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l'auteur
Interview par
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Denis BaudierInterview par Henri Peyre
Denis Baudier, comment en êtes-vous venu à la photographie ? Denis Baudier : Ce medium m’a toujours fasciné. Ma première série remonte aux années 1970 lorsque, adolescent, j’ai eu l’idée de photographier les Halles au vin de Bercy, alors promises à la démolition, à l’aide d’un Instamatic, un petit appareil argentique pas cher. Je voulais garder un souvenir de ce lieu qui se trouvait à côté de chez moi à Paris. Mais plus encore que par les images, j’étais captivé par le processus physico-chimique associé à la photographie - prise de vue, révélation, tirage - qui regorge de phénomènes assez étranges. Quand on lit des ouvrages de vulgarisation scientifique, on se dit que la lumière est quand-même quelque chose d’assez dingue, et que la cuisine photo est un véritable concentré de physique quantique !
Les galeries que vous présentez en ligne en https://denisbaudier.odexpo.com semblent au premier regard assez diverses. Pour vous, quel est leur dénominateur commun ? Sans doute cette impression de diversité est-elle pour partie liée au fait que je pratique principalement deux genres photographiques, le paysage et la nature morte, avec deux états d’esprit distincts : classique pour le premier, plus expérimental pour la seconde.
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Pourquoi ce contraste ? A mes yeux, il en va du paysage comme de la littérature : il y a eu dans les années 1970 des tentatives « expérimentales » pour révolutionner le roman, chambouler le langage, bousculer les codes, tendre vers l’abstraction narrative mais ces expériences – légitimes en leur temps – ont globalement tourné court parce que dans le fond, rien ne vaut une bonne histoire bien racontée. De mon point de vue, le paysage photo, c’est un peu pareil, rien n’est plus beau qu’un beau paysage « classique », bien photographié. Avec la nature morte, en revanche, il y a moins de contraintes, je me sens moins tributaire du monde réel et plus libre d’explorer.
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Il y a aussi le fait que je déteste me répéter. Une fois que j’estime une série achevée, elle est close, et j’essaie de trouver d’autres voies pour la suite, d’aborder les choses sous un autre angle. J’espère qu’il y a une cohérence dans tout ça. |
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Si vous regardez attentivement la page des galeries de mon site, vous noterez l’importance des lignes, des fentes, d’une forme de striation. De même, je considère que Volumes, L’origine du monde et La danse de l’argentique constituent en quelque sorte une « plongée » progressive dans le grain photographique, à trois échelles différentes. Et que la série « figurative » Montagnes de sable, qui les côtoie, parle aussi de grains, de même que les Portraits froissés, qui montre des visages comme composés de grains de lumière. A l’échelle microscopique, la lumière est composée de grains, les photons. Je pense que mon travail a beaucoup à voir avec la lumière, donc avec le grain, qui est une notion photographique, mais aussi cosmologique : si l’on en croit les astrophysiciens, c’est parce qu’il y a eu des petits grains dans la soupe primordiale au moment du big-bang qu’il y a des étoiles et des planètes, qui sont des petits grains…
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Y a-t-il une chose en particulier que vous désirez atteindre par la photographie ? Je cherche à faire de l’art, qui constitue pour moi le Graal de l’existence…
Percevez-vous une évolution dans votre travail ? S’il y en a une, elle n’est assurément pas linéaire. Je cherche… Des fois je trouve, d’autres, je m’égare…
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Dans la photo Açores de Paysage en suspens, malgré le plongeur arrêté dans le temps, on a l'impression que l'organisation des choses, l'ordre du monde, vous importe plus que la suspension du temps. C'est une interprétation qui vous convient ? Oui, cette image fait ressortir un certain contraste entre l’océan, furieux, impétueux, menaçant, et le côté balnéaire, insouciant et domestique de la partie « piscine ». La plongeuse, saisie à ce moment là, semble en équilibre fragile entre ces deux états du monde… Une métaphore de l’existence ? Pourriez-vous dire que vous travaillez sur la peau des choses Absolument, pour moi la lumière est un voile, une peau, qui donne une consistance au monde, voire qui est sans doute même la substance des choses – je suis un grand admirateur de Fra Angelico, le peintre du Quattrocento, qui est par excellence le peintre de la lumière-substance. Je suis l’un de ses lointains disciples.
La série La danse de l'argentique illustre votre intérêt pour le medium et un travail expérimental et abstrait. De quand date cette série ? Est-ce une voie d'avenir pour vous ? Cette série a déjà une vingtaine d’années, mais je l’ai peu montrée, parce qu’elle est très éloignée de la photo classique et que je ne savais tout simplement pas à qui la présenter. Elle ne rentre pas facilement dans les cases, et la plupart des acteurs de la photo française s’adressent au grand public, et ont du mal à présenter des choses trop « différentes ». J’aimerais beaucoup qu’elle puisse trouver un public plus large.
Qui a eu de l'influence sur vous dans votre photographie ? Quand j’étais au lycée, je fréquentais souvent le rayon photo de la bibliothèque du centre Georges Pompidou, où je feuilletais les livres de Cartier-Bresson et des humanistes, très prédominants à l’époque. Un peu plus tard, j’ai reçu un véritable choc en découvrant Park City, le livre mythique de Lewis Baltz, qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais connu jusqu’alors. Un OVNI, et une remise en cause profonde. Je découvrais une forme de modernité photographique, qui rompait radicalement avec les canons humanistes dont j’étais imprégné. Son travail relève d’un individualisme philosophique, on pourrait dire absolu, dans le sens où chez lui, rien ne fait corps, unité, ensemble. Toute chose est renvoyée à ses composants élémentaires. C’est vertigineux, mais très américain. J’ai donc été heureux quelques années plus tard de découvrir le travail du paysagiste Thibaut Cuisset, qui, tout en ayant assimilé cette modernité, l’a déclinée dans une version française extrêmement savoureuse et profonde. |
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Pensez-vous qu'il y a une façon particulière d'aborder le monde quand on est photographe ? Oui, certainement, les photographes sont pour la plupart des gens modestes, car nous ne jouissons pas de l’aura des Beaux-Arts (peinture, sculpture) ; nous ne sommes pas des démiurges, mais des témoins du monde, dont nous faisons partie. Nous ne le regardons pas d’en haut, mais à hauteur d’homme.
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Dernière modification de cet article : Décembre 2023 |
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