Conseils aux jeunes artistes photographes
par Henri Peyre
C'est le privilège de l'âge. On peut donner à de
plus jeunes les excellents conseils qu'on a mis tant de temps à
découvrir. Ils les recevront comme nous avons nous-mêmes reçu les
conseils des anciens : avec un détachement affiché, une légère
ironie et un brin de condescendance.
Quand j'étais jeune et que voletait vers moi, dans
le contre-jour, le duvet d'un pigeon, j'arrivais à jouer longtemps
avec lui, évitant au dernier moment son contact ; par l'air que je
déplaçais il reprenait de la hauteur, accélérait brutalement avant
de revenir vers moi et le jeu recommençait. Au bout d'un certain
temps je sentais littéralement le poids de mon corps en
regardant l'envol du duvet. Seuls ceux qui ont un jour joué
avec le duvet d'un pigeon dans le contre-jour comprendront
exactement ce que je veux dire et auront le sentiment d'être
brutalement concernés.
Ainsi des bons conseils, ils ne touchent jamais
que ceux qui savent déjà !
Confusion du sujet
et de la photographie
Le public, comme les photographes amateurs,
confond le sujet et la photographie.
Il pense en toute bonne foi que l’importance du
sujet fait l’importance de la photographie. Quelques exemples :
- La photo que la jeune maman trouve la plus belle
est celle où son petit bébé tend vers elle ses quenottes charmantes.
- Votre maman vient de mourir ; déchirer une
photographie d’elle retrouvée dans la maison vide serait d’une
grande violence : vous ne le ferez pas.
- Tel veut être un grand photographe : il prend
des photographies de vedettes.
Conseil
numéro 1 : soyez attentifs à ne pas confondre l’importance du sujet
et l’importance de votre photographie.
La confusion du sujet et de la photographie a longtemps été
entretenue par le photo reportage
Le photo reporter croit souvent qu’il existe un
instant décisif, un moment qui, capté, résume une situation sociale
ou politique complexe.
Il peut même penser que sa photographie permet de
découvrir le réel, par-delà les apparences. Qu’il possède une sorte
de sur-regard, capable de dévoiler l’essence du sujet.
Mais cette croyance vient de la prise de
conscience que le simple cadrage est une opération éditoriale, qui
gêne la neutralité revendiquée. D’où l'invocation d'une croyance
magique pour sauvegarder malgré tout l'illusion de la neutralité.
Conseil
numéro 2 : ne perdez pas votre temps à revendiquer la neutralité
photographique. Elle n’existe pas.
Il n’y a pas d’image sans cadrage
Le photographe prend une image d’un endroit à un
moment donné. Il y a évidemment une chose montrée. Mais autour de la
chose montrée, le monde est infiniment vaste. Je peux parfaitement
photographier une jeune femme confectionnant un bouquet de fleurs,
tandis qu’un homme en égorge un autre pas très loin. Le photographe
peut le savoir, il peut aussi l’ignorer. Dans une image il y a tout
autant ce qu’on décide de montrer que tout ce qu’on ne veut pas
montrer ou tout ce qu’on ne sait pas. Le cadrage est un choix. Et un
choix qui cache infiniment plus de réel qu’il n’en montre, puisque
le monde est vaste, et le cadrage circonstanciel. De la
faiblesse faites une force.
Conseil
numéro 3 : Le cadrage montre très peu du réel, arrangez-vous pour
qu’il montre le plus possible votre choix.
La photographie
est une image fabriquée
Les possibilités de réglage de l’appareil
(profondeur de champ, température de couleur, netteté), la hauteur
et l’angle du point de vue, les post-traitements possibles, font que
non seulement le cadrage a une signification mais que le traitement
de ce qui est cadré peut être parfaitement déterminé. Il n’y a pas
dès lors à avoir le moindre complexe par rapport à un réel qui est,
de toute façon, transcrit. La question que vous devez vous poser est
en fait celle-ci : pourquoi représenter la chose d’une façon plutôt
que d’une autre ?
Conseil
numéro 4 : Déterminez la nécessité de représentation qui vous anime,
et traduisez cette nécessité dans un style de représentation.
Ce que vous fabriquez
est aussi du réel
Si vous avez accepté que le réel ne soit pas le
résultat de la prise de vue, vous pouvez tirer encore la conclusion
qui vient juste après. Rien ne vous empêche désormais de fabriquer à
votre tour des sujets photographiques. Ou, disons, les sujets que
vous aimeriez prendre en photographie, puisque normalement vous
devez commencer à savoir quels sont ces sujets. D’abord cela vous
aidera à ne plus arpenter le monde jusqu’aux antipodes pour
collecter ces sujets précis, devenus aussi rares que votre goût
s’est spécialisé. Ensuite vous pourrez travailler ces sujets à la
source, dans le réel, pour diminuer les post-traitements à appliquer
sur ces sujets et aller plus loin dans votre style.
Conseil
numéro 5 : Fabriquez vos sujets en fonction de la représentation,
fixée à l’avance, que vous désirez obtenir.
