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Une interview d'Angus BoultonAngus
Boulton est un photographe anglais que j'ai découvert à Paris-Photo
2004. Attiré par ses tirages couleur d’anciennes bases militaires
soviétiques abandonnées et ses photos de Berlin, une ville qui m’a
toujours fasciné, j’ai rencontré Angus « virtuellement » sur le
forum de Galerie-Photo, et je corresponds depuis avec lui. Cette
interview, réalisée en anglais et traduite par mes soins, est
destinée à vous faire mieux connaître son travail.
J.-P. : Angus, comment êtes-vous venu à la photographie ? A.-B. : J’ai eu mon premier appareil photographique à l’âge de 10 ans ; j’ai d’ailleurs appris les bases du tirage noir et blanc à la même époque. Mais ce n’est qu’à l’université, où j’apprenais la géographie et la géologie, que je me suis intéressé à nouveau à la photographie. En effet, j'avais choisi pour ma thèse d’établir une carte géographique détaillée des côtes du Yorkshire et l’utilisation d’un appareil photo s'imposait. Pendant près de trois ans, je fis aussi d’autres voyages d’étude sur le terrain, la plupart du temps en Ecosse, et je dois dire que photographier le paysage environnant devint rapidement plus intéressant que de photographier les éléments « remarquables » des sites géologiques. Photographier n’était alors qu’un passe-temps, mais mon intérêt pour la photographie de paysage a trouvé sa source à cette époque.
Vous semblez principalement inspiré par des lieux vides de toute présence humaine. Pourquoi ? Oui c’est très vrai. J’utilisais moi-même le terme « d’espace négatif » pour mon projet « Richtung Berlin », et l’absence humaine est vraiment essentielle dans mon autre projet « Boиh» (traduction du russe « Guerrier ») où je n’aurais pas su rendre ces bases militaires abandonnées d’une autre façon. La réponse la plus simple est que j’ai le sentiment qu’une présence humaine dans mes photos détournerait l’œil de ce que je veux faire passer. Je préfère souvent montrer les traces ou les évidences d’une présence passée ou actuelle plutôt que la présence elle-même. La force de l’absence s’est en fait révélée à moi-même lorsque j’ai réalisé ma série sur les sans-abris. Par pudeur, mais aussi par crainte et difficulté de photographier des gens dans une telle détresse, j’ai choisi (contrairement à la plupart des photographes participant au projet) de montrer les lieux et les environnements où vivent ces gens plutôt que les gens eux-mêmes. Le projet fut un succès, mes photos furent exposées et publiées dans « The Independent ». Je reçus avec surprise un grand nombre de témoignages de la part d’associations s’occupant des sans-abris pour utiliser mes images parce qu’elles exprimaient, selon elles, et sans les montrer, la volonté qu’ont les sans-abris de garder leur dignité.
Quelles sont vos influences artistiques ? Mes influences à la fois artistiques et photographiques sont assez variées, mais viennent souvent de quelques livres « clé » plutôt que de l’œuvre complète d’un artiste. Les images de Paul Caponigro et Fay Godwin ont influencé ma période « paysages » mais le livre de Jeff Jacobson « My Fellow Americans » a été pour moi le déclencheur de mon travail en couleur et de toutes les possibilités que cela offre. L’interprétation du paysage politique de l’Irlande du Nord par Paul Graham dans « Troubled Land », les peintures et photographies de Charles Sheeler, ou plus récemment le travail à la chambre et les tirages contact couleur de Hans Aarsman sont autant d’influences pour mon travail. Enfin, je dois dire que j’ai été évidemment très exposé à la photographie allemande, l’école Becher dans son ensemble, et quelques photographes de l’ex-Allemagne de l’Est comme Hans Christian Schink et Matthias Hoch. Quel matériel, film et technique utilisez-vous ? J’utilise un Mamiya 7, généralement avec un objectif de 65mm, plus rarement un 150mm. Mon film de prédilection est le Fuji négatif couleur NPS, ce film « de mariage » (sic) dont j’ai toujours apprécié la justesse des couleurs ; j’utilise principalement le NPS, quelques fois le NPH. Je travaille exclusivement en lumière naturelle, avec des temps de pose assez longs d’où l’utilisation quasi-systématique d’un pied Manfrotto. Le Mamiya est un appareil relativement léger et facile à utiliser, avec une mesure de l’exposition suffisamment juste pour ne pas nécessiter l’utilisation d’une cellule additionnelle. J’aime réfléchir avant de déclencher et prends très peu de photos avec au bout du compte peu de déchets.
