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le photographe
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Claude Belime : Après les vacances
Claude, quasiment dès le début de la préparation
de cet interview, vous avez cité ce texte : Voilà un départ très abrupt. Pour commencer à répondre à votre question, je crois que nous sommes tous des survivants, nous « vivons sur ». En effet, nous sommes le fruit de l’histoire, de notre passé, de nos ancêtres, de nos amis et de ceux qui ont disparu réellement ou symboliquement. C’est une simple évidence. Mais cela nous met dans une posture inconfortable. Pourquoi sommes-nous ? Qui sommes-nous ? Pourquoi nous ? Pourquoi eux ? Il me semble que nous ne pouvons pas vivre innocemment. Et dans ce monde extrêmement matérialiste, essayer par quelques médiums que ce soit de dépasser cette simple condition, de s’interroger, c’est sans doute aussi accepter une survivance de l’enfance, de l’âge des questions et des possibles. Alors, oui, nous sommes des survivants, nous grandissons et nous nous construisons sur et avec un passé disparu. Mais il ne me semble pas que ma photographie soit la photographie d’un survivant, dans le sens d’un rescapé. Bien sûr, dans ces images, l’homme a disparu, et cela nous renvoie à la vacuité des choses, à notre propre finitude, à la succession perpétuelle des générations comme le lent va et vient des vagues sur la plage mais ce n’est pas l’expression d’un désespoir. Dans cette conscience, j’essaye tout simplement de vivre et de faire une photographie interrogative sur ce que nous sommes, sur ce que je suis, dans une discussion entre l’espace et ma propre solitude ontologique et dans ce sens je pratique une photographie incarnée. Dans un texte un peu ancien, je parle d’« extime », thème que j’avais emprunté à Michel Tournier et qui me semble bien exprimer cette approche de la photographie : Photographier le paysage est un questionnement de notre espace. Celui que nous habitons et qui nous habite, d’où l’on vient et où l’on retourne, dans lequel nous projetons notre imaginaire et qui nous nourrit. C’est un constant balancement, un échange permanent, entre cet extérieur et notre intime qui nous fait être. Par la photographie, j’essaie d’établir un continuum entre l’espace du dehors et l’espace du dedans. L’intime se mêle à l’extériorité, il se crée une autre entité que j’appelle « l’extime ».
La notion de limite est-elle importante dans le choix de vos sujets ? Cela a été et reste encore un axe important de mes travaux photographiques. Je parlerai plutôt de frontière, la limite étant une particularité de la frontière. La frontière est à la fois cette nécessité qui nous fait être, qui nous détermine, mais aussi cette limite qui nous sépare de l’extérieur. Nous ne pouvons être qu’à l’intérieur d’un espace. Frontière entre les états, frontière entre la vie est la mort, elle est la lisière des choses, le no man’s land, cet espace de perdition, cet intervalle flou où rien n’est plus pareil et pas encore autre. C’est l’épaisseur du changement, à la fois identité et différence. La frontière est donc en fait, un territoire immense et varié à explorer. « Il suffisait de si peu, de si infiniment peu, pour se retrouver de l’autre côté de la frontière au-delà de laquelle plus rien n’avait de sens : l’amour, les convictions, la foi, l’histoire. Tout le mystère de la vie humaine tenait au fait qu’elle se déroule à proximité immédiate et même au contact direct de cette frontière, qu’elle n’est pas séparée par des kilomètres, mais à peine par un millimètre.» (Milan Kundera, L’art du roman). Dans le paysage, la ligne fondamentale qui le structure est la ligne d’horizon. Cette ligne de tension constitue une limite, la frontière entre ciel et mer, entre ciel et terre, la démarcation mais aussi le point de contiguïté. Cette ligne aux confins du paysage nous renvoie aux confins de nous même. On la retrouve dans un certain nombre de mes travaux, notamment sur la mer, dans ces images elle apparaît souvent dans une trouée, en arrière plan.
Il n'y a pas de maison complètement perdue dans votre photographie : il reste plein de petits détails qui les rattachent encore au réel : fils électriques, tuyaux, marques de stationnement. Quel est leur statut dans votre propre interprétation ? La photographie a depuis longtemps à voir avec la trace, même si la notion de réalité de la photographie ne pose plus question aujourd’hui, puisque la photographie n’est pas la réalité. Dans ces images, tous ces détails ne font que faire ressortir l’absence de l’homme. De celui qui a été. De la vie qu’il a amenée, il n’en reste que des traces. La vacuité des choses me parait évidente et je demeure habité par ce questionnement sur l’existence des choses et des êtres. Que reste-t-il quand les hommes sont partis ? Demeure le regard sur l’envers du décor, la recherche d’une vérité sensible car finalement c’est la sensibilité qui nous fait être. Dans la pratique du paysage, l’espace est une sorte de vide
articulé par du sensible. En cela, le photographe l’habite. Et dans
cet espace orienté délimité par et pour l'homme, la photographie
compresse le temps nécessaire à la présence des choses et à leur
disparition. J’aime beaucoup cette citation qui définit bien la
pratique du paysage photographie : « Le paysage est un émetteur
d’images qui facilite le passage du conscient à l’inconscient.»
Je ne photographie pas pour maintenir quelque chose, je photographie son passage en moi. Mais si cela correspond à mon ressenti et porte ma pratique, une fois donnée à voir, l’image a sa propre vie, celui qui la reçoit l’investit avec son parcours, sa réflexion et sa sensibilité, il l’a fait sienne, parfois loin de ma propre démarche.
Quels matériels utilisez-vous pour la réalisation de ces images ? Le matériel n��est jamais qu’un moyen, mais l’outil prédispose à une certaine pratique. J’aime travailler en moyen format pour la simplicité de l’utilisation et aussi pour la posture. Le fait d’utiliser un pied oblige à un acte photographique plus lent et surement plus réfléchi, mais en même temps plus statique. Pour ma part, je travaille soit avec un Mamiya RB 6x7 soit avec un Pentax 6x7 (modèle ancien), mais je n’ai pas trouvé l’outil idéal. J’aime les capacités de mise au point du Mamiya grâce à son soufflet, la facilité du Pentax (bien que la taille de son miroir oblige souvent au pied), et surtout j’aime le format, qui laisse une ouverture, j’ai plus de mal avec le format carré qui contraint un peu trop. J’utilise aussi la chambre 4x5, j’ai une Toyo monorail qui ne sort plus souvent et une 45CF que j’utilise surtout si j’ai besoin de décentrement. Le 24x36 prend la poussière depuis un certain temps, je le sors quelques fois pour les occasions entre amis ou en famille, car il permet une utilisation très facile, à la volée, et que je n’ai pas encore investi dans le numérique, le plein format étant encore trop onéreux pour moi. J’utilise le plus souvent des focales normales ou légèrement grand-angle (90 et 65 en moyen format) plus proche du regard, comme j’aime utiliser la lumière diffuse des ciels couverts.
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dernière modification de cet article : 2009
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