La photographie
a ses caractéristiques propres
Parmi tous les moyens de représentation, la
photographie a ses caractéristiques propres. Elle est d’abord image,
comme la peinture l’a été avant elle. La peinture a dû céder au
tournant du XXème siècle la représentation à la photographie qui
dessinait plus vite que le peintre, et devenir de plus en plus
abstraite, en se tournant vers la mise en valeur de son propre
matériau. Mais les peintres ont exploré le champ de l’image
plusieurs siècles avant que les photographes ne leur arrachent la
représentation. Faire de la photographie abstraite ne semble donc
pas très malin, par contre s’intéresser à ce que la peinture
figurative a pu produire est une voie d’instruction riche.
Conseil
numéro 6 : Intéressez-vous aux images portées par la peinture
figurative.
Le public de vos photographies
Dès le départ demandez-vous pour qui vous
travaillez. Si vous voulez avoir un succès mondial auprès de
millions de personnes, photographiez des vedettes. Le grand public
confond le sujet et la photographie. Si vous aimez les spaghettis
plus que tout, faites un travail inouï autour des spaghettis : avant
d’en tirer des satisfactions photographiques, vous en tirerez un
réel épanouissement personnel. Une chose est sûre, la route est
longue, donc il vaut mieux travailler avec les choses qu’on aime
déjà.
Conseil
numéro 7 : Travaillez pour vous sur ce que vous aimez, ou
photographiez des vedettes si vous désirez vous enrichir en restant
stupide, mais ne vous plaignez pas, ni dans un cas ni dans l’autre.
C’est vous qui faite l’œuvre,
pas le public
Comme en politique, nous sortons d’une période où
la communication, dans l’art, a eu tendance à balayer le fond. Les
études en communication ont montré que le spectateur aimait une
œuvre beaucoup parce qu’il s’y projetait. Mais il en a été tiré la
conséquence fausse, devenu discours dominant, qu’il fallait laisser
le public construire l’œuvre au côté de l’artiste. En réalité c’est
vous qui faite l’œuvre, pas le public. Et si vous faites l’œuvre
c’est que vous avez quelque chose à dire.
Conseil
numéro 8 : Si vous n’avez rien à dire, ne faites pas de
photographie.
Pas de faux mystères
Pour la même raison, ce n’est vraiment pas la
peine d’essayer d’apporter exprès de grands mystères dans votre
photographie. Comme vous ne serez pas compris si vous avez quelque
chose à dire et comme de toutes façons le public, qui n’a forcément
pas la même culture que vous, projettera des choses que vous
n’imaginez pas sur ce que vous avez proposé, les mystères se
créeront d’eux-mêmes et en bien trop grand nombre.
Conseil
numéro 9 : Si vous avez quelque chose à dire, soyez le plus clair
possible. Il y aura toujours trop de mystères autour de ce que vous
voulez montrer.
Expliquez ce que vous désirez faire
Les gens sont tout à fait capables de vous
comprendre, à condition toutefois que vous expliquiez précisément ce
que vous avez voulu faire. Et quand ils ont compris, ils sont tout à
fait capables d’apprécier par eux-mêmes si vous avez atteint les
objectifs que vous vous étiez fixés et d’apprécier la performance.
Mieux, le public est dans l’ensemble bienveillant et accepte très
volontiers d’être épaté.
Conseil
numéro 10 : Ne méprisez jamais le public ; expliquez toujours vos
objectifs et votre démarche. Acceptez d’être jugés sur les résultats
atteints.
Ne vous laissez pas manger par l’action
Il est toujours très rassurant d’entrer dans un
processus technique connu et répété, qui donne l’impression qu’on
est actif et qu’on fait quelque chose. Mais les sirènes du « Work in
progress » cachent souvent bien mal l’absence de pensée avant
l’action. Si vous ne réfléchissez pas avant de commencer l’action,
si vous ne prenez pas souvent le temps de réfléchir en interrompant
l’action, vous vous rassurerez peut-être en montrant à vous-même que
vous travaillez beaucoup, mais rien de ce que vous ferez n’aura
peut-être la moindre importance.
Conseil
numéro 11 : l’action n’est qu’une exécution de la pensée. Si vous
n’avez pas l’impression que la photographie que vous êtes en train
de réaliser n'est que l'exécution d'un ordre interne préalable,
doutez de vous, et doutez de l’importance de ce que vous faites.
Le temps mange les plus beaux discours, et bientôt il ne restera
que l’œuvre
S’il vous faut inévitablement expliquer votre
travail pour améliorer sa réception, il faut faire attention à ce
que votre photographie soit la plus belle possible. Si la matière et
la présentation atteignent un sommet, votre photographie gardera une
valeur au travers du temps, bien après que le discours qui l’a
supporté au début ait disparu. La photographie pauvre meurt dès que
le discours qui la légitime disparaît.
Conseil
numéro 12 : Faites les plus belles images possibles. Un jour chacune
de vos photographies devra tenir seule, au mur, dans un grand
silence et en face de quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de
vous. Si vous voulez durer, pensez-y.
dernière modification de cet article
: 2018
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