et aux populations défavorisées. A
moins de revêtir un aspect proche de la performance, les
institutions culturelles ne s’y intéressaient pas vraiment, le
sténopé était rangé dans l’ensemble des pratiques que l’on nommaient
« alternatives », pratiques qu’elles avaient rejetées en bloc.
Devant le succès des
Journées mondiales de photographie au sténopé, (on en fête le
dixième anniversaire le 25 avril 2010) je me suis dis qu’il y avait
à la fois un vivier et un public concerné et surtout devant la
qualité de certains travaux consultables uniquement sur le Net, j’ai
pensé qu’il fallait permettre une plus grande visibilité de ces
images dans la vie réelle : il fallait démontrer que l’utilisation
d’un petit trou engendrait des pratiques et des images
photographiques tout aussi artistiques, bien que différentes, de
celles obtenues avec un objectif. Ces rencontres sont également un
moyen qui permet aux sténopistes de tous pays de se rencontrer, de
se connaître, et pour le moins de découvrir d’autres images,
d’autres pratiques sténopiques. C’est donc toujours enrichissant,
aussi bien pour eux que moi d’ailleurs !
Lena Källberg (Suède)
Qu'est-ce qui vous plait
particulièrement
dans le sténopé ?
En tant que sténopiste, ce qui m’a
intéressé en premier lieu est la très grande profondeur de champ alliée –
forcément – à la prolongation du temps de pose. L’utilisation du sténopé a
d’abord constitué pour moi un aboutissement logique de ma pratique
photographique : je travaillais en grand et moyen format avec un objectif grand
angulaire en fermant le diaphragme au maximum, me fixant sur l’hyperfocale et en
utilisant des émulsions peu sensibles ; une sorte de refus de l’instant décisif
dont on nous avait rebattu les oreilles ! Le « manque » de netteté que certains
reprochent à l’image obtenue ne m’a jamais semblé être un inconvénient car j’ai
toujours été frappée par la définition que l’on pouvait obtenir ! Petit à petit,
j’ai expérimenté et j’ai découvert une partie des immenses possibilités offertes
par le sténopé.
Avec l’expérience, je cherche surtout
des visions impossibles pour la photographie traditionnelle, comme les poses
très très longues, les vues circulaires multiples ou les doubles anamorphoses,
et en ce moment je me suis entichée des négatifs papiers de format 40 x 50 cm
qui resteront sans doute pièces uniques…
Ce qui est également très excitant,
c’est de pouvoir fabriquer ses propres outils en fonction du résultat que l’on
veut obtenir ! Cela finit même par revêtir un caractère addictif, car je ne peux
plus voir une boîte sans penser à ce qu’elle pourrait donner, et j’ai quelques
plans d’hypothétiques futurs appareils stockés dans un classeur…
Je pourrais également ajouter le
rapport aux autres induit par cette pratique. Où que je pose ma boîte, petite ou
grande, je ne subis jamais d’agression verbale ! Au contraire les gens sont
intrigués, certains posent des questions, d’autres sont amusés ou me prennent
pour une douce dingue, mais tout se passe dans le calme et la bonne humeur !
En tant que commissaire d’exposition
je suis toujours aussi étonnée par l’imagination qui peut se déployer pour créer
des images correspondant à autant de mondes intérieurs différents !
Comment se fait la sélection pour ce
salon ?
Elle est assez simple ! Arnaud
Lévénès, responsable de La Capsule - le lieu d’exposition, et moi effectuons les
choix des exposants parmi les dossiers qui m’ont été envoyés. Je regarde d’abord
si le projet et les images proposées sont en adéquation avec le thème demandé.
C’est fou, mais on remarque tout de suite si quelqu’un essaye de faire coller un
autre sujet qu’il aurait déjà travaillé avec ce qui est demandé ; c’est un peu
comme avec ces jouets éducatifs pour enfants, il y en a toujours qui veulent
faire rentrer un cube dans un trou triangulaire ! Le critère primordial est
évidemment la qualité de l’image !
Techniquement parlant, je reçois quelques … horreurs. Certains pensent que sous
prétexte de sténopé, on peut tout admettre ! Non ! Il y a un minimum requis !
En cas de coup de cœur, tout va bien ! Si j’hésite entre deux séries d’images,
je choisis celle qui apportera le plus à l’expo ; car il faut également penser à
cet ensemble qui se constitue, il faut créer le « tout », en étant éclectique !
Il m’arrive de temps en temps de
faire modifier une série par l’auteur, si je trouve qu’une image colle un peu
moins alors que j’ai repéré sur sa galerie une autre qui conviendrait mieux, je
le contacte et on voit ça ensemble ; ça se passe très bien, je n’ai jamais eu de
refus !
