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l'auteur
Yann Datessen
né le 30 Avril
1977,
vit et travaille à Paris
www.yanndatessen.fr
Tel : 06 23 20 17 62
Mail : oscitere@gmail.com
2013 :
Fondateur / Rédacteur en chef, web-revue "Cleptafire", France.
Depuis 2012 : Chargé de cours sur la photographie à l'université
Paris-La Sorbonne. |
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Cleptafire,
web revue bi-annuelle
Une interview de Yann Datessen
Qu'est-ce que Cleptafire ?
Nous présentons Cleptafire comme
une "web-revue" biannuelle -nous espérons faire mieux : quadrimestrielle
dès l'année prochaine. Nos pages se consacrent avant tout à la
photographie contemporaine internationale mais aussi, et de plus en
plus, à la littérature. Comme point de départ nous avons travaillé sur
l'idée du "livre d'artistes collectif", un livre d'artistes certes
virtuel mais qui aurait autant le souci du fond que de la forme. En ce
sens nos références lorgnent du côté de l'objet légendaire qu'est
Caméra Work. Notre objectif à moyen terme est de proposer un tirage
papier de nos numéros.
Le concept de Cleptafire est assez
simple : à chaque numéro nous présentons le travail de 12 photographes.
En parallèle nous demandons à des écrivains ou autres plumes
d'intervenir en vis à vis des images et de proposer un texte original
sur ce que l'univers du photographe leur inspire. A côté de cela, des
rubriques fixes se sont mises en place, elles font d'avantage de place à la
création littéraire, même si l'image y est toujours plus ou moins
corrélée. Ces rubriques peuvent être le pré carré d'un auteur en
particulier ou ouverte à l'intervention d'un invité.
Pourquoi le nom de
Cleptafire ?
Pour trouver un titre à cette aventure, à
ce refuge, nous tournions autour de l'idée de "voleurs",
voleurs oui, mais de quoi ? Voleurs de lumière, voleurs d'images
peut-être, voleurs de vertiges, voleurs de scalps, tout y est passé.
Sans compter que les voleurs de couleurs étaient déjà pris par Kodak. A
Cleptafire nous considérons la photographie comme un médium
fondamentalement immanent et libertaire, destiné aux hommes et à eux
seuls, qui serait un éloge de l’éphémère et de la vie ici-bas, un
prolongement mécanique qui améliore un peu les faiblesses de nos sens :
une machine à œil de feu. Aussi, le terme de voleurs de feu nous
a rapidement emballé, nous pouvions rendre hommage à Prométhée et à
Rimbaud... nous avons alors pris la racine grecque "kleptein" qui
veut dire "voler" et l'avons associée à l'anglicisme "fire" que
nous prononçons cependant à la française.
Une photographie de Mark Dorf, interviewé
sur Cleptafire en février 2014
Quelles personnes y a-t-il
derrière le magazine ?
J'en suis le fondateur, le rédacteur en
chef, et le curateur ! Pour dire que je connais bien le chemin qui mène
du four au moulin : on ne vole pas de feu sans un petit grain à moudre.
Hormis les auteurs qui disposent de leur propre rubrique, l'équipe est
en fait renouvelée à chaque fois. Depuis maintenant trois numéros nous
avons collaboré avec autant d'amoureux de l'image que peut en compter
nos relations, les relations de nos relations, et ceux qui, inconnus de
nos cercles, se proposent librement.
Comment êtes-vous venu
vous-même à la photographie ?
De culture et de formation plasticienne,
j'ai d'abord voulu être peintre. Cependant la photographie était là, pas
loin, et me faisait régulièrement des clins d'œil. Après plusieurs
rendez-vous manqués avec elle, j'ai fini par tâtonner plus sérieusement
avec de très modestes boîtiers : dans un premier temps pour m'aider dans
des dessins préparatoires et fixer les poses de modèles. Puis je me suis
pris au jeu, j'ai commencé à entrevoir ce médium comme un véritable
moyen d'expression. L'arrivée du numérique et la liberté qu'il offrait
m'a encouragé. Au final, lorsque je me suis aperçu que je transposais ma
recherche de peintre (je travaillais alors déjà sur le format du
polyptyque) à celle de mes nouvelles amours, j'ai plongé... Quelques
temps après ce basculement, on m'a offert l'occasion d'exposer mes
premiers travaux dans un musée aux côtés de grands photographes, ce qui
m'a définitivement "converti" je dirai.
Comment faites-vous les
choix des photographes présentés ?
La première impulsion fut d'abord de
promouvoir la photographie qui se terre dans l'immensité océanique du
réseau. D'où qu'ils viennent, quoi qu'ils fassent, il s'agissait de
"débusquer" avant tout des talents complètement méconnus. Les
géographies parcourues s'appelaient alors Flickr, Tumblr, déviant'art,
Facebook et j'en passe.
