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l'auteur
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Cyrille Weiner :
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Vous basez souvent votre photographie sur des oppositions. Ici par exemple la forêt sombre et la nature, contre la fête éclairée et artificielle. Pourriez-vous dire que votre travail s'intéresse à la notion de frontière ? La notion de frontière est présente dans mon
travail dans le sens où je m’intéresse souvent à des lieux poreux,
des marges, des interstices, à des territoires de friction, entre
ville et campagne. Mais ce n’est pas tant au sens territorial ou
géographique que j’articule ma réflexion. C’est plutôt par le
rapport à la norme, à une friction entre ce qui vient d’en-haut,
les espaces aménagés par les politiques, les urbanistes et ce qui
vient d’en-bas", les expériences individuelles,
vernaculaires, les aménagements et les appropriations de chacun. Je
me suis beaucoup intéressé à des expériences d’individus qui
résistent et échappent aux espaces et aux modes de vie normalisés. |
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Diriez-vous que vous êtes plutôt un photographe social ou plutôt un photographe soucieux d'architecture et d'espace ? Je ne me considère pas comme un photographe social, à moins que vous entendiez concerné par des enjeux sociétaux. Soucieux d’architecture et d’espace bien sûr. |
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Vous critiquez souvent la normalisation de l'espace dans les sociétés modernes(2), et y opposez les milieux marginaux ou précaires à la périphérie des villes. Or dans cette série, vous opposez à une nature sombre et menaçante une magie venue de la modernité humaine. C'est un renversement du regard ? Ou au fond, l'idée simple de l'irruption d'un monstrueux ne serait-elle pas plus intéressante pour vous que le discours social ? La nature dans cette série n’est pour moi ni sombre ni menaçante. On regarde à travers elle comme un animal, et elle est aussi une surface sensible sur laquelle la lumière de la fête foraine se projette. On pourrait dire aussi que la lumière contamine cette nature. Une modernité allégorique, enchanteresse, menaçante et catastrophique de manière ambivalente, fait irruption. Cette idée m’intéresse en effet plus qu’un discours social. Dans tous les cas je souhaite que le spectateur s’approprie les images et les interprète selon sa sensibilité. Je ne cherche jamais à imposer une lecture ou un point de vue unique. |
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Dans la photographie, qu'est-ce qui vous intéresse le plus : la notion de temps, la notion d'espace ou la question sociale ? La notion de temps. Je pense aborder l’espace sous
une dimension temporelle. |
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Comment êtes-vous venu à la photographie ? Par l’album photo de famille. Mon plus lointain souvenir remonte à mes 3 ans. Je me souviens que dès que j’arrivais chez ma grand-mère, je lui demandais de me montrer des photos de famille. J’étais fasciné par ces photos anciennes. Je pense que j’aimais à la fois l’objet et ce qui était représenté, les moments du passé. Je pense avoir pris conscience assez tôt du ça a été. Vers mes 12 ans je suis tombé sur un Kodak Retina appartenant à mon grand père. Il fallait tout régler. Je suis allé chez le photographe de quartier qui m’a expliqué comment ça fonctionnait, le diaphragme, la vitesse, les ASA, la grille d’exposition imprimée sur le carton de la pellicule… C’est parti comme ça, très tôt. |
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Quels sont aujourd'hui vos auteurs de références ? Et y a-t-il une pensée pour l'un d'entre eux au moment de la création de cette série ? J’ai des références plutôt classiques auxquelles je reviens toujours sans me lasser : Walker Evans, Stephen Shore, William Eggleston, Luigi Ghirri, Jeff Wall, Paul Graham, Sophie Riestelhueber, Patrick Faigenbaum, Christophe Bourguedieu, Wim Wenders, … Si l’on considère spécifiquement Jour de fêtes, j’aimerais alors rendre hommage à Léon Gimpel.
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Qu'est-ce pour vous qu'une bonne photographie ? Il n’y a pas de bonne ou ou de mauvaise photographie. Mais une image peut nous toucher, nous hanter, nous attirer sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Une photographie peut modifier notre perception, éveiller quelque-chose d'enfoui dans notre inconscient…
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Avec quel appareil a été faite cette série ? Je l’ai réalisée avec une chambre Arca-Swiss
f-line métric équipée d’un corps avant en 110 et d'un corps arrière
en 140 et du soufflet de la Misura. Les photos sont prises en 4x5
inch sur de la Kodak Portra. |
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Au-delà de la série Jour de fêtes cette photographie de la série la Fabrique du pré a connu un certain succès. Il semble que vous estimez qu'elle représente bien votre travail puisque vous l'avez placée en ouverture de votre site web. En quoi cette photographie représente-t-elle particulièrement bien votre travail ? Je n’ai pas mis à jour récemment la page d’accueil mais c’est vrai que non seulement je suis souvent associé à cette photo – et plus largement à la série La Fabrique du pré à laquelle elle appartient – et qu’elle porte en elle des aspects assez caractéristiques de mon travail : la relation entre deux espaces contrastés, nature et péri-urbain, la présence humaine, une forme tableau contemplative, épurée et intemporelle. |
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Vous avez montré en 2015 des photographies, reprenant l'idée des
diaporamas peints sur couche de verre, en faisant imprimer
différents paysages superposés en transparence. Cette installation révélait des aspects de mon
approche, notamment la place de l’imaginaire, de la construction
mentale, dans la fabrication des images. Elle évoquait aussi
l’importance du spectateur et de lui laisser une liberté
d’interprétation et d’appropriation, la possibilité d’élaborer une
narration singulière à partir des photographies.
Vous dites : Je m’intéresse à des lieux, des situations, qui portent en eux des enjeux universels. Pour préciser : qu'entendez-vous dans votre réponse par enjeu universel ? J’entends par là que je cherche des endroits et des situations qui soulèvent des questions d’ordre universel, dans le sens où les problématiques se produisent aussi ailleurs, où des idées sont sous-jacentes. Je pars du local mais je m’en extrais, je produis une distanciation. On peut parler de paradigme.
Pour vous une installation comme celle-ci parle-t-elle aussi du temps ? Comme je l’évoquais j’ai souhaité
par cette installation évoquer mon processus
créatif. Celui-ci s’ancre dans le temps long. Je
produis des séries qui dialoguent progressivement
entre-elles, je réutilise d'anciennes images dans
des projets plus récents. J’aborde ma production
comme un archiviste qui recherche dans un fonds. |
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Notes(1) https://cyrilleweiner.com/en/avenue-jenny/ (2) Ecouter le podcast (3) La Fabrique du pré
: (5) Twice :
dernière modification de cet article : 2023
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