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l'auteur
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Christian Carez
Comment en êtes-vous venu à la photographie ? La chance et l´amour ! Je voulais être marin, comme mes trois cousins. Malheureusement, j´ai découvert (bien tard, vers 16 ans) que j´étais daltonien. Adieu la marine, j´étais désespéré. Et très amoureux de la charmante Charlotte qui me tint ce discours: « Tu voulais être marin pour voyager, pour découvrir le monde... et si tu devenais photographe? Ça bouge beaucoup, un photographe, et puis tu pourrais t´inscrire dans la même école que moi, à La Cambre... ». Charlotte ne pouvait qu´avoir raison, cela devait être le plus beau métier du monde. Je ne l´ai jamais regretté. Et le daltonisme, au fond, ne m´a pas posé trop de problèmes.
Où et quand ces images ont-elles été prises ? En Belgique, dans la banlieue de Charleroi, le « Pays noir », de Mons, le « Borinage » et de La Louvière, le « Centre ». Trois régions dévastées, sinistrées. De 1994 à 2000. Je voulais montrer les ravages d´un système économique où l´homme compte très peu et où seul règne le profit. Les dégâts d´une société rongée par la compétition, la surconsommation et bien d´autres maladies.
Diriez-vous que vous êtes avant tout un photographe documentaire ? Dans le cas du « Jour se rêve », c´est sûr. Ce travail comporte d´ailleurs deux volets: celui que vous voyez ici, « La violence tranquille » et un autre, « Le bonheur », constitué d´un mur de 34 images carrées relevant plus, elles, du photojournalisme. Mais depuis une vingtaine d´années, je travaille aussi beaucoup sur des images mises en scène, avec ou sans personnages, souvent à partir de maquettes que j´imagine et construis dans la bulle solitaire de mon atelier. Comme « Mishmash ou la Confusion », sorte de saga du XXème siècle relatant en 36 images, vraies ou fictionnelles, ambigües, l´histoire de ma famille, celle de mes amis ou la mienne. Je prends autant de plaisir à suivre ces deux voies, d´approche pourtant bien différentes. Mais c´est le même bonhomme derrière l´appareil, et il n´aime pas trop être bien rangé et classé dans un petit tiroir.
Quels sont vos maîtres en photographie ? Ils sont différents et multiples, je crois qu´on peut très bien adorer à la fois Weegee et Karl Blossfedt. Voici, dans un beau désordre, August Sander, Raymond Depardon, Capa, Rodchenko, Walker Evans, Margaret Bourke-White, Sudek, Cartier-Bresson, Mac Cullin, Avedon, Diane Arbus, Joël Sternfeld, Nan Goldin, Willy Ronis et Robert Frank. Stefaan Van Vleteren, talentueux photojournaliste. Le Magritte photographe, encore méconnu. Le fantastique Simon Norfolk, et sa façon si particulière d´aborder la guerre.
On a l'impression que vous accordez une place très importante au ciel. N'est-ce qu'une impression ? Non, c´est vrai, le ciel, le plus souvent mobile et changeant, surtout dans mon coin, ne peut pour moi qu´être une composante essentielle de mes paysages. Même la nuit d´ailleurs, puisque je me suis pris il y a peu d´un grand amour pour l´astronomie ...
Diriez-vous que vous êtes plutôt un photographe engagé ou plutôt un photographe contemplatif ? Engagé. Le mot ne me fait pas peur mais j´aime assez le terme anglais « concerned photographer », photographe concerné, je crois que ça me va bien. Je suis un passionné d´histoire, d´histoire contemporaine surtout. J´aime rencontrer les gens. J´aime raconter les choses. Une de mes maximes préférées est « La photographie est un plaisir et doit le rester », je me fiche assez des étiquettes, des chapelles, des bisbrouilles et des margailles (*). D´où mon côté généraliste qui était très présent dans mon enseignement à La Cambre, une école des beaux-arts, à Bruxelles, fondée dans les années 20 sur des principes proches du Bauhaus
Avec quel matériel ont été faites ces images ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Les paysages ont été réalisés avec une Sinar 4X5 pouces et de l´Ilford HP5 traitée en Zone System. Puis scannés et légèrement corrigés dans Photoshop. La partie « photojournalisme » à l´aide d´un Mamiya 6X6 (pas le bi-objectif réflex, celui à télémètre qui est devenu rapidement un 6X7), également en HP5, souvent poussé à 1600 ISO. La plus grande difficulté a été de rencontrer les gens en respectant leur dignité. Le contraire d´une équipe TV qui déboule dans une cité en terrain conquis, comme dans une sorte de safari-misère. L´autre problème, surtout pour le second volet « Le bonheur » a été le temps. C´est un travail plein de lenteur et de persévérance, il faut retourner parfois cinq ou six fois chez les gens avant qu´ils vous accordent leur confiance. Et on les comprend ... à ce propos, je disais à une des nombreuses assistantes sociales qui m´ont magnifiquement aidé combien il m´étais parfois difficile de concilier mon boulot d´enseignant et mon travail personnel. C´était en 1996. Elle me prit la gentiment la main et me dit: « Allez, Christian, rien ne presse, t´en fait pas, l´année prochaine, ce sera encore pire ! ». Le présent lui donne hélas raison.
(*) En Belgique, bisbilles et autres vaines querelles
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Dernière modification de cet article : 2012
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