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l'auteur


Cyrille Weiner

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cyrille.weiner@gmail.com
https://cyrilleweiner.com

Cyrille Weiner studio
214 rue Étienne Marcel
93170 Bagnolet
00 336 03 83 89 15

Co-fondateur et directeur éditorial
de Atmosphériques Narratives
www.atmospheriquesnarratives.com

   

 

 

 

Cyrille Weiner :
Jour de fêtes

 

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

Cyrille, quand avez-vous réalisé cette série ?

C’est une série pour laquelle j’ai pris mon temps. Je l’ai entreprise en 2008 et les dernières photos datent de 2016. Je n’exclus pas de la faire évoluer. Il y a eu des errances et des tentatives dans sa progression. Elles constituent encore des voies d’exploration possibles. Je m’étais intéressé à la lumière de villages isolés dans la campagne, des lotissements en construction aussi de nuit en lisière de ville. Mais je n’étais pas suffisamment satisfait. En tous cas ça ne fonctionnait pas avec les photos qui constituent aujourd’hui Jour de fêtes.
Sur les dernières photos réalisées, le regard se retourne complètement pour ne photographier que la projection de lumière sur les arbres et leurs feuillages. Je réaliserais volontiers d’autres photos dans cette voie.

"Jour de fêtes" fait immanquablement penser au film "Jour de fête" de Jacques Tati. Le rapprochement est-il juste un jeu de mots ou constitue-t-il pour vous quelque-chose de plus profond ?

La référence à Tati est présente dans mon travail de manière plus large. J’ai découvert Tati assez tardivement. Alors que je terminais mes études à l’ENS Louis Lumière, en 2001, je réalisai la série Avenue Jenny(1). Quand je montrais les photos beaucoup de gens évoquaient l’univers des films de Jacques Tati que je connaissais très peu. J’ai d’abord regardé Playtime et ce fut un choc visuel intense : je découvrais un propos et une forme dans laquelle je me retrouvais de manière très profonde. Je ressentais une immense proximité avec sa pensée et son regard. L’anticipation de l’évolution de la ville ultra normative, une photographie dont la distance et la dimension des corps dans l’espace était celle que je recherchais. Et d’un point de vue formel, une dimension  picturale caractérisée par une précision des compositions et une finesse de l’approche chromatique. Tout cela résonnait très précisément avec ce que je commençais à mettre dans mes projets photographiques.

Par ailleurs je me suis souvent positionné en réaction critique à la ville trop normée, trop rigide, qui ne laisse place à aucune improvisation. Je me suis intéressé à des lieux de libertés, à la marge, en dehors des normes, où l’enchantement trouve sa place. Jour de fêtes recherche un possible enchantement.

Aussi, dans mon esprit, le jeu de mots se situe autour de « jour », qui fait référence au temps à travers la notion de lumière. Et, en architecture, le jour est aussi une ouverture pour éclairer une partie d’un bâtiment.

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Vous basez souvent votre photographie sur des oppositions. Ici par exemple la forêt sombre et la nature, contre la fête éclairée et artificielle. Pourriez-vous dire que votre travail s'intéresse à la notion de frontière ?

La notion de frontière est présente dans mon travail dans le sens où je m’intéresse souvent à des lieux poreux, des marges, des interstices, à des territoires de friction, entre ville et campagne. Mais ce n’est pas tant au sens territorial ou géographique que j’articule ma réflexion. C’est plutôt par le rapport à la norme, à une friction entre ce qui vient d’en-haut,  les espaces aménagés par les politiques, les urbanistes et ce qui vient d’en-bas", les expériences individuelles, vernaculaires, les aménagements et les appropriations de chacun. Je me suis beaucoup intéressé à des expériences d’individus qui résistent et échappent aux espaces et aux modes de vie normalisés.
 
La frontière n’est pas que physique, géographique, elle peut être mentale ou imaginaire.
La métaphore, l’allégorie et l’imaginaire sont des moyens d’exprimer des idées dans Jours de fêtes : l’imaginaire ou l’illusion d’une urbanité marquée d’enchantement ; une nature contaminée par le spectacle, l’excès ; un point de vue sur la ville qui pourrait être celui de l’animal…

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Diriez-vous que vous êtes plutôt un photographe social ou plutôt un photographe soucieux d'architecture et d'espace ? 

Je ne me considère pas comme un photographe social, à moins que vous entendiez concerné par des enjeux sociétaux. Soucieux d’architecture et d’espace bien sûr.