Et puis il y a aussi un peu de travail
en amont : comme je suis le travail de nombreux sténopistes par Internet, je les
contacte et leur demande d’envoyer des images, ou j’interviens en leur disant
que telle image est vraiment intéressante… ils comprennent et envoient un
dossier ! Et puis il y a aussi quelques images auxquelles personnellement je ne
suis pas forcément sensible, mais dont je sais qu’elles sont intéressantes dans
un schéma plus « contemporain », un peu abstrait, conceptuel ou plus plasticien
; donc je prends, car je ne vois pas pourquoi ils n’auraient pas droit de cité.
Ces expositions sont là justement pour essayer de faire connaître les
différentes pratiques sténopiques !
Peut-on dégager des tendances
dans la photographie au sténopé ?
Indéniablement ! Tout comme en
photographie avec objectif ! Ce ne sont toutefois pas tout à fait les mêmes. On
ne trouvera pas de reporter, bien sûr, et l’influence de Walker Evans est nulle,
mais on aura les sténopistes-voyageurs, les technicistes, les anti numériques,
les plasticiens, les conceptuels… Mais il est difficile de parler de tendance
sans parler d’abord de la « population » des sténopistes. Car il faut savoir
qu’il existe – bizarrement – de nombreux artistes sténopistes qui ne sont pas du
tout photographes, ou à peine amateurs avec un compact ! Ils sont généralement
issus d’autres disciplines des arts visuels. L’image sténopique constitue pour
eux un autre moyen d’expression ; mais il ne leur viendrait pas à l’idée
d’utiliser à cette fin un appareil réflex ou une chambre. Ils ne fabriquent pas
leurs boîtes, ils les achètent toute faites puisqu’il existe quand même sur le
marché un certain nombre de fabricants. Je pense qu’aussi bien l’apparente
simplicité de l’outil que le rapport au temps, inévitable pour les prises de
vues, y sont pour beaucoup.
Cependant, la très grande majorité
des sténopistes pratique également la photographie avec objectif ; dans la
majorité des cas il s’agit d’appareils simples, en plastique, ou de vieux
appareils des années 1940-1960. Dans l’ensemble ce sont tous des amoureux de
l’argentique, mais il existe néanmoins des sténopistes-digitaux. Les purs et
durs du sténopé ne sont donc pas légion…
Je voudrais quand même évoquer une
différence notable entre photographe et sténopiste : le sténopiste ne se prend
pas au sérieux, en tout cas je n’en n’ai jamais rencontré ! Je pense que
l’inutilité de l’image est assez déterminante. Attention, quand je parle d’ «
inutilité » j’entends que l’on ne va pas exploiter l’image pour témoigner,
rendre-compte d’une réalité ! Ce rôle là est uniquement dévolu à la photographie
avec objectif. Aucune obligation ne pèse sur les épaules du sténopiste, il est
absolument libre de sa création ! Et il est libre de transgresser toutes les
règles que l���������������������������������������������������on nous a inculquées, puisque déjà dans la boîte basique la surface
d’enregistrement n’est pas obligatoirement plane ! Tout ceci explique sans doute
le fait que je constate année après année : le sténopiste a de l’humour ! Même
les sujets graves sont souvent traités sur un mode humoristique et il m’est plus
souvent arrivé de rire – ou tout au moins de sourire – à la vue d’une image
sténopique, qu’à la vue d’une image photographique traditionnelle ! Le pathos
semble étranger au sténopé !
La tendance peut-être la plus
ancienne serait apparentée à la photographie dite alternative : sténopé plus
gomme ou cyanotype ou platine… et certains n’hésitent pas à se mettre en
filiation plus ou moins directe avec les Pictorialistes ; c’est cependant un
courant qui me semble en décroissance actuellement ou tout au moins la
revendication historique n’est plus primordiale. Reste le côté pratique
puisqu’il n’est pas nécessaire d’avoir une coûteuse chambre 20 x 25, ou plus,
avec un non moins coûteux objectif pour obtenir un négatif grand format
utilisable directement par contact.
La tendance montante serait plutôt la
tendance expérimentale. On trouvera dans cette branche autant ceux qui
recherchent les déformations de tous acabits que ceux qui sont à l’affût du
moindre des aléas, en particulier les fuites de lumière ou des couleurs
irréelles en utilisant des pellicules périmées. Il semble que le fait de ne pas
tout contrôler dans la création de l’image constitue une jubilation proche de la
jouissance ; ceux-là mettront alors tout en œuvre pour créer le fortuit. Comme
par hasard, on retrouve assez souvent dans cette catégorie des photographes
professionnels utilisant le sténopé dans leur pratique personnelle…
La tendance cheap à tout prix semble
également l’une des tendances fortes, en particulier chez les jeunes. Le coût
des appareils à objectif constitue peut-être une obligation d’orientation vers
le cheap mais je constate plutôt qu’ils sont attirés par le côté bidouillage
ludique et par la magie de l’apparition de l’image avec une mise en œuvre
simplifiée. Cela correspond aussi à ces mouvements idéologiques de décroissance,
de non consommation, sans d’ailleurs qu’il y ait forcément une volonté politique
derrière. Je n’ai en revanche jamais entendu une référence au mouvement Arte povera de la part de ces praticiens-là.