Puis parce que le premier numéro de la
revue a éveillé quelques curiosités, des photographes plus médiatiques
se sont aussi proposés pour participer au second (à ma grande
surprise) ; je leur ai laissé une place me disant qu'ils aideraient à
mettre en lumière nos trouvailles. Désormais, sur 12 photographes
retenus à chaque fois, il y a un tiers de confirmés, un tiers
d'émergents -comme on dit, un tiers d'inconnus ou de photographes
candidats qui soumettent leur série. C'est aujourd'hui notre équilibre.
La couleur de Cleptafire est plutôt
orientée photographie plasticienne, celle que je pratique et que je peux
le mieux appréhender. Pour autant toute la photographie m'émeut, et
puisque cet art est celui qui dispose le moins de cloisons étanches
entre les nombreuses familles qui le composent (mode, documentaire,
reportage, plasticiens, etc.), nous défendons toute les pratiques, pour
autant qu'elles proposent un discours, un tempérament, une pugnacité,
une incandescence.
Concrètement, je m'appuie sur mon envie,
sur ce qui occupe mes propres recherches, mes recherches de photographe
ou mes recherches de vie : comme un collectionneur en somme. Mais
j'essaye aussi de respecter un équilibre entre les thèmes abordés dans
les séries sélectionnées, l'âge des photographes, les familles
auxquelles ils appartiennent, sur ce que l'on a déjà dit d'eux et de
leur travail : cela ne nous gène pas de dénicher un projet vieux de 10
ans si nous ne trouvons pas de textes qui a notre goût lui rend hommage
à sa juste valeur. Je fais le plus gros du repérage, demande à la petite
équipe qui m'entoure de valider ou non mes choix. La sélection faite,
nous abordons les artistes qui la plupart du temps (connus ou pas) sont
très accessibles, nous disent "oui" ou "non" mais toujours avec des
encouragements et un véritable intérêt.
Yann Datessen - Echo II - série Zoo des nymphes
Qu'est-ce que vous
aimeriez que le public pense de Cleptafire ?
Pour nous la priorité des priorités est
l'originalité. Nous aimerions que l'on nous reconnaisse une certaine
inventivité, dans le traitement et dans les approches que nous faisons
de l'image. Nous aimerions aussi nous démarquer des textes "fourre-tout"
que parfois des spécialistes comme des galeristes ou des critiques
écrivent pour leurs protégés : des litanies souvent informes, absconses,
où l'on se rend parfois compte que le travail du photographe est mal
compris ou a été mal regardé (voire pas du tout) ; c'est d'ailleurs le
retour principal que nous font les photographes à "résidence" chez nous,
ils nous remercient d'avoir vraiment pris le temps de fouiller dans leur
œuvre et d'avoir réfléchi à ce qu'ils font.
Qu'est-ce pour vous qu'une
bonne image photographique ?
D'un pur point de vue de recherche
personnelle, je me sens toujours en délicatesse avec la question. Car ma
façon de concevoir la photographie n'est finalement pas très
photographique. Comme je procède par associations d'images et non pas
par image unique, comme je me sens plus à l'aise dans la notion de
séquençage, j'ai plutôt le souci de la narration. Je m'interroge sur ce
qui s'assemble ou se rejette, sur ce qui se lie ou se fracture, sur ce
qui, dans l'image, rapproche livre, cinéma et photographie - en ce sens
Chris Marker me parle beaucoup. Pour moi l'essentiel est de parvenir à
un bon assemblage, une bonne ellipse. la notion classique de "bonne"
photographie n'est du coup pas une chose qui occupe véritablement ma
façon de faire, comme beaucoup de mes contemporains je me sens très
éloigné du concept d'instant décisif ou d'image qui se suffirait à
elle-même.
Ceci étant dit, il se trouve que
j'enseigne aussi le médium à l'université... Et je me verrai mal faire
cette réponse à mes étudiants. Je passe d'ailleurs le plus clair de mon
temps à leur expliquer ce que peut être une image honnête ou comment on
peut essayer de bien la "construire". Je vais donc me risquer à
répondre !