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Vous critiquez souvent la normalisation de l'espace dans les sociétés modernes(2), et y opposez les milieux marginaux ou précaires à la périphérie des villes. Or dans cette série, vous opposez à une nature sombre et menaçante une magie venue de la modernité humaine. C'est un renversement du regard ? Ou au fond, l'idée simple de l'irruption d'un monstrueux ne serait-elle pas plus intéressante pour vous que le discours social ?

La nature dans cette série n’est pour moi ni sombre ni menaçante. On regarde à travers elle comme un animal, et elle est aussi une surface sensible sur laquelle la lumière de la fête foraine se projette. On pourrait dire aussi que la lumière contamine cette nature.

Une modernité allégorique, enchanteresse, menaçante et catastrophique de manière ambivalente, fait irruption. Cette idée m’intéresse en effet plus qu’un discours social. Dans tous les cas je souhaite que le spectateur s’approprie les images et les interprète selon sa sensibilité. Je ne cherche jamais à imposer une lecture ou un point de vue unique.

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Dans la photographie, qu'est-ce qui vous intéresse le plus : la notion de temps, la notion d'espace ou la question sociale ?

La notion de temps. Je pense aborder l’espace sous une dimension temporelle.
Le temps long du changement, de la transformation, l’idée d’une chronophotographie lente m’intéresse beaucoup. L’ambivalence de l’avant et de l’après, de la construction et de la déconstruction.
Mon travail se situe sur le temps long. J’ai passé plus de dix ans à photographier un même lieu pour La Fabrique du pré(3).

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Comment êtes-vous venu à la photographie ?

Par l’album photo de famille. Mon plus lointain souvenir remonte à mes 3 ans. Je me souviens que dès que j’arrivais chez ma grand-mère, je lui demandais de me montrer des photos de famille. J’étais fasciné par ces photos anciennes. Je pense que j’aimais à la fois l’objet et ce qui était représenté, les moments du passé. Je pense avoir pris conscience assez tôt du ça a été.

Vers mes 12 ans je suis tombé sur un Kodak Retina appartenant à mon grand père. Il fallait tout régler. Je suis allé chez le photographe de quartier qui m’a expliqué comment ça fonctionnait, le diaphragme, la vitesse, les ASA, la grille d’exposition imprimée sur le carton de la pellicule… C’est parti comme ça, très tôt.

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Quels sont aujourd'hui vos auteurs de références ?  Et y a-t-il une pensée pour l'un d'entre eux au moment de la création de cette série ?

J’ai des références plutôt classiques auxquelles je reviens toujours sans me lasser : Walker Evans, Stephen Shore, William Eggleston, Luigi Ghirri, Jeff Wall, Paul Graham, Sophie Riestelhueber, Patrick Faigenbaum, Christophe Bourguedieu, Wim Wenders, …

Si l’on considère spécifiquement Jour de fêtes, j’aimerais alors rendre hommage à Léon Gimpel. 

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

     

Qu'est-ce pour vous qu'une bonne photographie ?

Il n’y a pas de bonne ou ou de mauvaise photographie. Mais une image peut nous toucher, nous hanter, nous attirer sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Une photographie peut modifier notre perception, éveiller quelque-chose d'enfoui dans notre inconscient…

 


Série Jour de fêtes - ©Cyrille Weiner 

   

 

Avec quel appareil a été faite cette série ?

Je l’ai réalisée avec une chambre Arca-Swiss f-line métric équipée d’un corps avant en 110 et d'un corps arrière en 140 et du soufflet de la Misura. Les photos sont prises en 4x5 inch sur de la Kodak Portra.
 
C’est une chambre qui a évolué. Je suis parti d’une f-classic 6x9 que j’ai remplacé ensuite par une f-metric 6x9. Plus tard j’ai acheté un corps arrière 4x5 et le soufflet Misura.
J’utilise selon les projets la chambre en version 6x9 ou alors avec le corps arrière 4x5.
J’utilise les formats 6x7, 6x8, 6x9, 6x12 en rollfilm, et 4x5.

 


Le cheval de trait de Roger des Prés sur le Grand Axe, Nanterre, juin 2008
Tirage pigmentaire sur papier Hanemuhle Rag mat, contrecollé sur aluminium et encadré, 100 x120 cm

   

 

Au-delà de la série Jour de fêtes cette photographie de la série la Fabrique du pré a connu un certain succès. Il semble que vous estimez qu'elle représente bien votre travail puisque vous l'avez placée en ouverture de votre site web. En quoi cette photographie représente-t-elle particulièrement bien votre travail ?