Avez-vous pensé utiliser une chambre ? Dans un monde idéal, j’utiliserais une chambre 4x5, mais les coûts sont élevés et je ne traite pas mes films couleur moi-même. J’aime toutefois l’approche que le travail à la chambre induit, et la volonté d’obtenir le bon résultat « du premier coup » ; avec cependant la réserve que le travail à la chambre produit des images très caractéristiques : une netteté extrême, un rendu presque clinique, qui ne correspond pas toujours au rendu final que je recherche. J’espère néanmoins passer au grand format dans le futur, sans doute lorsque j’en aurai terminé avec les séries en cours, afin de conserver une certaine continuité visuelle ; le contrôle de la perspective que permet la chambre me serait en effet bien utile en certaines occasions. Il me semble toutefois que beaucoup de photographes se tournent vers le grand format principalement dans le but de produire de très grands tirages, ce qui ne me semble pas nécessairement une bonne raison.
Quelle a été votre approche pour le projet « Richtung Berlin » ? Ce projet est le résultat de l’attribution du DG Bank Kunststipendium 1998/99, c’est à dire l’attribution d’une bourse pour financer un travail d’un an en Allemagne, incluant une exposition et la publication d’un catalogue. J’ai gagné cette récompense grâce à mes photos sur les sans-abris qu’un ami artiste allemand m’encouragea à présenter. Après quelques hésitations sur le projet à conduire, je décidais, après une visite de quelques jours à Berlin, de me concentrer sur la capitale et d’y consacrer mon projet. Berlin est une ville dont les limites n’ont pas changé depuis 1920 mais qui s’est développée de l’intérieur à cause du mur. Pendant que je me familiarisais avec la ville, à la recherche d’un sujet pour mon projet, ma préoccupation principale était d’éviter un sujet trop évident à Berlin : le mur. Mais après quelques mois et quelques photos, je comprenais qu’il était impossible d’éviter le mur à Berlin, et particulièrement le cloisonnement qu’il induisait. Comme le mur s’infiltrait de partout, je décidais de me focaliser sur les conséquences indirectes de sa présence, sur ces subtilités que le visiteur ne voit pas mais que le berlinois perçoit au quotidien. Au fil de la transition qui s’opérait en moi (passer du statut de visiteur à celui d’habitant de la ville) j’allais aussi découvrir l’abstraction de certains de ces environnements, ce que traduisent les dernières images. Le livre est conçu comme une marche à partir des limites de la ville vers le centre, « Direction Berlin ». Avec le recul, j’ai toutefois l’impression que je n’ai pas complètement réussi à exprimer mes ambitions du départ, et que, peut-être, la transformation de cette ville que l’histoire a si profondément marquée est difficile à raconter en images. Plus récemment, le livre semble avoir été néanmoins reconnu pour sa valeur documentaire.
Quel est votre projet actuel ? Je continue de travailler sur les ex-bases militaires soviétiques en Europe de l’Est, en élargissant la dimension du projet ainsi que le medium utilisé. Afin de donner une autre image de deux endroits particuliers, j’utilise une caméra DVD pour créer une image similaire à la photo mais en explorant les dimensions du mouvement et du son. Faisant suite au succès international de « Cood bay Forst Zinna » en 2001, « Stolzenhain » commencé en 2004 continue ce thème. Ce n’est pas un abandon de la photographie, simplement quelque chose qui semble bien en phase avec ce projet. Sinon, pour m’éloigner un peu de ces projets russes et militaires, j’ai commencé en 2003 un projet plus tourné vers la campagne, quelque chose quelque peu différent de mes premiers paysages mais qui doit encore mûrir.
dernière modification de cet article : 2005
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