Que ce soit pour une image photographique
ou une image fixe issue d'un autre média /médium, il y a quelque chose
sur lequel on peut s'entendre : le fond et la forme - encore et
toujours. Les deux doivent s'accorder, cela me paraît une base, un
objectif sur lequel l'on peut fixer le cap. Il ne s'agit plus,
aujourd'hui, de savoir si tel ou tel théoricien de l'art a raison en
disant qu'une image bien faite est préférable à une image bien pleine ou
inversement, cependant si nous pouvons obtenir les deux sans trahir ce
que l'on avait à dire à l'origine, c'est le signe, selon moi, d'une
certaine maitrise de son sujet... Je reste encore stupéfait que
d'imminents penseurs croient encore au "Beau", au Beau avec un grand B,
un beau universel et Kantien ; l'inverse m'étonnant d'ailleurs tout
autant : le discours qui défend avec fort verbiage l'idée finalement
simpliste que les goûts et les couleurs ça ne se discute pas ! Sans
ériger des critères absolus et divins ou au contraire sans décréter que
tout se vaut et que n'importe qui peut s'y mettre : on doit quand même
pouvoir s'entendre sur ce qu'est une bonne image ; c'est pourquoi en
photographie pareillement je n'adhère pas tout à fait aux images
"platoniciennes" : décisives, objectives et pures, dénuées parfois de chair,
comme je m'ennuie aussi très vite à une subjectivité éhontée,
autistique, qui ne prend pas en compte le regardeur, et qui souvent
oublie la dimension naturellement documentaire de l'image
photographique, nous privant par les faits de toute entrée dans son
univers. Aussi je trouve que depuis environ vingt ans, la jeune
génération, forte d'une synthèse entre les écoles analytiques,
intellectuelles et utopistes et celles célébrant plutôt l'auteur,
l'instinct et l'éphémère, propose un discours des plus pertinents.
Quand beaucoup de photographes
d'aujourd'hui ont su réinvestir le champ parfois austère de
l'image-document à grand renfort de poésie, d'autres ont apporté dans le
même temps une certaine neutralité, une rigueur nécessaire aux
ramifications de la photographie intimiste. Ces nouvelles lignées nous
offrent à voir des images moins intransigeantes, moins autoritaires,
moins dogmatiques, elles ont une souplesse qui fait écho au monde
multi-iconographique dans lequel nous vivons.
Ainsi je pense qu'une "bonne" image est
celle qui n'impose pas et fournit au contraire plusieurs possibilités,
plusieurs portes d'entrée. Pour qui la regarde, elle doit pouvoir livrer
des choses tout de suite, retenir n'importe qui... Mais on doit aussi
pouvoir, plus tard, en y revenant, découvrir d'autres chemins, elle doit
avoir une longueur non pas en bouche mais au regard... Tour à tour c'est
une énigme à déchiffrer et un plaisir immédiat. Une cosa mentale
et un trouble pour la peau. Comme le bon vin donc. Pour moi, le quidam
et le spécialiste s'y s'entendent toujours et si ce n'est pas pour les
mêmes raisons, c'est encore mieux. Une bonne image a volé quelque chose
du feu. Oui, c'est un incendie qu'on n'éteint pas.
Cleptafire - février 2014
Quel rapport y a-t-il pour
vous entre l'art et la communication ?
Tout dépend ce que l'on met sur le mot
"communication". Il est biaisé par tellement de malentendus, ce qu'en
font par exemple les professionnels de la discipline, publicitaires en
tête, parfois la presse et toute la cohorte de ce que l'on appelle "les
communicants" (communicants qui ont d'ailleurs rebaptisé le mot pour
mieux le vendre : ne parle-t-on pas aujourd'hui de "com" ?). A
tort ou à raison, c'est un mot qui dans son entendement contemporain
appelle à la méfiance sinon à la défiance. Si on accepte cet apriori
suspicieux, je pense que les deux, art et communication, d'un point de
vue formel, peuvent partager certains effets de manches, car tous deux
sont des prestidigitateurs qui savent faire passer des vessies pour des
lanternes, des diodes pour des lucioles. Et c'est parce que la finalité
en art ne devrait jamais être de plaire que l'art se différencie, sur ce
seul critère, avec l'idée d'une communication cynique et mercantile.
En revanche, si l'on garde l'étymologie de "mise en commun", alors la
communication est beaucoup plus proche de ma vision de l'art.
Personnellement j'ai toujours voulu être artiste pour dire des choses,
même si ces choses sont des illusions, des mensonges, le principal est
de présenter un univers, en dépeindre les atours, et si par bonheur il
peut se connecter avec celui d'autrui, il y a là un véritable
aboutissement. L'art invite au débat des sens et l'artiste devrait se
faire "grand reporter" d'un endroit où il est le seul à pouvoir aller :
son imaginaire. L'art doit inventer de nouveaux langages, résoudre les
incapacités à dire, à montrer, à sentir et ressentir, l'art doit mener
un combat à mort contre le silence et en fixer d'authentiques vertiges -
pour le dire encore une fois comme Rimbaud. A mon sens : si communiquer
est bien une passion d'artiste, plaire en est une de communicants. |