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 l'auteur

Anne GUILLAUME


Née en 1976
2002 DNSEP
Beaux Arts de Marseille
puis expositions
 collectives et personnelles
entre 2002 et 2005


anneguillaume.a@gmail.com
http://guillaumeanne.blogspot.com
 

Ma première photo à la chambre

par Anne Guillaume

 

Assise là, face au stade, dans une voiture avec sur les genoux un manchon noir de chargement, les bras enfermés jusqu’aux coudes, j'ai le regard fixe. L'opération nécessite une pleine conscience du geste. Je me revoie dans le noir du labo... sauf que là je suis dehors en pleine lumière a essayer de protéger mes films au maximum en tentant d’agir au plus vite. Trouver le film dans sa boite, le sortir à tâtons, chercher l’encoche. L’encoche doit se trouver en bas en droite signe que le film est du bon côté. C’est une fois que le film est mis dans le bon sens qu’on le charge. Ouvrir le volet, glisser le film, fermer le volet, tourner le châssis, recommencer. Un châssis présente deux faces donc porte deux films.

Je me prépare ainsi à faire mes premières photos à la chambre 4x5 inch.

Après avoir chargé les cinq châssis, sentiment de doute : ai-je bien mené comme il faut l’opération de chargement ? Les films sont-ils bien en place ? un film mal inséré égale une photo foutue...

A présent, on m’initie au spotmètre et on me donne quelques notions de prises de vue essentielles à la réalisation d’une bonne photographie. Le travail à la chambre étant d’une infime précision cet outil permet d’être au plus juste dans les réglages diaph, vitesse, iso. Pour toute photo réussie le spotmètre est essentiel.

Voilà. On sort de la voiture. On s’avance, on pose le matériel en gardant une première distance en retrait non loin des gens présents sur le stade. Déjà l’ambiance est magique, tout est au rendez vous, la pluie a cessé, le ciel est dégagé, les enfants s’entraînent.

Tout à coup, la chambre est là, posée, majestueuse ; elle se déploie, se découvre, touche ma sensibilité, s’impose d’elle-même sur le terrain. Cet objet d’une précision, d’une rigueur et d’une finesse extrême exprime à lui seul un calme profond, comme une statue plantée au milieu d'un jardin. Une vraie sensation de bonheur s’empare de moi, jamais un objet ne me l’avait fais ressentir. Je ne peux détacher mes yeux de son soufflet, de son cadre, de son objectif,  cette auréole qui s’écarquille.

C'est une Linhof  Technica, la rolls des rolls et mieux qu’une rolls. Je jubile mais reste concentrée ; toutefois des images se succèdent dans ma tête. Je revois ces vieilles photographies de film de Chaplin, le voile noir où le corps plié en deux glisse et plonge dans l’obscurité face au verre. Et puis ces questions du "comment est ce possible ?", "Comment avoir imaginé un tel objet ?" La chambre a une véritable présence, ce n’est pas une question de mode ou de temps ; il est facile de se projeter au siècle dernier, et même vers 1839... mais ce n'est pas cela... la chambre est plus moderne que tout autre appareil.

 

L’approche photographique à la chambre est totalement différente de celle de la photographie numérique à laquelle je suis habituée.

Déjà, il y a le temps de préparation à la prise de vue. Une image à la chambre se réfléchit, se compose, d’un point de vue technique mais aussi financier car quand on déclenche cela à un coût ; à cause de cela on est plus attentif à ce qu’on  a envie de faire ou de montrer. Cet argument est un point fort : cela va nous faire progresser plus vite.

La magie de l’objet transforme, derrière le verre, la réalité en « tout est beau ». Même si on regarde à droite, à gauche, derrière ou dessous, la vision du monde là, en face de nous, prend une autre dimension. Difficile alors de faire un choix. Mais il le faut car forcément sur le papier c’est autre chose…

Toujours un peu en retrait des gens qui s’entraînent, je réalise ma première image en noir et blanc. L’image prend en compte divers éléments du stade, comme la piste au niveau du virage, le filet de protection pour le lancement de poids, un énorme coussin bleu et les enfants qui se regroupent autour de leur professeur. Au final rien de grande importance mais une forte émotion au moment du déclenchement que j’entends à peine tant il est discret. 

 

A présent on se tourne vers la gauche, et là rebelote : on fait pivoter le châssis en prenant soin d’avoir mis le côté noir du volet vers soi (signe qu'on a pris une photo) ; prise de la lumière au spotmètre afin de mesurer les zones plus sombres et plus claires, ouverture choisie en fonction des 5 diaph d’écart comme marge de manœuvre (voir le mémento de prise de vue photographique sur galerie-photo), et la vitesse. On choisit son image, son angle de prise de vue, on fait le point de  netteté, on arme une première fois afin de vérifier que tout fonctionne. Le plus dur sera peut être de faire le point car même si le verre est très lumineux la lumière passe dessus. Côté pratique, j'apprécie la lunette de visée Linhof qui présente l’image à l'endroit. Je suppose qu’avec le temps on s’habitue à l'image inversée…

Après ces trois premières images, on s’approche un peu plus du terrain. On se dit qu’il serait intéressant de faire le premier portrait. Deux personnes s’avancent vers moi  ; comble du hasard, mes voisins ! Ce sont eux qui entraînent chaque mercredi les enfants. Je leur demande s’ils veulent bien poser. Le fils me toise déjà dans son blouson bleu électrique. Je commence par deux photos du fils et du père ensemble, mais ça ne va pas... alors je demande au fils un portrait seul s’il le veut bien. « Oui bien sûr ». Fier, il bombe le torse, ne bouge plus, aucune expression ne passe sur son visage on dirait qu’il a fait ça toute sa vie. Les derniers réglages sont fait, ok, je le regarde il me regarde, la photo est prise.

De là tous les enfants s’approchent, une jeune fille me parle de son grand-père qui a ou avait le même appareil ; les enfants veulent eux aussi être pris en photo. Un espalier se trouve là ; ils montent tous dessus, posent, regardent attentivement ce qui se passe ; certains sont sérieux d’autres sourient. Cette photo j’aurai souhaité la faire sans qu’ils soient si nombreux, mais la chambre interroge, attise la curiosité de tous, alors dire non aux enfants …j’ai pas su faire.

En cette après midi hivernale, le temps s’est un instant arrêté. Les films en sont la marque. A présent ils attendent le retour dans le manchon noir. La fin de cette après midi est proche, la fatigue des émotions commence à se faire sentir, la concentration s’évapore. Faire une photo à la chambre c'est écouter ses émotions.

Le travail n’est pas fini ; il se termine comme il a commencé. Sur le parking, dans la voiture, face au stade, le manchon de chargement sur les genoux avec à l’intérieur, les châssis et la boite. En sens inverse cette fois ci les gestes se répètent. Les films retournent dans leur boite noire, cette fois c’est réellement fini.

 

 

 
© Anne Guillaume - 2009

   
   
 

 

dernière modification de cet article : 2009

 

 

 

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