La dernière tendance est la pratique
de la solarigraphie . Une boîte munie d’un sténopé, comportant une feuille de
papier photo est placée en extérieur durant une semaine un mois, six mois, un
an… La lenteur de l’exposition est ici portée à son comble ! La feuille de
papier présente dès le sortir de la boîte des couleurs variables, suivant le
temps d’exposition et la marque du papier, des courbes blanches marquent la
course du soleil au dessus de l’horizon ; parfois il existe aussi quelques
formes indéfinies provenant de la condensation due aux changements de
températures. Autant dire que pour faire cette observation, il faut bien sûr
être en lumière inactinique et surtout ne pas développer sous peine de voir la
feuille devenir toute noire. Le scanner est le seul moyen de conserver une trace
de cette image destinée à disparaître à plus ou moins long terme et condamnée à
rester enfermée dans une autre boîte noire.
Peter Donahoe (USA)
La photographie au sténopé
intéresse-t-elle les galeries d'art ?
J’ai bien peur que non … Je ne peux
pas en être absolument certaine car malgré un petit tour sur les sites des
galeries je n’ai, pour le moment, pas trouvé grand-chose, mais je vais
persévérer… Et puis les choses peuvent changer… Ruth Thorne-Thomsen , une
Américaine présente dans les collections du Museum of Comtemporary
Photography de Chicago et dans plusieurs galeries, est représentée en France
par la galerie Françoise Paviot. Et je n’ai trouvé qu’une seule
Française, Claire Lesteven , représentée par une galerie, Les Filles du
Calvaire… C’est peu… Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’images au
sténopé sur les cimaises, pour preuve, les belges
Christine Felten et Véronique Massinger qui sillonnent les routes depuis
vingt ans avec leur Caravana Obscura exposaient leurs images en décembre
2009 chez Michelle Chomette… Ce sont finalement les Centres culturels
municipaux - comme celui du Bourget- ou des manifestations comme certains mois
de la photo en province ou la Biennale de Nancy qui offrent le plus de
possibilités pour montrer des images sténopiques en France.
Suivant les pays la considération
pour cette discipline n’est pas la même. Le cas des Etats-Unis est peut-être un
peu à part puisqu’il n’ont jamais totalement abandonné le sténopé, qu’il est
enseigné dans les collèges et les universités depuis les années 1930 ; et puis
Kodak avait ressorti une pinhole camera pendant la seconde guerre
mondiale, donc le sténopé n’est pas tout à fait une découverte pour l’ensemble
de la population. Ici j’ai rencontré des instituteurs, des profs d’arts
(appliqués ou plastiques) et des profs de physique qui découvraient le phénomène
du petit trou ! J’ai eu l’occasion de découvrir la Pologne en Novembre 2009 à
l’occasion d’un festival de photographie au sténopé : quelle surprise de
constater qu’il y a un engouement et une pratique aussi intenses ! Le sténopé
fait réellement partie de la culture, mais il faut dire aussi que la
photographie est très présente, qu’il existe des associations d’artistes
photographes possédant des galeries dans toutes les villes !
Sens-tu une évolution
dans la pratique actuelle du sténopé ?
Le sténopé a de plus en plus
d’adeptes et cela crée une émulation ! il y a les nouveaux venus dont l’avenir
nous dira s’ils persistent dans les dispositions qu’on a pu remarquer ; mais
ceux qui pratiquent déjà depuis un certain temps ont acquis une maturité et je
vois à travers ces expositions comment ils évoluent, chacun peaufinant son
style, ou essayant de nouvelles approches, en tout cas ne restant pas statique
et poussant chaque fois un peu plus ses propres limites comme celles du médium.
Ils deviennent des locomotives, des exemples… Je pense que la pratique du
sténopé a de beaux jours devant elle, ce n’est pas seulement un phénomène de
mode !
Petite bibliographie
Eric Renner,
Pinhole
photography, rediscovering a historic technique, Focal press 2004 (pour
la troisième édition) 2010 (pour la quatrième édition).
Jean-Michel Galley et Elisabet Towns (textes et iconographie),
Le sténopé, collection photo-poche n°114 ; Actes Sud, 2007.
Jean-Marie Baldner et Yannick Vigouroux :
Les pratiques
pauvres ; du sténopé au téléphone mobile.
Scéren - CNDP, Pôle photo, Isthme éditions, Paris, 2005.
Froid, Glacé…, Catalogue de la
première exposition internationale de photographie au sténopé,
Editions Gaud, Moisenay, 2007.
Nature urbaine, Catalogue de la seconde exposition internationale de
photographie au sténopé, Editions
Gaud, Moisennay, 2008.
Plus vite !!!, Catalogue de la troisième exposition internationale de
photographie au sténopé, Editions Marino, Paris, 2009. 4-4-4,
Catalogue de la quatrième exposition internationale de photographie au
sténopé, Editions Marino, Paris, 2010.
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