Je n’ai pas mis à jour récemment la page d’accueil mais c’est vrai que non seulement je suis souvent associé à cette photo – et plus largement à la série La Fabrique du pré à laquelle elle appartient – et qu’elle porte en elle des aspects assez caractéristiques de mon travail : la relation entre deux espaces contrastés, nature et péri-urbain, la présence humaine, une forme tableau contemplative, épurée et intemporelle.

 


Détail de l’installation Twice, galerie Laurent Mueller, Paris, mars 2015
Trois impressions sur verre 6 mm

   

 

Vous avez montré en 2015 des photographies, reprenant l'idée des diaporamas peints sur couche de verre, en faisant imprimer différents paysages superposés en transparence.
Avec cette installation, il semble que l'idée d'un espace directement indécis triomphe sur la représentation d'une intrusion comme témoin du basculement en cours.
De photographe social allez-vous devenir photographe de paysage ?

Cette installation révélait des aspects de mon approche, notamment la place de l’imaginaire, de la construction mentale, dans la fabrication des images. Elle évoquait aussi l’importance du spectateur et de lui laisser une liberté d’interprétation et d’appropriation, la possibilité d’élaborer une narration singulière à partir des photographies.
 
J’ai toujours souhaité prendre de la distance par rapport à la dimension documentaire de mon travail. Elle y est présente mais ne s’y limite pas. Je m’intéresse à des lieux, des situations, qui portent en eux des enjeux universels. Je choisis les lieux que je photographie en fonction des idées qui les sous - tendent.
C’est je pense ce qui caractérise ma pratique du paysage, que je dissocie de la seule représentation d’un territoire, pour exprimer des idées, et aussi laisser place à l’allégorie, à des imaginaires individuels ou collectifs puissants.
 
Je ne vois pas trop ce que vous entendez par « photographe social ». S’il s’agit d’aborder l’espace sous un angle politique ou sociétal, et notamment aborder les enjeux écologiques contemporains, je peux me retrouver.
Mais j’aborde les sujets aussi et surtout avec une dimension poétique et picturale. Et en ce sens je suis d’accord avec vous sur le fait que je suis de plus en plus à l’aise avec l’idée d’être photographe de paysage. Je suis par nature profondément contemplatif et je me satisfais de plus en plus à restituer cette attitude.

 
Twice, galerie Laurent Mueller, 2015 - ©Cyrille Weiner 

 

Vous dites : Je m’intéresse à des lieux, des situations, qui portent en eux des enjeux universels. Pour préciser : qu'entendez-vous dans votre réponse par enjeu universel ?

J’entends par là que je cherche des endroits et des situations qui soulèvent des questions d’ordre universel, dans le sens où les problématiques se produisent aussi ailleurs, où des idées sont sous-jacentes. Je pars du local mais je m’en extrais, je produis une distanciation. On peut parler de paradigme.

 


Twice presentée dans  Experimenting continuity, Cosmos Arles Books, Magasin électrique, Rencontres d’Arles 2015

 

Pour vous une installation comme celle-ci parle-t-elle aussi du temps ?

Comme je l’évoquais j’ai souhaité par cette installation évoquer mon processus créatif. Celui-ci s’ancre dans le temps long. Je produis des séries qui dialoguent progressivement entre-elles, je réutilise d'anciennes images dans des projets plus récents. J’aborde ma production comme un archiviste qui recherche dans un fonds. 
Sur le terrain, je suis amené à confronter la réalité avec les ailleurs qu’elle m’évoque. Je vois une chose mais je pense à une autre. 
Il y a une forme de sédimentation des images mentales et des imaginaires qui s’opèrent dans le temps et c’est ce que j’ai souhaité exprimer et matérialiser par ces photographies imprimées sur du verre, et le livre twice. 
J’ai essayé de partager cet aspect de la photographie qui, je pense, ne m’est pas singulier, mais que j’aime explorer. 


 


Deux exemplaires du livre Twice (éditions 1980) presentés sur deux lutrins
galerie Laurent Mueller, paris, mars 2015

   

Notes

(1) https://cyrilleweiner.com/en/avenue-jenny/

(2) Ecouter le podcast
https://www.visions.photo/podcasts/cyrille-weiner 

(3) La Fabrique du pré :
https://cyrilleweiner.com/fr/la-fabrique-du-pre/

(5) Twice :
https://cyrilleweiner.com/fr/twice/

 

 

 

 

dernière modification de cet article : 2023

 

 

     
     

 

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